Il faudra un jour analyser en profondeur le lien entre l'automobile non seulement en tant que culte de la masculinité, mais aussi en tant que violence faite aux femmes.
Quelques réflexion en vrac dans ce thread 👇
Quelques réflexionS au pluriel d'ailleurs 🙂
La scène illustrative la plus flagrante à mes yeux est la courte séquence du film "jour de fête " de Jacques Tati en 1949.

Je ne la retrouve pas sur le net, alors je vous la raconte.
Dans un village où tout le monde (femmes, hommes et enfants) circulent librement à pieds ou à vélo, débarque une voiture à toute vitesse.

Elle est conduite par un homme.

Une femme se précipite sur son seuil et attrape son jeune enfant pour qu'il ne soit pas écraser.
Cette scène ne dure que quelques secondes, mais elle est d'un symbolisme époustouflant qui montre cette appropriation masculine violente de l'espace public.
Toute la 2e moitié du 20e siècle n'a été qu'un culte à la voiture, comme accessoire de la masculinité (toxique), voir comme prolongement phallique.

Quantité de pubs montrent des hommes dominants qui ont une belle voiture et donc séduisent une belle femme.
A l'inverse, l'accès à la voiture pour les femmes a toujours été plus difficile.

La norme reste toujours que lorsque le couple est en voiture, c'est l'homme qui conduit.
De nombreux messages sexistes associent les femmes à un incapacité de conduire, à la prétendue dangerosité des femmes au volants (alors que les statistiques montrent que les hommes font plus d'accidents).
Les métiers liés aux voitures sont encore profondément masculins (garagistes, concessionnaires, chauffeurs de taxi, coureurs automobiles...).
Bref, vous voyez ce que je veux dire.

Ce qui m'interpelle ces dernières années, c'est la critique de la place de la voiture dans les grandes villes et les réactions que ça suscite.
Dans la plupart des grandes villes européennes, il y a une volonté politique de réduire la vitesse des voitures (30 km/h), leur nombre (suppression des parking, rues piétonnes) et favoriser les modes de déplacement doux (vélo, piétons, trottinettes).
Est-ce un hasard ? Mais beaucoup de ces politiques sont portées par des femmes (@Anne_Hidalgo à Paris, @elkevdbrandt à Bruxelles).

Et suscitent des réactions très violentes d'hommes.
Sur les réseaux sociaux, une véritable fronde d’automobilistes (très majoritairement masculins) fustigent ces politiques pour un meilleur partage de la ville. Il y a véritablement une guerre de territoire où des hommes refusent de perdre leurs privilèges d'occupation de l'espace
Ce qui est intéressant est aussi de voir comment, depuis la 2e moitié du 20e siècle, les villes ont été conçues autour de la voiture, avec comme élément central, les hommes qui :
- se déplacent en voiture
- ne se déplace qu'avec une légère mallette quand ils marchent.
Contrairement aux femmes qui :
- n'ont pas ou peu de voiture
- transportent des charges lourdes et encombrantes (courses, jeunes enfants, objets liés aux enfants)
- poussent des poussettes ou tirent des caddies
C'est ça tout le paradoxe d'une société sexiste : les femmes sont considérées comme faibles, au point où la galanterie (toujours sexiste) veut qu'un homme qui accompagne une femme lui porte le moindre objet.

Mais dès qu'il n'est pas là, c'est la femme qui porte bien plus que lui
Et donc ces femmes doivent transporter énormément de choses au quotidien, sur des petits trottoirs peu pratiques, dans une ville conçue par les hommes, pour les hommes (qui circulent en voiture ou les bras ballants).
Cette même ville ou ces mêmes femmes doivent en plus assurer la protection de leurs enfants contre les voitures (contre les hommes).
Enfants qui ont vu leur place considérablement réduite dans l'espace public.

En 1919, un enfant de 8 ans parcourait une zone de 10 km autour de chez lui. En 2007, au même age, un enfant parcourait moins de 300 mètres.
tousapied.be/articles/nos-e…
Ce qui est intéressant aussi, c'est la similitude du langage utilisé lorsqu'il s'agit de la violence contre les femmes et la violence automobile.
On parle de "femmes qui se font violer" (comme si c'était un acte volontaire).

Exactement comme un piéton qui "se fait écraser".
Enfin, et c'est le twit initial de ce thread qui m'en a fait prendre conscience, il y a également le même renversement de la responsabilité : la société fait porter aux femmes la responsabilité des violences qu'elles subissent, en occultant la violence commise par les hommes.
Exactement comme les campagnes de sécurité routière axées sur la responsabilité des piétons et des cyclistes quant à leur comportement dans l'espace public, en occultant celle des conducteurs automobiles.
C'est le même victim blaming. C'est la même façon de fustiger la tenue vestimentaire d'une femme ou le comportement prétendument dangereux d'un.e piéton-ne ou d'un_e cycliste.

Et le même silence face à la violence masculine et/ou de conducteur de voiture.
Bref, tout ça pour dire que derrière ces débats (très énervés) autour des zones 30 km/h, des réductions de parking, de zones apaisées ou piétonnes, se joue quelque chose de plus profond qui est un rapport de force basée sur le genre, et sur le partage F-H de l'espace public.

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11 Dec 20
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