Mardi, Emmanuel Macron a annoncé le lancement de petits réacteurs nucléaires...
Mais savez-vous que la France développait déjà des projets de petits réacteurs nucléaires modulaires dès les années 1970 ?
Thread : Une petite histoire des projets de SMR français. ⤵️
1/ Avant-propos : Cette histoire est très loin d’être exhaustive et se concentre principalement sur quelques projets de petits réacteurs français (et plutôt des réacteurs à eau pressurisée) !
Pour en savoir + sur les SMR :
2/ L’histoire des réacteurs nucléaires à eau pressurisée (REP) produisant de l'électricité débute avec le réacteur US de Shippingport (60 MW) qui démarre en 1957 et dont la conception dérive directement du réacteur du premier sous-marin nucléaire, le Nautilus.
3/ Ce point de départ à une importance fondamentale pour la suite de cette histoire car de nombreux projets de petits réacteurs seront issus de réflexions sur les réacteurs de sous-marins, qui sont, par nature, plus petits et compacts que les réacteurs terrestres.
4/ En 1953, devant les nombreux projets des débuts du nucléaire, l’amiral Rickover, père du Nautilus et de Shippingport, met en garde contre ces réacteurs “de papiers” qui sont souvent petits, flexibles, rapides à construire, peu chers…tout l’inverse des réacteurs “en pratique”.
5/ Dans les années 1960, le nucléaire n’est pas encore rentable. En France, s’appuyant sur la technologie du CEA dite « uranium naturel graphite gaz », EDF (directeur de l'Équipement en 1961) cherche la rentabilité économique par des effets de série et des montées en puissance.
6/ Les 1ers réacteurs UNGG français qui produisent de l'électricité sont de fait, faiblement puissants mais loin d’être modulaires et compacts ! (Photo de la centrale nucléaire de Chinon).
7/ En parallèle, le département de construction des piles du CEA travaille sur des réacteurs plus compacts à uranium enrichi destinés aux études sur la propulsion sous-marine comme c’est le cas avec le prototype à terre” (PAT) de Cadarache qui démarre en 1962.
8/ Le PAT va servir de base au développement du Redoutable, 1er sous-marin nucléaire lanceur d’engins français.
9/ D’autres tentatives de développement de réacteurs compacts plus étonnantes seront abandonnées début 60’s comme la recherche sur des réacteurs pour avion, comme ici le réacteur Rubéole du CEA Saclay.
10/ Dès les 50’s, l’Agence Internationale pour l’énergie atomique (AIEA) imagine des petits et moyens réacteurs pour les pays en développement alors que les pays pionniers du nucléaire conçoivent des réacteurs toujours plus puissants.
11/ Dans les faits, de petits réacteurs sont également utilisés aux USA et en URSS pour des navires (Brise-glaces Lénine et NS Savannah) ou encore des modèles terrestres pour alimenter des zones difficiles d'accès (Réacteur US PM-3A en Antarctique).
12/ Revenons en France. En 1969 c’est un choc pour le CEA : la France abandonne la filière UNGG au profit des réacteurs à eau pressurisée (REP) US. Le CEA va un temps tenter de résister en proposant des projets français de REP...
13/ Le CEA abandonne finalement l’idée de concurrencer les REP américains. Fessenheim sera construit sous la licence US Westinghouse. Le CEA doit trouver une nouvelle place...
14/ L'organisme pionnier du nucléaire français n’a pas dit son dernier mot et va continuer à travailler sur des projets de petits réacteurs. L’ancien département de construction des piles du CEA devient Technicatome en 1972.
15/ Encore une fois, tout part des sous-marins. Technicatome développe la Chaufferie avancée prototype (CAP), un réacteur nucléaire de recherche à eau pressurisée localisé à Cadarache, mis en service en 1975, qui prend le relais du PAT.
16/ Le CAP doit permettre de valider un nouveau concept de réacteurs nucléaires plus compacts, le K48, destinés plus tard aux sous-marins nucléaires d'attaque (Rubis, Saphir, Casabianca, Émeraude, Améthyste et Perle (vidéo du lancement en 1990)).
17/ Ces petits réacteurs de sous-marins vont alors “sortir de l’eau”, au moment de la crise énergétique (hausses des prix des combustibles fossiles) qui démarre en 1973…
18/ Les petits réacteurs sont à nouveau imaginés pour l’exportation avec l’espoir d’un marché fleurissant. En effet, les réacteurs proposés par les industriels dans les années 1970 deviennent trop puissants pour les réseaux électriques des pays en développement.
19/ Les idées d’utilisation sont nombreuses : alimentation électrique de réseaux de petites et moyennes puissances, désalinisation, production de chaleur pour des industries et/ou des logements ou encore propulsion navale marchande.
20/ Un projet français va prendre le nom de chaufferie avancée de série (CAS), par analogie avec les travaux sur les réacteurs de sous-marins et notamment le CAP. Il s’agit donc d’un petit modèle de réacteur à eau pressurisée.
21/ L’idée est de mobiliser les connaissances acquises sur les réacteurs de sous-marins. La standardisation est recherchée avec également l’idée de réaliser en usine un maximum de sous-ensembles pour gagner en prix et en temps. Un petit réacteur « modulaire » donc !
22/ Plusieurs projets voient le jour en Europe et notamment 2 types de réacteur CAS présentés par le CEA et sa filiale Technicatome au milieu 70’s.
23/ Le CAS 2G, un réacteur à eau pressurisée (REP) de 250 MWth pour les applications navales. Proposé à plusieurs reprises (brise-glace pour garde-côtes canadiens, porte-hélicoptères, corvette nucléaire…), il n'aura finalement pas de débouchés.
24/ Le réacteur CAS 3 G est un REP qui produit 420 MWth. C’est un réacteur terrestre adapté à la production d'électricité et/ou de chaleur fabriqué par la société Alsthom-Atlantique sous licence CEA.
25/ Le réacteur et ses composants sont intégrés dans un œuf métallique suffisamment compact pour que sa construction en usine et son transport sur le site puissent être envisagés. L'œuf est ensuite entouré d’un bâtiment en béton.
26/ Le combustible CARAMEL utilisé est constitué de plaques parallèles soudées à des barrettes transversales. Chaque plaque est composée de plaquettes d'oxyde d'uranium, légèrement enrichi, de forme parallélépipédique et de faible épaisseur (4 mm).
27/ Les concepteurs promettent que les impacts environnementaux sont réduits en raison du confinement, du type de combustible et de la faible puissance du réacteur. L’idée est de disposer ces réacteurs à proximité directe de villes et/ou de ports.
28/ Mais, ce réacteur ne sortira jamais de l’usine et restera au stade de projet pendant plusieurs années faute de débouchés...Un autre projet de petit réacteur va naître en parallèle avec une volonté d’utilisation pour la France : le réacteur Thermos.
29/ L'idée est simple : Un réacteur à uranium enrichi de type piscine (immergé sous l'eau, comme d’autres réacteurs du CEA) d’une puissance de 100 MW qui alimente un réseau de chaleur en eau à 120°C. Le nucléaire pour du chauffage urbain donc !
30/ Le concept existe déjà : le réacteur nucléaire d'Ågesta (65 MW) en Suède utilise ce principe et alimente en chaleur (avec un tout petit peu de production d'électricité) le quartier de Farsta dans la banlieue sud de Stockholm entre 1963 et 1974
31/ L'idée paraît intéressante dans un contexte de crise pétrolière. En effet, la consommation de fuel pour le chauffage représentait alors 30% des importations pétrolières de la France.
32/ Un autre objectif possible de ce réacteur : la désalinisation de l’eau de mer ! Mais cette idée n’ira pas plus loin que des présentations dans des conférences internationales.
33/ Si ce réacteur est aussi imaginé pour l’export, le CEA souhaite le tester sur la ville déjà “atomique” de Saclay avec comme objectif de chauffer le centre du CEA Saclay, l’École polytechnique et les communes environnantes (vidéo de 1980).
34/ Une enquête publique est lancée sur les communes de Saclay et Châteaufort mais le projet est rapidement abandonné pour diverses raisons :
35/ La création d’un réseau de chauffage sur le plateau de Saclay est une opération complexe et hasardeuse, d’autant qu’il aurait été sous dimensionné par rapport à la puissance de Thermos. De plus, des oppositions au “nucléaire dans les villes” se font jour.
36/ Ce projet est abandonné en 1977 mais va renaître à Grenoble 2 ans plus tard. Grenoble semble une ville idéale car on y trouve le Centre d’étude nucléaire de Grenoble depuis 1956 avec de forts liens avec le monde universitaire et la mairie.
37/ Cité moderne, ville olympique en 1968, second plus important réseau de chauffage urbain après Paris, Grenoble doit donc servir de ville pilote au projet Thermos, qui pourra ensuite s’exporter dans le monde entier... Du moins c’est l’idée du CEA et de Technicatome !
38/ La ville de Grenoble souhaite qu’une procédure exemplaire d’instruction publique et contradictoire du dossier puisse être mise en place avec une consultation de la population. Le projet est présenté en 1979. lemonde.fr/archives/artic…
39/ Mais même dans cette “ville nucléaire”, le doute s'installe au fil des mois au sein du groupe de travail comprenant le CEA, La Compagnie de Chauffage, la Ville de Grenoble, la Régie municipale de gaz et d'électricité et un cabinet d’expertise.
40/ En effet, le projet nécessite une chaufferie au fuel (paradoxale en pleine crise énergétique) pour porter la chaleur produite par Thermos au niveau requis par le réseau existant.
41/ De plus, des études montrent que le réacteur ne semble pas rentable par rapport à un réacteur à charbon. Pour plus de détails, voir l’excellent article d’Anne Dalmasso sur le réacteur Thermos : hal.archives-ouvertes.fr/hal-02092653
42/ Le 10 mai 1981, François Mitterrand remporte les élections et le 19 juin, la mairie en profite pour fermer le dossier Thermos pour des raisons techniques et financières.
43/ Alors qu’EDF et Framatome se tournent vers des réacteurs toujours plus puissants, on note toutefois en parallèle un fort regain pour ces Small and Medium Power Reactors (SMPR) au niveau international avec un programme de l’AIEA à partir de 1985.
44/ Imaginé par la France pour l’export, le projet d’un réacteur de 600 MW voit le jour début 80’s entre Framatome et les allemands de Siemens. Le projet monte finalement à 1000 MW, puis 1450 MW et enfin 1600 MW. Le projet EPR est né !
45/ Avec le futur EPR, au début des années 1990, EDF et Framatome semblent également abandonner l’idée de développer des SMR (texte de 1991).
46/ Malgré tout, un nouveau projet apparaît : Le NP 300 de Technicatome/Framatome, qui reprend les principes du CAS. Il est un nouveau projet présenté à la fin des années 80’s dans des conférences internationales.
47/ Encore une fois, le NP 300 semble lui aussi rester à l’état d’avant-projet pendant de nombreuses années. Il ressurgit parfois sporadiquement, ici en 2003, sous la plume du haut-commissaire du CEA !
48/ A titre d’exemple, de nombreux projets de réacteurs de moyenne puissance coexistent en plus des SMR. Milieu 2000’s, le projet le SCOR (Simple compact reactor) du CEA est un réacteur de puissance moyenne (600 MW), lui aussi abandonné…
49/ En 2007, le CEA semble à nouveau douter de l’existence d’un marché pour les SMR.
50/ Mais, comme toujours, les SMR français ressuscitent. FlexBlue (DCNS, AREVA, CEA, EDF) est lancé en 2008, en pleine période de “renouveau du nucléaire”.
51/ Encore une fois, ce projet ne verra pas le jour et sera abandonné quelques années plus tard. Puis, après l'hiver nucléaire qui suit l’accident de Fukushima, l’année 2019 voit le lancement du projet NUWARD (EDF, TechnicAtome, Naval Group et du CEA).
52/ Mardi, Emmanuel Macron a ravivé cette histoire des petits réacteurs qui font rêver les ingénieurs français depuis plus de 50 ans.
L’histoire continue...
FIN
53/ Comme souvent, merci @butch2k et @e_punctatus pour les échanges passionnants !
Savez-vous que cette superbe tour aéroréfrigérante accueille un manège ? Qu’elle est située sur le site d’une ancienne centrale #nucléaire allemande devenue un parc d’attraction ?
Fil : Kalkar, une histoire de neutrons rapides et de sensations fortes…
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1/ Avant-propos : Merci @Kako_line pour l’invitation à travailler sur le sujet des tours aéroréfrigérantes décorées.
Celle de la centrale nucléaire de Kalkar en Allemagne a sans doute l’histoire (thread non exhaustif) la plus incroyable !
C’est parti.
2/ Dès le début de l’ère nucléaire, l’idée de surgénération (capacité d'un réacteur nucléaire à produire plus d'isotopes fissiles qu'il n'en consomme) est en vogue et les projets de piles couveuses (breeder) se multiplient (Experimental Breeder Reactor I dans l’Idaho, USA, 1951).
Point de situation au 5 septembre 2023 concernant la situation à la centrale #nucléaire de #Zaporijjia.
🇺🇦🇷🇺☢️Un fil à dérouler🧵🔽
1/ Sur la situation générale de la centrale #nucléaire : 5 réacteurs sur 6 sont en arrêt à froid. Le réacteur 6 est en arrêt à chaud et produit de la vapeur pour des besoins de sûreté depuis le 13 août 2023 (notamment pour le traitement des déchets radioactifs liquides).
2/ Le réacteur 4 a été transféré d’arrêt à chaud vers arrêt à froid en raison d’une fuite d'eau depuis le circuit primaire vers le circuit secondaire au niveau d’un des générateurs de vapeur (GV) du réacteur survenue le 10 août.
Point de situation au 20 juin 2023, avec un éclairage historique, concernant la sûreté de la centrale #nucléaire de Zaporijia depuis la destruction du barrage hydroélectrique de #Kakhovka.
Un fil à dérouler 🔽🇺🇦🇷🇺🧵
1/ Dans la nuit du 6 juin 2023, le barrage hydroélectrique de #Kakhovka, sur le Dniepr (Nova Kakhovka, oblast de Kherson) est détruit entrainant en aval de fortes inondations aux conséquences humaines, sanitaires et environnementales dramatiques.
2/ Construit dans les années 1950, le barrage (photos) a créé en amont le réservoir de Kakhovka sur le Dniepr, long de 240 km et jusqu'à 23 km de large. L’ensemble barrage/réservoir permet notamment l'irrigation de terres agricoles du sud de l'Ukraine et du nord de la Crimée.
Le Plan particulier d'intervention (PPI) présente une cartographie des communes impactées par des mesures en cas d’accident #nucléaire dans un rayon de 0-20km autour d’une centrale.
Thread : Tour d’horizon des cartes des PPI pour les 18 centrales nucléaires en exploitation.
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1/ Avant-propos : Un PPI propose une représentation cartographique du risque et est dimensionné sur un accident et des conditions météos donnés.
Les conséquences/mesures d’un accident « réel » peuvent bien entendu déborder ou non de la cartographie du PPI.
C’est parti. ⬇️🧵
2/ Cartographie du PPI de la centrale nucléaire de Belleville (Cher).
On en parle moins donc c’est le moment de faire un point sur la situation de la centrale #nucléaire de #Zaporijjia.
Point de situation au 6 mai 2023
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1/ Tout d’abord, les 6 réacteurs ne produisent plus d’électricité. Au moins 5 sur 6 sont même en « arrêt à froid ». Jusqu’alors, un ou deux des réacteurs étaient maintenus en « arrêt à chaud » pour alimenter en chaleur le site et la ville voisine d’Enerhodar.
2/ Si les réacteurs ne produisent pas d’électricité, ils ont toutefois besoin d’être refroidis pour des raisons de sûreté et donc d’être alimentés en électricité. Une seule ligne électrique de 750 kV fonctionne actuellement sur les 4 disponibles avant le conflit.
19 octobre au 18 décembre 1964 : Le réacteur #nucléaire PAT (prototype à terre) du CEA Cadarache) « prend la mer » pour une croisière fictive autour du monde.
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Tous les jours, sur la base d'un rendement de propulsion supposé, l'énergie produite est transformée en milles marins et la position du « bateau » reportée sur la carte.
En réalité, le réacteur ne bouge pas, au fond de sa « piscine ».
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Ce type de réacteur sera installé à partir de 1971 sur les sous marin nucléaires lanceurs d'engin français (SNLE), dont le premier sera le Redoutable.