OK, suite aux récents thread de @DrStarWolf et @Habib_P0tter sur leur vécu de leur internat de MG, j'ai un peu envie de parler de mon expérience de l'autre côté, c'est-à-dire en tant qu'ex-universitaire.

J'enlève donc mon cadenas pour quelques jours...
#Thread #MG #Internat
Pour commencer, j'annonce d'emblée que je n'ai plus aucun lien d'intérêt avec le monde universitaire de la MG en France, à part des liens amicaux de personne à personne, sans jugement sur leur travail.

J'ai quitté mon poste de MCU depuis 2016, je vis en NZ depuis bientôt 3 ans.
Et j'ai officiellement présenté ma démission de la fonction publique française au début de l'été. Je n'ai donc plus de comptes à rendre à personne.

Je vais commencer par un peu d'historique personnel, vu que ça fait longtemps que je n'ai pas tweeté.
J'étais interne au DMG Paris 7 (Diderot) et pendant 2 ans sur 3 de mon internat, le plus actif syndicaliste IMG de l'Ile-de-France, où je me suis TJS opposé au côté coercitif des traces d'apprentissage que les DMG voulaient imposer. Je bossais bien comme représentant des IMG
et j'avais donc une certaine confiance/estime de la part des universitaires.
De mon propre chef, c'est à ce même moment que j'ai commencé à faire de la recherche et en 2008, j'intègre l'IRDES en tant que interne pour un stage hors-filière en santé publique, étant donné que
j'avais déjà fini la liste des stages obligatoires et que j'étais volontairement sur la liste pour un SASPAS les 6 mois suivants. Après mes 3 ans d'IMG, je prendrai un an pour finir ma thèse et faire un M2 de santé publique auto-financé par une activité type SOS/remplas.
Assez naturellement, je candidate pour être chef de clinique et suis pris au DMG Paris 7, dirigé à l'époque par l'excellent Michel Nougairede, qui est une personne à qui je porte une immense estime.
Paris 7 était considéré à l'époque comme le principal opposant à Paris 12
(Créteil), où les ayatollahs de l'enseignement marguerite (CA, LC) ainsi que le président du CNGE (VR) appointaient en tant qu'universitaires.
Paris 7 refusera pendant longtemps d'appliquer l'invalidation des stages dû au manque de traces mais finira par céder... quand l'équipe
de Créteil finira par obtenir l'écriture de ce principe dans le réglement régional puis dans la directive nationale. En 2014, évolution de ma carrière universitaire, je suis nommé MCU à Paris 13 (Bobigny) et, étant le plus haut gradé, j'en deviens le responsable (coordonnateur du
DES)... à 31 ans. Yannick Ruelle, un type pour qui formidable est un mot trop court pour le décrire, m'accompagne dans cette aventure et est nommé MCA aussi. Nous arrivons dans un DMG dévasté par une guerre de tranchées entre les 2 précédents universitaires qui partent à la
retraite en même temps.
120 internes en IMG 1-2-3 + 80 internes retardataires dont une bonne trentaine au bout du bout, i.e. en 6ème année, impossible pour eux de se réinscrire l'année prochaine.
Nous créons un nouveau système de port-folio à points, inspiré de Paris 7, les GEPRI (groupes d'apprentissage entre internes) et tâchons de faire le ménage dans l'ensemble des cours proposés jusque-là, où il y avait à boire et à manger.
Pendant mon année avec 100% des responsabilités, nous avons fait TOUT notre possible pour protéger nos internes des affres dogmatiques et punitifs de la pédagogie MG façon Paris 12. Nous avons récupéré du caniveau des internes désespérés, tout en essayant de maintenir une qualité
de formation aussi haute que possible pour les nouveaux arrivants. L'année d'après, Alain Mercier est arrivé comme PU, j'ai peu à peu sombré dans le burn-out après cette année folle et me suis progressivement retiré des responsabilités.

****FIN de mon histoire perso****
Il y a quelques petites choses que @DrStarWolf, @Habib_P0tter & co. n'ont probablement pas vu depuis leur position d'interne :

1/ toute la réflexion pédagogique en MG se heurte à la question : où s'arrête le savoir d'un MG ? Je vais donner 2 exemples maintenant que je bosse à
l'étranger. Ici, en NZ, je traite moi-même 100% des AC/FA en MG. C'est le protocole : beta-bloquants + anticoagulants gérés par le MG, une écho coeur (très difficile à obtenir du fait de restrictions d'accès à la ressource) pour ceux qui ont une suspicion d'atteinte valvulaire et
roule ma poule. Et s'il y a besoin d'ajouter de la digoxine, je le fais tout seul comme un grand. En France, mon habitude c'était suspicion d'AC/FA = cardiologue.
2ème exemple : les cancers de la peau, bien plus communs ici qu'en France (trou dans la couche d'ozone). J'ai trouvé
moi-même ma petite formation en dermatologie, j'ai assisté à quelques biopsies/excisions auprès de collègues... et roule ma poule. Je gère désormais 75% de mes suspicions de cancer depuis la suspicion jusqu'à l'excision en totale autonomie (je n'envoie au spécialiste que les
excisions compliquées sur la face, et les mélanomes prouvés à l'anapath).

Tout ça, j'ai pu apprendre à le maîtriser, parce qu'en tant qu'interne de MG, j'ai appris à apprendre. J'ai appris à aller chercher des ressources de formation par moi-même, à évaluer leur qualité,
à être réflexif sur ma pratique (oui au début, j'ai parfois coupé trop court ou trop large / pas assez agressif avec les bêta-bloquants) et au final, je suis probablement un MG un peu meilleur qu'avant, parce que j'ai élargi mon panel de compétences cliniques.
Contrairement aux autres spécialités, il n'y a pas de limites à ce qu'un MG peut faire s'il le souhaite / si le système le pousse à le faire. Nous n'avons pas une définition de notre science autour d'un organe, d'un groupe de pathologies, d'une catégorie de patients.
Nous avons la possibilité théorique de savoir tout sur tout et de l'appliquer si nous le souhaitons. Donc, comment construire un enseignment universitaire autour de cette notion ?

La seule façon de faire c'est l'apprentissage de l'auto-formation et la réflexivité.
Savoir trouver, évaluer et utiliser des ressources de formation quand le besoin s'en fait sentir. Etre capable d'avoir un regard distancié sur sa pratique, son attitude face au patient et aux collègues pour viser toujours plus d'amélioration.
Il est, pour moi, impossible de savoir définir ce qu'est un socle de connaissances biomédicales minimales en MG. Cette définition varie selon les ressources spécialisées disponibles, le système de santé, les avancées technologiques. Le MG doit être souple et réactif, pas enfermé
dans le carcan mono- ou pauci-tâches d'un spécialiste qui, lui, aura du coup la possibilité d'approfondir son domaine de connaissances "verticalement".
Ici, en NZ, je n'ai pas le droit de faire de demandes de scanner ou IRM en tant que MG. C'est une compétence que j'avais en
France, qui m'est maintenant inutile. Dans ce contexte, que m'aurait apporté un enseignement universitaire "prescription des examens d'imagerie avancée" : rien.
De même, on fait un cours d'internat "modalités de la prise en charge d'une démence à domicile". X temps plus tard,
un gouvernement décide de créer une branche dépendance à la Sécurité Sociale et revoit de fond en comble toutes les aides sociales pour le maintien à domicile des personnes âgées. Le cours est globalement bon à jeter à la poubelle, ne sert plus à rien.
A travers ces exemples, je veux juste montrer en quoi c'est impossible de définir des cours universitaires de savoir "de base" pour un MG. Le mieux, ça reste encore de se former sur le terrain, stage Niveau 1 et SASPAS qui sont SI importants dans le cursus de formation d'un MG.
Le problème, c'est que, si vous pouvez avoir un certain contrôle sur la variabilité des pratiques pédagogiques des gens nommés au DMG via des critères de recrutement (et encore...), c'est bien plus dur quand vous avez à gérer 100+ maîtres de stage et que vous savez aussi qu'il
est très difficile d'en recruter de nouveaux. Du coup, et c'est l'un des gros points noirs de l'enseignement de la MG en France, c'est l'extrême variabilité de la qualité de cet enseignement, d'un DMG à l'autre, d'un MSU à l'autre, d'un stage hospitalier à l'autre.
2/ Un DMG, c'est aussi des personnes. Et certains des enseignants de MG sont effectivement versés dans des pratiques ou quasi-ésotériques ou trop complexes pour être appréhendé avec bénéfice pour un interne comme le Balint ou la pédagogologie de MG
(quand l'application des principes et limites expliqués plus tôt tournent à l'obsession). A Paris 13, nous avons réduit le Balint autant que possible, mais cette réduction n'a pas été supportée par la principale enseignante de cette méthode, qui a claqué la porte, et nous nous
sommes retrouvés avec une enseignante de moins pour assurer cours, encadrements, etc. Il y a dans les DMG des luttes d'influence comme dans tout département universitaire, des compromis à trouver entre des styles pédagogiques différents, qui peuvent avoir des conséquences
malheureuses sur le curriculum d'apprentissage des internes. C'est la vie, rien n'est jamais parfait. Souvent, les responsables des DMG sont bien au fait que certains cours sont "nuls" mais les maintiennent pour des raisons "politiques" malheureusement...
3/ Concernant la "pénibilité" des traces d'apprentissage. Je suis 100% d'accord et je crois que ça m'a servi d'être nommé grand chef à plumes très vite après mon internat. Parce que j'ai vécu les 2 côtés de la barrière en un court espace de temps.
J'ai tutoré probablement environ une cinquantaine d'étudants et ai délivré le verdict final sur plus d'une centaine de port-folios.
Dans la progression d'un interne sur ses traces d'apprentissage, il y a un point de basculement qui est très visible. Il va y avoir UNE trace
qui va montrer que l'interne a compris ce qu'est être réflexif. Une fois ce cap passé, l'écriture des traces devient immensément plus facile. Et, pour moi en tant que tuteur, quand je savais que ce cap était passé, c'était à peine nécessaire que je lise les traces suivantes
pour savoir qu'elles étaient validées. Là où j'étais vent debout contre THE doxa, c'était qu'il fallait laisser aux internes le temps d'arriver à cette étape. Pas de leur forcer ras-la-gueule de traces, de carnets de bords, avec des canevas rigides
et des obligations de rendu à telle date sinon le stage est invalidé, etc. C'est ANTI-pédagogique de faire ça, ça ne peut que conduire au burn-out des internes, à ce qu'ils s'échangent leurs traces et à ce qu'ils "jouent l'acteur" en prétendant faussement avoir compris les
capacités d'auto-formation et de réflexivité, juste pour plaire à leur tuteur/DMG. Le problème de ces internes (et donc de ces DMG coercitifs), c'est qu'une fois lâchés en tant que MG diplômés, s'ils n'ont pas compris ces deux notions, il n'y a plus personne pour les guider.
Et ce sont justement 99% du temps ces internes qui vont ensuite venir réclamer plus de cours théoriques ou biomédicaux. Parce qu'en fait, ils sont perdus face à leurs patients, ne comprennent pas l'incertitude en MG, ne comprennent pas que personne dans le système n'est là pour
aider le MG isolé face à un problème complexe, ou que les patients ne sont jamais ceux des livres.
Je peux vous dire que j'en ai vu des vertes et des pas mûres en séances de soutenance du DES, quand j'ai récupéré les miettes de mes prédécesseurs au DMG.
Des internes paranoïaques qui pensaient que les patients leur collaient des pièges diagnostiques ou thérapeutiques juste pour les embêter.
Des internes incapables de maîtriser leurs émotions face au patient dont ils doivent annoncer une suspicion de maladie grave.
Des internes
incapables de gérer une comptabilité, même pour leur ménage.
Des internes avec un sentiment de toute-puissance reposant sur des connaissances cliniques insuffisantes.

Il y en a beaucoup qu'on a quand même validé, parce qu'ils avaient fait le taff demandé durant leur internat,
toutes leurs heures de cours, leurs stages, leurs travaux écrits comme demandé, mais sans jamais en avoir compris le sens ou tiré de leçon pour leur pratique. Ceux-là, on a réussi à maintenir un oeil sur eux (aux dépens de notre santé) en repoussant leur date de thèse et en
continuant notre travail pédagogique, en étant disponibles comme ressource aidante et bienveillante même en post-internat.

Il y en a quelques-uns qu'on a fait redoubler, parce qu'en fait, on savait qu'ils allaient à la catastrophe. Et incidemment, on apprenait quelques mois
plus tard, qu'ils abandonnaient la MG parce que c'était trop dur... ou parce qu'ils avaient déjà 3 ou 4 plaintes aux fesses après 6 mois de remplacement.
3/ Comme tout système pédagogique, depuis la maternelle jusqu'au doctorat, le système est aussi conçu pour repérer et limiter les tricheurs, les menteurs, et souvent aux dépens des efforts des personnes de bonne foi. Je crois qu'il n'y a jamais rien de parfait en ce sens.
En tant qu'universitaire et responsable de DMG, ex-interne, je savais bien que des traces s'échangaient sous le manteau. Je savais bien que certains port-folios étaient à 90% pipeautés. Du coup, on a mis en place une épreuve de soutenance du DES, où on pouvait détecter les
fraudeurs au moment de leur présentation de leurs pseudo-travaux passés, mais qu'on transformait en petit salon de conversation pour ceux qui étaient dans les clous et avaient atteint les 2 objectifs mentionnés plus tôt.
Nous savions que cette épreuve de soutenance pouvait créer
de l'anxiété non nécessaire chez des gens pourtant bien dans les clous, mais du point de vue d'une masse d'internes à gérer, nous avions besoin de ce tamis pour identifier les fraudeurs, telle cette interne qui avait tellement falsifié son port-folio qu'elle en avait été jusqu'à
copier/coller les diapos de sa soutenance sur une autre interne, mais... dans le désordre et sans savoir ce qui était écrit dessus. Elle n'avait évidemment pas été validée.
4/ Les principes d'enseignement de la MG ne sont valables que s'ils sont appliqués dans un cadre de bienveillance, propice au développement personnel, avec un rythme adapté à chaque interne. Appliqués trop strictement, ils deviennent malveillants et perdent tout leur intérêt
pédagogique. Ils deviennent ce que j'appelle de la pédagogologie, la pédagogie pour les gogos, pour les pédants qui pensent que seule la théorie compte et pas la façon de la mettre en pratique. Il y avait un nid à Créteil de ces gens malveillants, et ne vous inquiétez pas,
chers internes, mais certains d'entre eux étaient aussi malveillants avec leurs collègues universitaires qu'avec vous.
Pour être franc et finalement clôturer ce thread trop long déjà, je n'ai pas aimé la façon dont j'ai vu notre système d'enseignement à Bobigny glisser peu à peu
vers plus d'autoritarisme, plus de contraintes, après 2 très bonnes années initiales... Non pas que j'en veuille à quiconque : notre système "bienveillant" était bien trop consommateur humainement, nous n'avions pas les ressources humaines et universitaires nécessaires pour le
maintenir sur le long terme. Je me suis donc progressivement senti mal à l'aise entre ce que je défendais par conviction et la réalité de ce qui changeait sous mes yeux, et cette injonction paradoxale a été un facteur contributif à mon burn-out.
Pour conclure : ce thread avait surtout pour objectif de montrer aux internes ce qui se passe "derrière" le rideau du DMG, que tout n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît et qu'au final, parce que la filière est encore débutante, qu'elle manque de ressources et qu'elle évolue
dans un contexte économico-politico-scientifique fondamentalement anti-MG, je reste persuadé que même les pires malveillants universitaires MG sont de bonne foi bienveillante (juste qu'ils s'y prennent comme des manches et aboutissent au résultat contraire).
Si vous êtes restés jusqu'au bout, merci de m'avoir lu !

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