Savez-vous que la cuve du 1er réacteur nucléaire français fut construite par un carrossier ? Que l’uranium qu’elle contient fût caché dans une mine au Maroc pendant la guerre ? Que ce réacteur devait s’appeler « FLOP »…
Thread : Zoé, anecdotes atomiques (1945-1948).
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1/ En mars 1946, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) prend possession du fort de Châtillon dans le sud de la région parisienne (Fontenay-aux-Roses). Ce fort qui date de 1876 sert alors à emprisonner et fusiller des collaborateurs (photo : départ d’un convoi mortuaire).
2/ C’est notamment le cas de Joseph Darnand (1), figure de la collaboration, des journalistes Jean Hérold-Paquis (2) et Jean Luchaire (3) ou encore du politique Marcel Bucard (4). Ce dernier est fusillé le 19 mars 1946…
3/ Les agents du CEA découvrent un lieu sinistre et désolé avec impacts de balles et traces de sang sur les murs. C’est ici qu’ils vont construire le 1er réacteur #nucléaire français. Pour commencer les travaux, on se débrouille pour trouver du matériel de l’armée américaine.
4/ Les 1ers travaux sont réalisés dans des casemates mal éclairées et avec des débris qui dégringolent sur la tête des ingénieurs. Hélène Emmanuel, ingénieure : « On nous demandait des précisions au demi pour cent, mais souvent la présence de corps étrangers faussait tout ».
5/ Pour améliorer ces conditions, on fait construire 27 chalets en bois sans permis de construire. Ces chalets sont « importés » de la zone d’occupation française en Allemagne. D’ailleurs, des prisonniers allemands participent à la construction du site nucléaire.
6/ La réacteur Zoé est donc construit avec les moyens du bord. Le bâtiment du réacteur est notamment réalisé avec des briques issues des chantiers de démolition de bâtiments industriels des alentours. A l’intérieur du bâtiment du réacteur, c’est également assez archaïque…
7/ Quelques illustrations : On va utiliser par exemple un fût de canon automatique 40 mm M1 (photo) des surplus de l’armée pour « collimater » (viser) les neutrons. La photo a été prise cet été lors de ma visite de la pile Zoé.
8/ Dans la même idée, une vieille chaîne de moto sert à actionner le chariot de déchargement des radioéléments. Pour mesurer le niveau d’eau lourde, on assemble plusieurs décimètres d’écoliers…ne disposant pas d’une règle assez grande (photo) !
9/ A l’époque, il n’existe pas non plus d’atelier de fabrication de cuves pour réacteur nucléaire. Marc Ammerich, spécialiste de la radioprotection, m’a expliqué que la cuve du réacteur fut fabriquée par un carrossier du coin avec des morceaux d’aluminium soudés entre eux !
10/ Par peur d’un problème, on a tout de même fabriqué une cuve de rechange « d’une seule pièce ». Elle trône toujours au-dessus du pupitre de commande (photo de cet été également). La cuve du carrossier a tenu les 30 ans du fonctionnement du réacteur (1948-1976).
11/ Lew Kowarski, le pilote du projet souhaite appeler le réacteur « French Low Output Pile », acronyme « FLOP » ! Il était déjà le pilote du 1er réacteur canadien « ZEEP » (Zero Energy Experimental Pile), le 1er à démarrer hors des USA (Septembre 1945) :
12/ Évidemment, l’idée d'appeler « FLOP » le 1er réacteur nucléaire français est immédiatement abandonnée pour un nom plus français : Zoé (Zéro énergie, Oxyde d'uranium et Eau lourde).
13/ Pour l’uranium, on utilise des stocks cachés dans une mine au Maroc pendant la guerre et on découvre par hasard de l’uranate dans un wagon en gare du Havre. Les cheminots de la SNCF pensent que c’est un colorant et ce wagon n’a jamais intéressé personne !
14/ Il faut alors fabriquer de l’uranium métal pour le réacteur. Bertrand Goldschmidt, un des pionniers du CEA échange avec le physicien Bruno Pontecorvo (photo), alors au Canada, qui lui donne le conseil suivant : Démarrer un réacteur rapidement c’est asseoir sa notoriété.
15/Goldschmidt (vidéo) propose d’utiliser non pas de l’uranium métal qu’on ne sait pas encore fabriquer en France mais de l’oxyde d’uranium, purifié à l’usine du Bouchet (Essonne, démarrage 1946). On renonce donc à un dégagement notable d'énergie pour gagner quelques années !
16/ Pour l’eau lourde, qui va servir de modérateur, les contacts établis avec les Norvégiens en 1940 sont fructueux. Voir ce thread pour comprendre cette histoire :
17/ Tous les ingrédients sont donc réunis et il faut 15 mois ½ seulement entre la décision de construire la pile Zoé et le jour de sa divergence (démarrage), le 15 décembre 1948. Le jour de la divergence, l’attente fut longue !
18/ Kowarski actionne régulièrement le bouton de la pompe à eau lourde pour remplir la cuve… Frédéric Joliot-Curie explique « L’atmosphère était analogue à celle qui règne dans une salle d’accouchement ». Sur cette photo, des physiciens sont en pleine attente…
19/ Dans la salle de commande, on boit de l’alcool et mangeant des sandwichs. Kowarski (à droite) continue d’actionner la pompe en mangeant une banane. L’aiguille indiquant la présence de neutrons s’agite fortement et le réacteur diverge à 12h12.
20/ A l’époque, les dangers de la radioactivité ne sont pas la priorité des concepteurs de la pile Zoé. Quand on demande à Kowarski ce qu’il fera si les radiations se manifestent à Châtillon, il répond : « Nous pavoiserons ».
21/ Le 20 décembre 1948, Zoé est inaugurée en grande pompe par Vincent Auriol, premier président de la IVe République qui déclare : « Voici une réalisation qui ajoutera au rayonnement de la France ».
22/ La pile Zoé marque donc le début de l’ère #nucléaire française en servant d’outil de recherche et produisant des radioéléments pour la médecine et l’industrie. Elle permet également l’extraction du 1er milligramme de plutonium dans l’usine du Bouchet en 1949 (photo).
23/ Zoé sera fêtée dans la presse mais aussi de manière plus originale : Un soda « atomique » (non radioactif !) sort tournant 1940-1950 en son honneur !
24/ Aujourd’hui, le site du CEA Fontenay-aux-Roses se consacre à la recherche, au développement et à l’innovation dans le domaine de la santé...mais on peut toujours visiter la pile Zoé !
FIN
25/ Merci à @butch2k et @e_punctatus et Marc Ammerich pour les échanges et infos !
Savez-vous que cette superbe tour aéroréfrigérante accueille un manège ? Qu’elle est située sur le site d’une ancienne centrale #nucléaire allemande devenue un parc d’attraction ?
Fil : Kalkar, une histoire de neutrons rapides et de sensations fortes…
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1/ Avant-propos : Merci @Kako_line pour l’invitation à travailler sur le sujet des tours aéroréfrigérantes décorées.
Celle de la centrale nucléaire de Kalkar en Allemagne a sans doute l’histoire (thread non exhaustif) la plus incroyable !
C’est parti.
2/ Dès le début de l’ère nucléaire, l’idée de surgénération (capacité d'un réacteur nucléaire à produire plus d'isotopes fissiles qu'il n'en consomme) est en vogue et les projets de piles couveuses (breeder) se multiplient (Experimental Breeder Reactor I dans l’Idaho, USA, 1951).
Point de situation au 5 septembre 2023 concernant la situation à la centrale #nucléaire de #Zaporijjia.
🇺🇦🇷🇺☢️Un fil à dérouler🧵🔽
1/ Sur la situation générale de la centrale #nucléaire : 5 réacteurs sur 6 sont en arrêt à froid. Le réacteur 6 est en arrêt à chaud et produit de la vapeur pour des besoins de sûreté depuis le 13 août 2023 (notamment pour le traitement des déchets radioactifs liquides).
2/ Le réacteur 4 a été transféré d’arrêt à chaud vers arrêt à froid en raison d’une fuite d'eau depuis le circuit primaire vers le circuit secondaire au niveau d’un des générateurs de vapeur (GV) du réacteur survenue le 10 août.
Point de situation au 20 juin 2023, avec un éclairage historique, concernant la sûreté de la centrale #nucléaire de Zaporijia depuis la destruction du barrage hydroélectrique de #Kakhovka.
Un fil à dérouler 🔽🇺🇦🇷🇺🧵
1/ Dans la nuit du 6 juin 2023, le barrage hydroélectrique de #Kakhovka, sur le Dniepr (Nova Kakhovka, oblast de Kherson) est détruit entrainant en aval de fortes inondations aux conséquences humaines, sanitaires et environnementales dramatiques.
2/ Construit dans les années 1950, le barrage (photos) a créé en amont le réservoir de Kakhovka sur le Dniepr, long de 240 km et jusqu'à 23 km de large. L’ensemble barrage/réservoir permet notamment l'irrigation de terres agricoles du sud de l'Ukraine et du nord de la Crimée.
Le Plan particulier d'intervention (PPI) présente une cartographie des communes impactées par des mesures en cas d’accident #nucléaire dans un rayon de 0-20km autour d’une centrale.
Thread : Tour d’horizon des cartes des PPI pour les 18 centrales nucléaires en exploitation.
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1/ Avant-propos : Un PPI propose une représentation cartographique du risque et est dimensionné sur un accident et des conditions météos donnés.
Les conséquences/mesures d’un accident « réel » peuvent bien entendu déborder ou non de la cartographie du PPI.
C’est parti. ⬇️🧵
2/ Cartographie du PPI de la centrale nucléaire de Belleville (Cher).
On en parle moins donc c’est le moment de faire un point sur la situation de la centrale #nucléaire de #Zaporijjia.
Point de situation au 6 mai 2023
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1/ Tout d’abord, les 6 réacteurs ne produisent plus d’électricité. Au moins 5 sur 6 sont même en « arrêt à froid ». Jusqu’alors, un ou deux des réacteurs étaient maintenus en « arrêt à chaud » pour alimenter en chaleur le site et la ville voisine d’Enerhodar.
2/ Si les réacteurs ne produisent pas d’électricité, ils ont toutefois besoin d’être refroidis pour des raisons de sûreté et donc d’être alimentés en électricité. Une seule ligne électrique de 750 kV fonctionne actuellement sur les 4 disponibles avant le conflit.
19 octobre au 18 décembre 1964 : Le réacteur #nucléaire PAT (prototype à terre) du CEA Cadarache) « prend la mer » pour une croisière fictive autour du monde.
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Tous les jours, sur la base d'un rendement de propulsion supposé, l'énergie produite est transformée en milles marins et la position du « bateau » reportée sur la carte.
En réalité, le réacteur ne bouge pas, au fond de sa « piscine ».
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Ce type de réacteur sera installé à partir de 1971 sur les sous marin nucléaires lanceurs d'engin français (SNLE), dont le premier sera le Redoutable.