Les Français souhaitaient-ils la guerre contre les Etats allemands en 1870 ?
Une lecture à travers le prisme déformant de 1914 a voulu en faire une guerre nationale, à l’avant-garde des « guerres totales » du XXe siècle. Un thread ⬇️ 1/22
C’est en réalité un enjeu dès la capitulation du 2 septembre 1870. Napoléon III tente de se cacher derrière les Français : « Je n’ai pas voulu cette guerre. L’opinion publique m’y a forcé ». 2/22
Quant aux républicains qui avaient fustigé cette « guerre dynastique » en juillet, ils la poursuivent en septembre en en faisant désormais une guerre pour la survie de la Nation 3/22
En réalité, on sait maintenant qu’il faut abandonner le mythe du «taureau gaulois» abusé par le «chiffon rouge» de Bismarck, et comprendre davantage la déclaration de guerre comme un coup politique de l’entourage autoritaire de NIII 4/22
Mis à l’écart par le tournant libéral du régime, ils espéraient revenir sur le devant de la scène avec un conflit qu'on croyait facilement gagné. Bcp étaient marqués par un «aveuglement collectif» (l'expression est de @GillesVogt ) quant à la réalité de la puissance allemande5/22
L’opinion publique était-elle favorable à la guerre à l’été 1870 ? Cela dépend de ce que l’on tient pour l’ « opinion publique » : la pop des grandes villes qui lit et commente l’actualité, qui occupe la rue à l’occasion ? ou le reste, l’immense majorité paysanne et rurale ? 6/22
Du reste, comment étudie-t-on l’opinion publique ? L’appareil d’Etat grandissant du XIXe s. nous a laissé des sources administratives précieuses (rapports des préfets, des procureurs…). La presse connaît également un bel essor durant la période. 7/22
Mais se fonder uniquement sur ces sources entraîne d’importants biais : l’opinion rapportée de la population est une construction, qui n’existe que dans sa relation avec le pouvoir qui la convoque. C’est le pouvoir qui pose les questions et les alternatives 8/22
J’aime tout particulièrement cette formule très ambigüe du préfet de l’Hérault en 1867, alors que de premières tensions sont apparues avec la Prusse : « ce serait une grande erreur de croire que, la guerre l’emportant, elle serait impopulaire dans le département » 9/22
Les historien-e-s utilisent donc aussi ce qu’on appelle les écrits du for privé (comme les journaux intimes) et les correspondances. Plutôt que des alternatives binaires consentement/refus, ces sources permettent d’écrire une histoire plus fine de l’engagement des acteurs 10/22
L’inspiration est venue en particulier des historien-e-s de la 1GM (par ex. F. Rousseau) qui ont remis en cause cette notion si commode de « guerre totale » : la guerre, aussi mobilisatrice soit-elle, n’a jamais pu recouvrir toute l’épaisseur du social 11/22
Participer ou obéir est-ce consentir ? On peut accepter le temps de la guerre, tout en investissant les marges de manœuvre qu’il nous laisse et y chercher ses propres avantages 12/22
J’ai cherché à appliquer ces réflexions à la source que j’étudie dans mon livre. On y voit un homme qui dénigre aisément le zèle des uns et la dérobade des autres, tout en cherchant pour ses propres fils à leur éviter le service militaire… 13/22
De multiples stratégies sont déployées : rachat par un remplaçant, dispense, mobilisation du réseau social, recherche de postes moins exposés… Il faut pour cela naviguer dans des réglementations changeantes et soumises à de fortes pressions politiques 14/22
Autant de possibles qui sont réservés à une minorité privilégiée. Cela ne dispense pas d’ailleurs de la nécessité de faire bonne figure: il faut montrer son engagement (emprunt national, dons aux blessés…), et faire attention au regard des autres 15/22
L’épouse de notre témoin craint ainsi que son fils, faisant partie des notabilités du Mâconnais, ne s’y laisse entraîner par la pression sociale. Alors qu’anonyme à Paris « il n’aurait point d’honneur se montrer » 16/22
A l’autre fils, on conseille de se faire employer aux services des blessés de l’hôpital de Mâcon. A Paris, son père ne manque pas d’en parler : « Je dis qu’il a fait cela à toutes les personnes qui me demandent de ses nouvelles » 17/22
Lui-même déclare que le service de la Garde nationale est « un devoir auquel nous ne devons pas nous soustraire », mais ne se presse guère pour s’y inscrire… « s’il y a un délai de trois jours, j’y irai le troisième jour et pas plus tôt » 18/22
On ne peut donc pas conclure du déroulement de la mobilisation que l’accord était complet avec la guerre. On voit comme de multiples raisons (liens affectifs, distinction sociale…) peuvent expliquer l’engagement plus ou moins complet des individus 19/22
Pour ce conflit, l’écrit reste cependant à une écrasante majorité le monopole des classes les plus aisées. On dispose bien moins que durant la 1GM de traces écrites issues de ceux qu’on appelle les « peu lettrés » (@andreloez et ses graffitis de mutins) 20/22
Cela empêche de connaître mieux l’engagement des classes populaires, dont les actions et opinions sont rapportés par d’autres : ainsi, mon témoin qui décrit les paysans de son village du Mâconnais comme « peu patriotes » et « peu courageux »…21/22
Il y a quelques exceptions néanmoins, et je ne peux que conseiller pour finir la lecture du journal de Jean Bart, vigneron de Côte d’Or et garde mobile devant Paris pendant le siège 22/22
Lors du siège de Paris entre sept 1870 et janvier 1871, on fut contraint de manger du rat, du chien, du chat et les éléphants du Jardin des Plantes…
Une image d’Epinal construite dès l’après-guerre et qui masque les enjeux politiques et sociaux de la famine : un thread ⬇️ 1/16
La faim a été l’un des aspects les plus centraux dans la mémoire du siège : pour une population urbaine qui a connu une nette amélioration de son alimentation tout au long du XIXe s., elle était perçue comme un anachronisme 2/16
C’est pourquoi images, témoignages et mêmes objets de consommation circulent rapidement après la guerre sur le sujet, comme ce cadre qui contient un morceau de « pain du siège » (mélange peu ragoûtant de farine, de paille et diverses légumineuses) 3/16