Le #RN est clairement le 1er parti au sein des classes populaires.

Pour que cela change, je crois qu'il faut que la gauche soit capable de convaincre sur 3 choses : l’insécurité, le travail et la crédibilité économique.
#UnpopularOpinion

Ne vous fâchez pas, j’explique.

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En 2022, Marine Le Pen a recueilli au premier tour plus d’un tiers des voix des classes populaires (ouvriers et employés).

Par rapport à 2017, elle a même légèrement amélioré son score chez les employés.
Le visuel du report des voix entre 2017 et 2022 montre qu’en l’espace de 5 ans, la gauche n’a récupéré à peu près AUCUNE voix au Rassemblement national !

twitter.com/mathieugallard…
Autrefois, les classes populaires penchaient plutôt à gauche.

Par exemple, c’est relativement récemment que la gauche est devenue le camp des diplômés, plutôt que celui travailleurs moins qualifiés.

(@PikettyLeMonde, Capital et idéologie, Seuil, 2019, p. 842, graphique 14.1.)
En 1995, #Jospin obtenait quand même 37 % du vote ouvrier au 1er tour.

Mais après 5 ans à la tête du gouvernement, il n’en restait plus que 13 % au 1er tour de 2002 !

(@pascalperrinea1, dans La démocratie de l’entre-soi, 2017, p. 135.)
@fhollande avait pour ennemi la finance pendant la campagne de 2012. Une fois élu, il mènera des politiques de compétitivité.

Sa justification ? Les gens « veulent rêver » lors d’une élection.

(G. Davet, F. Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça, 2017, p. 347.)
Bref, le lien de confiance entre gauche et classes populaires a été complètement rompu.

Et le bon score de LFI est à relativiser. C’est encore loin d’être suffisant pour parvenir au 2nd tour, et + encore pour l’emporter et obtenir une majorité à l’Assemblée.
Alors maintenant, comment faire pour que le RN ne soit plus le 1er parti pour les classes populaires ?

Eh bien, je crois qu’il faudrait commencer par 3 sujets qui mettent en général les partis de gauche assez mal à l’aise : l’insécurité, le travail et la crédibilité économique.
1) L’insécurité

On entend souvent dire qu’il s’agit d’un sujet piégé qui ne pourrait profiter qu’à la droite.
Je ne sais pas.
Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un sujet qui préoccupe davantage les classes populaires que les classes supérieures. Il faut donc le traiter.
L’erreur pour la gauche n’est pas de se laisser entraîner sur le terrain de l’insécurité.

L’erreur est d’accepter le cadrage selon lequel la sécurité appartiendrait aux enjeux identitaire.

Ce cadrage venu de l’extrême-droite ne me paraît pas spécialement ancré dans la réalité…
Les cadres des métropoles ont besoin d’une foule de travailleurs peu qualifiés, flexibles et peu rémunérés.

Ils se concentrent dans des quartiers sans mixité sociale, avec un chômage massif et un désengagement de l’État. Est-ce étonnant qu'il y ait des problèmes de délinquance ?
Si on n’envoyait pas dans ces quartiers de jeunes policiers appartenant aux classes populaires de la « France périphérique », souvent peu formés et mal équipés, il y aurait probablement moins de tensions identitaires dans le pays.
Si le trafic de cannabis pourrit de nombreux quartiers en France, c’est parce qu’il y a des millions de consommateurs.

Est-ce en disant que la drogue « c’est de la merde » ou en expulsant les criminels étrangers que l’on réglera le problème ?
Cela est peu probable.
Et pourtant, les gens qui portent ce type de discours ont plus de crédibilité que tous les responsables de gauche en matière de sécurité.

Voilà un immense échec, alors qu’il est clair que l’insécurité est aussi – voire surtout – un problème économique et social !
(IFOP, 01/2022)
Pourquoi la gauche aurait-elle peur de se salir les mains en parlant d’insécurité ? Alors que ce sont les classes populaires qui sont touchées ⤵️

En revanche, elle doit montrer que le réel, sur ces sujets, est plus social et économique qu’identitaire.

(Ministère de l’intérieur)
2) Le travail

Une bonne majorité des 🇫🇷 estime qu’il y a trop d’« assistanat » dans le pays. Les employés et les ouvriers ne sont pas en reste.

Voilà encore un sujet que la gauche préfère éviter.

(Ipsos, Fractures françaises, vague 9, 2021)
Évidemment, la droite et l’extrême-droite en profitent.

L’une, surtout pour dénoncer un pays de fainéants gavés de transferts sociaux.

L’autre pour pointer du doigt les immigrés qui vivraient d’allocations diverses au détriment du travail des « vrais » Français...
Mais l’opinion des gens est plus complexe que cela.

58 % des employés et 62 % des ouvriers jugent qu’il faudrait augmenter le RSA.

Il est vrai d’ailleurs que les minima sociaux en France sont à un niveau absolument indigne ⤵️
Mais, le cœur du problème pour les 🇫🇷 (et + encore dans les classes populaires), ce n’est pas la redistribution, c’est le travail ! ⤵️

Les Gilets jaunes ne demandaient pas davantage de prestations. Ils voulaient vivre dignement de leur travail.
Et là, le bilan de la gauche au pouvoir n’est pas fameux.

Souvent, elle s’est contentée de corriger a posteriori les maux de l'adaptation à la mondialisation (chômage, désindustrialisation) par de la redistribution, au lieu d’avoir le plein-emploi comme priorité.
Ainsi, la désindustrialisation n’a pas plus ému la gauche que la droite. Et pourtant, la disparition de nombreuses tâches de production a complètement inversé le rapport de force entre classes sociales.
L’industrie donnait une visibilité énorme à la contribution des classes populaires à la richesse nationale. Ce qui leur permettait de lutter pied à pied.

Mais maintenant que l’on préfère acheter ailleurs (ce qui est une aberration environnementale), que reste-t-il ?
Surtout des fonctions mal rémunérées et peu reconnues, dans des métropoles où le logement est hors de prix, au service des cadres qui, eux, sont devenus les « premiers de cordées » de la nation.
La solidarité nationale, ne devrait pas se limiter à de la redistribution en faveur des gens touchés par les politiques de compétitivité.

Elle devrait consister à veiller à ce que toutes les classes sociales puissent contribuer utilement et visiblement à la prospérité du pays.
(Je précise d’ailleurs que pour « revaloriser » le travail, plutôt que réduire ou conditionner les prestations sociales, il serait sans doute plus juste et plus efficace de créer suffisamment d’emplois stables et rémunérateurs au sein de la collectivité.)
3) La crédibilité économique

Ce terme fait un peu peur, car il sert en général à rejeter toute alternative aux politiques en place.

C’est en son nom que le PS est devenu le chantre des politiques de compétitivité (couplées à de la redistribution, pour rester « de gauche » 😅).
Mais il reste que, dans l’espace public, la gauche de rupture a un déficit de crédibilité sur les questions économiques. Ce qui lui porte préjudice.

Après tout, le sujet central de la campagne a été le pouvoir d’achat, et c’est l’extrême-droite qui est au 2ème tour !
Quand @JLMelenchon est invité sur les plateaux, il y a quasi-systématiquement une objection qui revient : « Tout cela est très beau, mais est-ce réaliste ? »

Ou bien : « Nous ne sommes pas seuls au monde, il existe des contraintes économiques ».

C’est un vrai problème.
En effet, il ne faut jamais oublier que la télévision est la première source d’information pour les 🇫🇷, en particulier dans les classes populaires.

Et plus encore chez les retraités (notamment pour les retraités CSP-).
Or, l’électorat retraité est clé pour changer le rapport de force électoral.

On a souvent pris l’habitude de se moquer d’une génération qui vote massivement pour LREM ou LR et qui est majoritairement favorable à un recul de l’âge de la retraite.

Mais c’est en partie injuste.
Les retraités ne forment pas une classe sociale.

En 2019, d’après l’INSEE, parmi les inactifs ayant déjà travaillé, il y avait :
12 % de cadres,
21 % de professions intermédiaires,
31 % d’employés,
25 % d’ouvriers.

Soit près de 10m de personnes pour les ouvriers et employés !
Mais il est vrai que, d’après les résultats des sondages, les retraités CSP+ et CSP- ont généralement des opinions et des intentions de vote assez proches.

(D’ailleurs, merci aux sondeurs qui prennent la peine de distinguer les 2 catégories 😉)
Cet alignement des CSP- sur les CSP+ peut tout à fait se comprendre.

Quand nos moyens de subsistance dépendent quasi-ENTIÈREMENT du bon fonctionnement du système économique, quand on n’a plus l’âge de travailler et de rebondir, il est naturel de vouloir le maximum de stabilité.
Si l’économie vacille, si le système s’effondre, les retraités, surtout les retraités modestes avec peu de patrimoine, ne pourront tout simplement plus bouffer !...

D’où un attachement à l’Europe, à des politiques économiques « raisonnables » et, aujourd’hui, à Emmanuel Macron.
Est-ce insurmontable ? Non.

Mais il faut prendre au sérieux ces réticences, en se souvenant qu’une partie non négligeable des classes populaires sont à la retraite, et qu’elles ont de bonnes raisons d’être inquiètes de ce qui semble un saut dans l’inconnu.
Mais alors, comment gagner en crédibilité ?

Ce fil est déjà long, et cela nous amènerait sans doute un peu trop loin pour aujourd’hui.

Mais si vous êtes intéressés, dites-le moi, et je pourrais développer un peu mon point de vue sur le sujet à l’occasion 😉

FIN
Sources :
- Sondage IFOP : ifop.com/wp-content/upl…
- Image assistanat : @YvesFaucoup, blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/b…
- Baromètre DREES : drees.shinyapps.io/Barometre-DREE…
- Sondage Ipsos crédibilité : @BriceTeinturier, @mathieugallard, ipsos.com/fr-fr/presiden…
- Manière de s’informer : Ipsos, 3ème vague de l’enquête électorale, décembre 2021, p. 56.

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Mar 4
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Du coup, nous sommes un peu démunis quand elle frappe à la porte…

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(Je précise que je n’ai aucune expertise particulière sur le conflit en cours.

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academia.edu/12650106/2015_…)
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Feb 15
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« Aujourd’hui, ce conflit ne permet plus de comprendre le choix de vote des 🇫🇷 »

Oui pour le clivage DROITE-GAUCHE.
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(Ipsos, vague 5)
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Dec 8, 2021
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Mais est-ce que les classes populaires paient vraiment la retraite des classes supérieures ? Ou est-ce plutôt le contraire ?

Eh bien, c’est une question compliquée !
👇

Comme le rappelle ici ⤵️ @fipaddict il y a beaucoup de paramètres en jeu : l’espérance de vie bien sûr, mais aussi le nombre effectif d’années à la retraite, le taux de remplacement, etc.

Heureusement, le @COR_Retraites (Conseil d’orientation des retraites) a publié en octobre dernier une étude sur les effets redistributifs du système de retraite sur cycle de vie ⤵️

On peut donc voir un peu mieux de quoi on parle.

cor-retraites.fr/node/576
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Dec 6, 2021
Un encadré intéressant dans la dernière note de blog de l'@InseeFr sur les comparaisons internationales en matière de santé.

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Quant à la production marchande financée par les ménages on a 2,6 points de PIB pour l'🇩🇪 et 2,1 points pour la 🇫🇷

On pourrait donc en déduire que le système de santé public allemand coûte énormément moins cher que le système français, sans surcoût énorme du côté des ménages.
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Nov 10, 2021
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On en déduit alors que les classes populaires seraient conservatrices.

Mais est-ce vrai ? 🤔
👇👇
De la gauche « sociale » qui fustige la gauche « sociétale » à la droite (ou l’ED) qui prétend défendre les classes populaires contre le « wokisme », l’idée s’est installée que les classes populaires seraient mal à l’aise avec les sujets « progressistes ».
Pourtant, ce récit ne paraît pas très bien étayé. Et, en tout cas, les sondages dessinent un tableau autrement plus nuancé de la population 🇫🇷
Read 28 tweets

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