Thread by @vvantighem

#Bretigny : Bonjour à tous ! En ce mercredi, nous sommes au sympathique tribunal judiciaire d'Evry pour couvrir le procès censé faire la lumière sur la catastrophe ferroviaire de Bretigny-sur-Orge, le 12 juillet 2013. cc @BFMTV

#Bretigny : Cet après-midi, le tribunal doit entendre Laurent W. Cheminot, il est la seule personne physique à être renvoyée pour cette catastrophe qui a causé la mort de 7 personnes et fait plus de 400 blessés.

#Bretigny : Cet homme est le cadre qui a effectué la dernière tournée de surveillance sur les voies et qui n'avait rien remarqué d'anormale. Il doit répondre d'une "appréciation fautive", celle d'avoir effectué cette inspection avec une attention "manifestement insuffisante".

#Bretigny : Sur le banc des prévenus, on trouve également deux personnes morales : la SNCF et la SNCF Réseau (jadis nommée RFF pour Réseau Ferré de France). Elles sont renvoyées pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires".

#Bretigny : Pour l'instant, la présidente en est à la lecture des casiers judiciaires. Et celui de la SNCF est garni. Il abrite toutes les condamnations pour "homicides involontaires par personne morale" survenues après des accidents.

#Bretigny : Au milieu, la présidente du tribunal, Cécile Louis-Loyant, exhume une condamnation pour "abus de faiblesse" prononcée à Epinal, avec une amende à la clef. « Tiens, c’est surprenant ça ?! »
Personne ne sait à quoi elle correspond exactement...

#Bretigny : La présidente appelle Laurent W. le cheminot renvoyé dans cette affaire. Lunettes à grosses montures, chemise bleue sur le dos, il pose ses deux mains de part et d'autre du pupitre.

#Bretigny : « Je suis très ému de … de me présenter devant la barre. Et je pense que je le serai chaque jour de ce procès. Mes pensées vont vers les familles des victimes et les blessés de cette catastrophe qui n’aurait jamais dû se produire. »

#Bretigny : « J’ai en tête les victimes. Et je les aurai à jamais. Il ne s’est pas passé un jour sans que je ne pense à ce terrible accident. C’est pour cela que je répondrai à toutes les questions de façon libre et honnête. »

#Bretigny : « A force de travailler... A force de voir… Je connais le nom des victimes... »
Le jour de l’accident, il était en voiture. Il rentrait de vacances dans le Sud.
« Mais j’étais là assez rapidement sur les lieux. Le lendemain matin. Le samedi 13 juillet 2013... »

#Bretigny : Laurent W. dispose d'un diplôme d'ingénieur. Il est aujourd'hui âgé de 33 ans. Il s'exprime d'une voix claire.

Son audition de cet après-midi ne portera pas sur les faits mais sur sa personnalité.

#Bretigny : Il était en stage au sein de la SNCF quelques mois avant la catastrophe. Il a découvert plusieurs métiers. « Le métier 'Voies', ça a été un coup de cœur. » Le prévenu parle de son activité avec enthousiasme, passion.

#Bretigny : Laurent W. a été immédiatement embauché à l'issue de son stage. En CDI. A l'époque, il touchait un salaire de 1.800 / 2.000 euros nets par mois. Nous sommes alors en septembre 2011.

#Bretigny : Une trentaine de parties civiles sont installées dans le prétoire. Toutes ont le regard tourné vers la barre où Laurent W. continue de répondre aux questions de la présidente.

#Bretigny : A son arrivée en septembre 2011, Laurent W. alterne les semaines de formation interne et les semaines sur le terrain. Son apprentissage dure environ un an.

#Bretigny : « Au bout de 8 / 10 mois, on nous présente les référentiels SNCF. Des documents pour la sécurité qu’il faut connaître et maîtriser. Spécifiquement concernant les ‘Voies’, parce que c’est ce que je faisais. »

#Bretigny : Toujours affable à la barre, le prévenu parle volontiers de son métier. Pour vous donner une idée, on est là sur les relevés d’ouverture de joints, la dilatation du rail, les déformations...

#Bretigny : Il explique qu'il devait bucher les "référentiels" (manuels de théorie) avant d'être "habilité" à prendre son premier poste.

#Bretigny : « Cette habilitation n’était pas donnée. »

#Bretigny : Ce n'est que le début du procès, le début de l'audition de personnalité. Mais il y a comme une espèce de décalage entre l'enthousiasme avec lequel le prévenu parle de son métier et les raisons pour lesquelles il comparaît aujourd'hui.

#Bretigny : Mais on comprend aisément qu'il n'a pas été "lâché" sur les voies sans formation, sans contrôle.

#Bretigny : Il égraine les postes qu'il a occupés et les noms de ses supérieurs à chaque étape. Là, il évoque le poste "d'Assistant Sécurité" qu'il a occupé un temps.

#Bretigny : Très dynamique depuis ce matin, la présidente n'hésite pas à faire montre d'humour. Tout à l'heure, elle a lâché un petit 'old school' du meilleur effet à l'endroit d'Emmanuel Marsigny...

#Bretigny : ...Et là, elle vient de s'agacer de l'utilisation du mot "veille". « Le mot 'veille' on l’entend partout. Mais il fait rien le veilleur, il tient la bougie, c’est tout ! »

#Bretigny : // Léger aparté pour vous dire que j'envisage sérieusement de publier un comparatif des bancs des tribunaux de France et de Navarre. Gros combat entre Créteil et Evry dans la catégorie 'Dureté & Inconfort' //

#Bretigny : Le prévenu explique qu'à ce moment-là, il s'est mis en autonomie sur les missions Sécurité parce qu'il était peu accompagné. Son responsable était occupé par un audit interne.

#Bretigny : Mais il explique qu'il pouvait poser toutes les questions qu'il souhaitait aux autres membres de son équipe.

#Bretigny : Il échangeait régulièrement avec un jeune cadre qui était sorti d'école, un an avant lui. « Ah ?! Un an avant ?! Ah oui ?! », s’étonne la présidente sur un ton sincère.

#Bretigny : Régis, Romain, Nabil, Tomaso...
Il n'est pas exclu que je puisse vous faire un organigramme complet des équipes de la SNCF - 2013 à la fin des huit semaines d'audience. Si je parviens à m'y retrouver.

#Bretigny : La présidente (qui a évidemment bossé son dossier) soutient la conversation sur l'organisation des équipes et les noms qui défilent... Mais, elle a un organigramme à la main. Il est d'ailleurs projeté sur l'écran mais c'est trop loin. Je n'arrive pas à lire...

#Bretigny : Fin janvier 2013 - Début février 2013, il prend un nouveau poste. Mais la transition avec son prédécesseur se passe mal. Ils se croisent une semaine mais celui-ci est débordé en raison des chutes de neige de l'époque.

#Bretigny : Il dispose alors d’une équipe de dix-neuf personnes à gérer. Dans son poste précédent, Laurent W n'avait que deux magasiniers sous ses ordres. A ce moment-là, il est âgé de 23 ans.

#Bretigny : « Vous aviez six mois d'ancienneté ! C'est pas beaucoup... Pas beaucoup pour passer de deux à dix-neuf personnes à gérer », s'exclame la présidente.

#Bretigny : Magnifique 'In concreto' lâché par la présidente dans une question. Toujours les mains de part et d'autre du pupitre, toujours à l'aise, Laurent W. répond sans souci.

#Bretigny : « Une équipe à deux dans un bureau… Une équipe à vingt sur le terrain… C’est quand même pas la même chose. C’est la même paye à la fin mais c’est pas la même chose ! » La présidente toujours aussi naturelle.

#Bretigny : Le prévenue ne nie pas les difficultés rencontrées au départ dans son poste. « J’ai été étonné par la difficulté du travail. Mes chantiers étaient planifiés par mon prédécesseur. Mais à mon arrivée, j’ai été dans le bain tout de suite. On a eu un aléa majeur... »

#Bretigny : Ce qu'il appelle un "aléa majeur" est donc "une rupture de JIC" : un Joint Isolant Collé sur un tronçon. Tout le planning a été bouleversé.

#Bretigny : Grève, feu de traverse, accident de personnes... Laurent W. détaille tous les aléas qui peuvent perturber le planning dont il a la charge.

#Bretigny : La présidente le questionne désormais sur son état d'esprit à ce moment-là.

#Bretigny : « Je suis heureux du poste que j’occupe. Mais l’état d’esprit est difficile parce qu’il y a une grosse charge de travail et parce qu’il y a toujours ce stress de l’aléa... »

#Bretigny : La présidente projette maintenant un SMS qu'il a envoyé à une amie à cette époque là pour tenter de faire comprendre son état de fatigue.

#Bretigny : « Boulot très dur physiquement et mentalement. Je n’ai pas beaucoup de temps pour moi car je me réveille à 5h50 et arrivé à mon appartement à 19h45 sachant que je me couche à 21h pour tenir le coup.
.../...

#Bretigny : .../...
Sinon, le week-end, je me la mets toujours autant et en mode budget illimité comme jamais. La bringue, c’est ma vie… Ca me manque grave nos soirées scandale c’est vrai. »
Extrait d'un SMS projeté

#Bretigny : La présidente projette un second SMS dans lequel il avoue qu'il « en chie grave ». A ce moment là, selon cet écrit, il gère une équipe de 21 personnes et 50 kilomètres de voies.

#Bretigny : La présidente le fait réagir :
« Je charge [dans les SMS] aussi parce que les amis que je vois, je veux leur montrer que j’ai du boulot. Forcément, j’ai été défaitiste. »

#Bretigny : La présidente continue de creuser pour tenter de savoir si le prévenu était "fatigué" à l'époque. On parle maintenant de vacances, de congés et de sorties.

#Bretigny : Le jour de l'accident, il revient de vacances et interrompt ses congés pour prêter main forte. Avant qu'on lui dise qu'il peut, en fait, partir en Irlande comme il l'avait prévu.

#Bretigny : Cet épisode a une importance. Avant de partir en vacances, il laisse son ordinateur dans son bureau en disant, selon lui, qu'il servira à ses collègues et peut-être à la justice. A son retour, l'ordinateur a disparu...

#Bretigny : La présidente a du mal à dissimuler sa circonspection mais ne termine pas ses phrases...
« Il y a quand même des choses … euh … Enfin c’est étonnant! »
« Enfin... Passons... On y reviendra... »

#Bretigny : On en vient sur les conséquences de l'accident sur la suite de sa carrière. « L’accident, je vivais ça comme un échec, déjà. La manière aussi, dont ça été fait. Ca a été très mal amené... »

#Bretigny : En septembre, lors d'une réunion, on lui dit qu'il doit désormais rester chez lui. « On nous a dit : 'Vous quittez vos fonctions et on verra ce qu’on fait plus tard'. »

#Bretigny : Où l'on apprend au détour d'une phrase que le prévenu s'est félicité, dans un SMS, de n'avoir "rien donné à l'Officier de police judiciaire" qui l'a interrogé rapidement après les faits, le 18 juillet.

#Bretigny : Finalement, début 2014, il quitte son poste et change de secteur.

#Bretigny : « Il y a eu un appel à candidature pour me remplacer mais il n’y a pas eu beaucoup de réponses... »
Légers rires jaunes dans les rangs des parties civiles.

#Bretigny : La présidente projette maintenant un dernier SMS après l'accident où il dit à son interlocuteur : « Je suis dégoûté de prendre du sursis pour cette boîte de merde. »

#Bretigny : Il s'explique en disant que l'une des seules réponses qu'il a eues auprès du service juridique de la SNCF, c'était le risque d'être condamné à de la prison avec sursis.

#Bretigny : On projette désormais un autre SMS envoyé juste après sa deuxième audition.
« Je dirais que ça a été cinq heures longues et difficiles. J’aurais pas cru mais c’est trop dur de tourner plusieurs fois sa langue à essayer de ne pas bien se faire comprendre. »

#Bretigny : A la lecture de ce SMS, légers remous dans les rangs des parties civiles. C'est un SMS qui date d'octobre 2013.

#Bretigny : Me Philippe Valent, avocat du prévenu, et Me Emmanuel Marsigny, avocat de la SNCF, s'immiscent dans le débat. La présidente écoute et finit par s'agacer. « On y reviendra. On ne peut tout faire à la fois, de toute façon ! »

#Bretigny : Ultime déclaration du prévenu dans laquelle il explique que personne ne l'a jamais briefé, qu'il a toujours eu sa liberté de parole.

#Bretigny : Aujourd'hui, le prévenu a quitté la région parisienne. Il gère une équipe de 30 personnes en région lyonnaise dans le domaine des caténaires.

#Bretigny : « Ca fait neuf ans que je vis cette procédure. A chaque fois que je fais le moindre geste, je pense à cette procédure. J’ai une équipe de 30 personnes sous mes ordres dans les caténaires. Ca me suit. Ca me suivra toute ma vie. Ces neuf années ont été lourdes. »

#Bretigny : « Je pense en permanence à l’impact qu’a eu ce déraillement. Ca a un impact énorme sur ma vie. »

#Bretigny : Ultime question de la présidente : Est-ce que vous vous sentez responsable mais pas coupable ? Coupable mais pas responsable ?

#Bretigny : « Responsable moralement. Parce que le train a déraillé devant mon bureau. Je n’étais pas là mais si j’avais été là ce jour là, j’aurais vu passer le train devant mes fenêtres. Je n’ai pas mis toute cette ferveur au travail pour vivre ce genre d’événements. »

#Bretigny : Question de Gérard Chemla, avocat des parties civiles. Il attaque sur le fameux SMS où il explique qu'il cherchait à ne pas se faire comprendre. Le prévenu explique qu'il doit s'agir d'une coquille liée à l'écriture inclusive.

#Bretigny : « Mon but a toujours été de bien me faire comprendre... »
Ca tangue un peu sur les rangs des parties civiles.

#Bretigny : Cela se tend entre Gérard Chemla, avocat de parties civiles, et Emmanuel Marsigny, avocat de la SNCF. Le second reprochant au premier de faire des "allusions". « Si vous avez des accusations, dites-les mais ne faites pas d'allusions ! »

#Bretigny : Le prévenu répond aux dernières questions, celles de son avocat, Me Philippe Valent.

#Bretigny :
« Je n’avais pas imaginer qu’on allait prendre cette amplitude là, madame la présidente », indique l'avocat.
« Moi non plus ! », répond-elle.

L'audition dure depuis près de trois heures.

#Bretigny : Moment de flottement et de gêne. Le téléphone de la présidente vient de sonner dans la poche de sa robe...
Pas exclu qu'il s'agissait d'un rappel pour qu'elle suspende l'audience.

#Bretigny : Sur cela, je vais clôturer le LT pour aujourd'hui.