On m'a demandé de confirmer mon identité, âge, profession.
Elisa ROJAS, 43 ans.
Je suis avocate au Barreau de Paris
J'ai demandé combien de temps j'avais devant moi. Le président m'a rappelé que je n'étais pas là pour plaider.
(bien essayé...)
J'ai indiqué que c'était pour savoir.
(c'est une précision qui est toujours utile).
On m'a demandé de témoigner de mon parcours et de mes difficultés en tant que personne handicapée et auxiliaire de justice.
Je suis également une militante dans le domaine du handicap ce qui peut apporter un éclairage intéressant à la Cour.
Je suis née à l'étranger et je suis arrivée en France à l’âge de 2 ans et demi.
J’ai vécu toute ma vie en France et si je devais en faire le bilan, je peux dire qu’en 40 ans...
Je n’ai jamais pu étudier dans des conditions dignes.
Je n’ai jamais pu travailler dans des conditions dignes.
Je n’ai jamais pu être logé dans des conditions dignes.
Je n’ai jamais mené une existence qui soit respectueuse de mes choix et de mon autonomie.
Dans mon enfance, j'ai été placé en institution. Ce qui est le sort de beaucoup de personne handicapées en France.
J'y ai vécu toutes les maltraitances que vivent les enfants et adultes handicapés qui sont en institutions et dont on parle peu en France mais qui sont documentées à travers le monde.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'ONU condamne le placement des personnes handicapées en institution.
J'ai ensuite été scolarisé en milieu ordinaire et durant toute ma scolarité, en primaire, au collège, au lycée comme à la faculté de droit de Paris I, j'ai été confronté à l'absence d'accessibilité.
J’ai dû me faire porter pour accéder aux salles de cours, aux amphis, à la bibliothèque et solliciter l’aide de mes camarades et des autres étudiants.
Une fois adulte, j’ai dû me battre pour avoir le nombre d’heures d’auxiliaire de vie dont j’ai besoin mensuellement pour les actes de la vie quotidienne, notamment mener mes activités et travailler.
Après 7 ans d'études, dans le cadre de mon exercice professionnel j'ai encore dû être confronté à l'absence
d'accessibilité des tribunaux et divers lieux de justice.
J’ai été contrainte de travailler dans des conditions que je considère comme humiliantes et dégradantes.
Sur le plan personnel, je n’ai jamais occupé de logement qui soit véritablement adapté à mon handicap.
Actuellement, bien que je travaille, comme je n’ai pas les moyens de me loger dans le parc privé à Paris et que ma famille ne peut pas me soutenir financièrement, je vis hébergée chez mon père.
Je vis dans un logement qui n'est pas accessible et adapté à mon handicap, comme a pu le constater une architecte qui est venu recenser tout ce qui ne répondait pas aux normes d'accessibilité chez moi.
(NB : j'ai oublié de dire à la Cour que j’ai déposé une demande pour accéder à un logement social autonome qui a 7 ans et qui n'avance pas).
Comme toutes les personnes handicapées je suis entravée au quotidien par l’absence d’accessibilité des équipements et des transports.
Mais au-delà de mon cas personnel, qui est similaire à celui de nombreuses personnes handicapées en France, j’aimerais que la Cour comprenne :
Si l'on ne s'arrête que sur la question de l'accessibilité, il faut savoir que l’obligation d’accessibilité en France date de 1975.
Nous sommes en 2022 et elle n’est toujours pas une réalité.
Soit les textes existent mais ne sont pas respectés, soit la mise en conformité est reportée (comme en 2015), soit elle régresse comme avec la loi ELAN qui a diminué drastiquement le nb de logements accessibles dans le cadre bâti neuf.
Au final, de nombreux Tribunaux, établissements scolaires, administrations, logements, cabinets médicaux etc. ne sont toujours pas accessibles en France en 2022.
L’Assemblée Nationale elle-même même pas accessible, comme nous avons pu le constater suite aux dernières élections législatives.
Elle n'est pas en capacité d'accueillir un élu handicapé et lui permettre d'effectuer son mandat dans les mêmes conditions que les autres élus.
Cela fait près de 50 ans que les personnes handicapées attendent que les textes soient respectés.
L’ONU a beau effectuer des visites en France et établir des rapports de visite pour dire qu'elle juge la situation alarmante, rien ne change.
Le droit à l’autonomie qui est garanti par les textes internationaux n’est pas respecté.
Compte-tenu du métier que j'exerce, je peux comprendre que la Cour souhaite rappeler le droit.
Mais elle doit s’interroger sur ce paradoxe qui consiste pour elle à vouloir sanctionner à tout prix des militants handicapés qu’elle n’a pas les moyens de juger dans des conditions équitables et dignes en raison de l’absence d’accessibilité de la justice.
La réalité de ce qui a motivé l’action des militants d’Handi-social est démontré par les conditions dans lesquelles se sont déroulées l’audience de 1ère instance et les difficultés d'organisation de cette audition en visioconférence.
Sans mes démarches proactives et l’aide de la référente handicap de la Cour d'appel de Paris, je n’aurais pas pu être entendue aujourd’hui.
En tant que juristes nous savons que ce qui est légal n’est pas toujours juste et que ce qui est juste n’est pas toujours légal.
Heureusement que dans l’histoire des gens ont su désobéir pour faire avancer la société, pour plus de justice et de progrès.
En tant que personne handicapée et que militante je remercie les militants d’Handi-Social d’avoir menés des actions qui ont rendu aux personnes handicapés leur dignité.
Les personnes handicapées ne peuvent pas continuer à vivre dans l’impuissance et la résignation.
Les militants d'Handi-Social ont bravé un interdit mais leur action était juste et nécessaire pour alerter l’opinion publique et les médias sur l’absence de respect des droits des personnes handicapées.
NB : A l'occasion d'une question posée par un avocat d'Handi-Social, j'ai pu ajouter que si nous devions être égaux devant la sanction, nous devions l'être dans tous les autres aspects de la vie sociale, ce qui n'est pas le cas.
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J'ai pris l'initiative de contacter la référente handicap de la Cour d'appel et du Tribunal judiciaire de Paris afin de savoir si elle pouvait intervenir pour rendre mon audition en visioconférence possible.
Bingo ! C'est parfaitement dans ses compétences et elle a immédiatement commencé à faire les démarches nécessaires.
Je vais voter Macron alors que je m’étais juré de ne pas le faire.
Comme pour toutes les personnes handicapées et/ou malade qui vont décider de le faire, ça ne va pas être simple psychologiquement de mettre un bulletin pour celui qui a transformé nos vies en cauchemar et nous piétine satisfait de lui depuis 5 ans.
Je crains le danger immédiat que courent toutes les personnes contre lesquelles la violence des fafs pourraient s’abattre dès la victoire de MLP, sans parler de la suite.
1-Merci à @rizzo_boring (voir son super Insta et blog) d’avoir illustré ce thread du 21-08-20, qui reste tristement d’actualité compte-tenu de la mesure aberrante qui s’applique dès demain.
Gardez vos masques en intérieur.
2-Gardez vos masques en intérieur.
Pour toutes les personnes à risque et pour vous.
Voilà ce que l’on veut lire, entendre et voir en action. Ni plus, ni moins. C’est le bon sens.
3-Même les personnes qui supportent mal le masque pour des raisons de santé l’ont compris et sont solidaires, alors que d’autres ne font valoir que leur petit confort face à une question de santé publique.
Toutes ces déclarations auront permis d'illustrer une fois de plus, et sur un laps de temps très court, les conséquences de la dépolitisation du handicap, que nous dénonçons.
Vous aurez remarqué vous-même qu'il n'y a pas distinction fondamentale entre le discours de droite et le discours de gauche sur le handicap.
Il n'y a pas deux projets de société diamétralement opposés sur le sujet, ce qui devrait pourtant être le cas.
Pour essayer d'en terminer avec cette histoire, sachez que les observations du Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU qui font suite à l'audition de la France est dispo en Français.
Pour la petite blague.
Les "aspects positifs" font moins de 2 pages, tandis que les "sujets de préoccupation" s'étendent de la page 2 jusqu'à la fin du document qui fait... 21 pages.
Concernant l'éducation et la "scolarisation" des enfants handicapés en structures médico-sociales, le rappel est clair : ce sont des structures ségrégatives.