Le nouveau livre de @Francois_Ruffin vaut le détour : pour ce qu'il dit évidemment - je vais y revenir - mais plus encore pour l'identité de celui qui écrit ce petit ouvrage =>... Image
...Ce livre pourrait se résumer à : les progrès du RN ne sont dus qu'à l'abandon par la gauche des classes populaires c'est-à-dire au mépris de la question fondamentale du travail humain... =>
...En effet, pour François Ruffin, des gauches (bien conciliantes) la guerre est déclarée !... Au point d'en arriver à des gauches irréconciliables ? Certes non, mais son propos ressemble à plusieurs reprises à une critique en règle de son propre camp (la FI ou la NUPES). =>
...Exemple, page 42 où il regarde dubitatif les gesticulation de ses collègues députés (mise en scène d'un mariage fictif entre Macron et Le Pen) : "Sur ces gestes, je m'interroge toujours : quelle est l'efficacité de tout cela chez moi ?", se demande-t-il... =>
...Dans cet examen de conscience qu'il propose à son camp, un seul personnage est exempté de toute remise en cause : JL Mélenchon dont le génie politique est loué durant trois pages mais dont la stratégie politique est exécutée en une centaine... =>
...Car c'est de cela dont il s'agit : critiquer à visage découvert la "stratégie Terra nova" - laquelle, dit-il, l'avait convaincu de s'engager en politique il y a une douzaine d'années pour la combattre =>
...- Cette stratégie a été appliquée avec succès par le candidat Mélenchon et les candidats #NUPES en 2022, s'adaptant, soyons justes, à la nouvelle géographie économique produite par la mondialisation et l'économie de services. =>
...Pardoxalement, quasiment aucun député LFI n'est tombé sur le dos de Fr. Ruffin pour critiquer sa position alors qu'ils sont nombreux à avoir critiqué de manière excessive le nordiste @Fabien_Roussel qui dit exactement les mêmes choses mais sans la prudence du Picard. =>
...Il y a donc bien un débat à gauche sur les classes populaires, sur le travail et, partant, sur la question du soutien social qui a pour noms "cas soc'", "allocations", "assistanat"... =>
...Si Ruffin pointe le problème de ce traitement social des classes populaires, il se contente, habilement, de faire parler les intéressés sans donner son avis sauf à réclamer des droits sociaux collectifs pour tous afin de ne pas individualiser la pauvreté. =>
...Venons-en donc au le fond du livre : centralité du travail, abandon de cette question par la gauche, progression de l'extrême-droite sur cette faillite etc., le constat n'est pas neuf : dès 2011 nous faisions exactement le même diagnostic avec feu le Gauche populaire =>
...et j'ai tenté dans mes propres ouvrages de problématiser cette nouvelle question sociale. L'intérêt du propos de Fr. Ruffin tient à trois choses => Image
... 1/ d'une part, il dissout la dimension identitaire de la question sociale dans le seul réarmement du travail : pour Ruffin, quand il y a du travail pour tous, personne ne regarde la religion ou la couleur de peau de son voisin... =>
...2/ D'autre part, il enchâsse la question écologique dans cette dimension laborieuse de la vie humaine : pour lui la transition demande un surcroît de travail et il fait ainsi la liste des métiers populaires qui devraient se développer. =>
... 3/ Enfin, il cherche à casser la dynamique de la critique de l'assistanat en réaffirmant la dimension essentiellement collective - c'est-à-dire universelle - des droits sociaux. =>
... C'est sur ces trois aspects, en réalité, qu'il est à la fois convaincant pour une âme de gauche mais relativement faible pour un observateur des transformations du social et de celles du travail. =>
... Il a bien sûr l'immense mérite d'identifier cette centralité du travail qui n'aurait jamais dû s'absenter d'une pensée de gauche et de montrer le conflit à l’œuvre autour de cette question =>
(il souligne délicieusement le commentaire d'E. Borne devant le rapport de Christine Erhel (et de @SophieFollen qu'il ne cite pas...) en rappelant le peu d'entrain à régler la question des salaires et des conditions de travail des plus modestes. =>
...Mais comme souvent chez Fr. Ruffin, on en reste à la dénonciation :
La société de marché en place depuis une trentaine d'années est en réalité une société identitaire ; je crains qu'il faille plus qu'une insistance sur l'importance du travail pour en défaire les nœuds =>
...- trop d'entrepreneurs identitaires sont à l’œuvre pour que la seule parole sur le travail suffise. Plus encore, la crise du travail qu'il dénonce ne peut produire (pour le moment) que des solutions de type "identitaires". =>
...En effet, si le travail réel ne correspond pas à ce qu'il devrait être (en philosophie, on dirait "ne correspond pas à son concept"), alors il n'y a que deux solutions :
=>
...soit son abolition (c'est la voie prise par une partie de la gauche depuis les années 1970 jusqu'à aujourd'hui, chez les tenants du revenu universel ou chez ceux qui critiquent la critique que fait Fabien Roussel de la tentation "allocataire"), =>
...soit le "réarmement du travail" mais d'un point de vue individuel et donc identitaire. En effet, le travail "expressif", comme disent les sociologues (ou le travail-passion) est un travail dans lequel l'identité externe du travailleur est particulièrement mobilisée : =>
...c'est précisément son identité qu'il investit dans son métier pour réduire l'écart entre vie pro-vie perso ; ce qui tend alors à le transformer en une "expérience exceptionnelle", comme dans un spectacle et désormais dans la consommation =>
...Idem pour les droits sociaux qui en sont le corollaire : le chantier est immense et si Ruffin a raison d'insister sur l'importance de droits collectifs universels, il peine à définir ce que doivent être ces nouveaux droits. =>
Il ne critique pas, par exemple, ce que j'appelle "la vie à points" c'est-à-dire cette multiplication de "comptes personnels" (de formation, de pénibilité etc.) qui paraissent répondre à la question de la variété des trajectoires individuelles en personnalisant les droits acquis
...alors qu'en réalité ils insécurisent les catégories populaires en installant les mécanismes de la société de marché au cœur du social sans répondre à à la question essentielle de l'autonomie. =>
De ce point de vue, il indique juste une méthode. Mais elle est insuffisante face à la séduction qu'exerce sur la gauche la pensée de la personnalisation des parcours, de la "consommation de travail" et du "droit à l'allocation" (quelle que soit la forme qu'elle prend..). =>
Il est plus convaincant en revanche sur la dimension laborieuse et populaire de la question écologique : le discours sur la "sobriété" qui est en train de s'imposer parle peu du travail mais on voit bien que c'est la seule dimension dans laquelle il n'y a pas de sobriété possible
...Un dernier mot sur le titre qui est en réalité à double sens : le "front de la Somme" dont parle l'auteur est évidemment le front contre l'extrême droite et c'est une rude bataille. =>
Mais c'est aussi, on le voit bien, le combat culturel qu'il engage aussi à gauche et contre une grande part de la gauche. Entre ces deux fronts, François Ruffin va donc devoir tenir une ligne de crête, à la fois subtile et radicale. C'était celle également de la Gauche populaire.

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Mar 19, 2020
[1/13] Si mon témoignage peut servir à quelque chose, voici à quoi ressemble la vie avec le #COVID19. Bien que n’ayant pas été testé, le tableau symptomatique est tellement signifiant qu’au bout de 12 de jours je ne me fais plus beaucoup d’illusions sur la réalité de la maladie.
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