Thread by @ChPiret

Bonjour à tous,

De retour au procès de l'attentat du #14Juillet 2016 à Nice avec, aujourd'hui les premières auditions de victimes.
Doivent également être entendus à l'audience cet après-midi, les soignants intervenus ce soir là.

Après moults questions de procédure, la première partie civile s'avance à la barre et se présente :
"Jérôme, 49 ans, gérant d'un établissement situé sur la Promenade des Anglais, père de 5 enfants".

Jérôme : "je me devais d'être là par rapport à mon personnel. Mon établissement [une discothèque, ndlr] a servi d'hôpital. C'est pour cela que je voulais être là".

Jérôme : "nous avons reçu des coups de gens apeurés dans notre porte. J'ai ouvert la porte, je leur ai dit : "asseyez-vous, buvez quelque chose". J'ai vu un gardien de la paix que je connaissais. Il m'a dit :"il y avait un camion fou, des tirs, je ne sais pas ce qu'il se passe."

Jérôme : "le gardien de la paix m'a dit : "je n'ai rien, je n'ai qu'un chargeur". Moi, faisant du tir sportif, je lui ai dit :"j'ai ce qu'il faut dans le coffre. Si tu veux, je viens". Il m'a dit : "viens".

Jérôme : "puis, j'ai vu le lieutenant-colonel des pompiers, je lui ai dit : j'ai 1500 mètres carrés, je te les mets à disposition". Avec ma sécurité, on a cassé les vitres des voitures pour pouvoir désserrer les freins à main et les bouger pour laisser passer les brancards."

Jérôme : "à l'étage, on mettait les personnes décédées. Et en bas les blessés. C'était quand même assez horrible.
A ce moment-là, il n'y avait pas encore de police. C'est nous qui avons fait le travail avec mon personnel."

Président : "vous êtes toujours propriétaire de votre établissement?"
Jérôme : "malheureusement, oui. IL n'y a pas une semaine où je passe sur la Promenade des Anglais et ça ressort."

Place au témoignage de Sandrine, 28 ans, directrice dans une société de jeux de loisirs. Ce soir-là, elle était avec son compagnon et des collègues de travail à lui sur la Promenade des Anglais. "Soudain, ça s'agite et je me retrouve toute seule, je ne comprends pas pourquoi."

Sandrine : "j'étais dos au camion. Un monsieur court à contresens en me faisant signe qu'il fallait que je me pousse. Mais je ne comprenais pas. J'ai le pressentiment qu'il ne faut pas courir droit. Il y avait des gens agglutinés partout."

Sandrine : "j'ai entendu des tirs, j'étais pétrifiée, je me suis dis que j'allais certainement me pendre une balle parce qu'il n'y avait plus beaucoup de monde autour de moi et que je suis très grande. Alors, j'ai sauté en contrebas, j'ai atterri sur la terrasse d'un restaurant"

Président : "vous attendez quelque chose de ce procès ?"
Sandrine : "qu'il y ait réparation des préjudices subis? Que les personnes soient bien jugées pour ce qu'elles ont fait".

Président : "vous avez été blessée?"
Sandrine : "oui, mais c'est plus difficile de me remettre psychologiquement. Un choc post-traumatique, je ne sais pas si on s'en remet dans sa vie. On est une personne avant ce qui arrive et on devient une autre après."

Place à l'audition de l'ancien chef des urgences à l'hôpital Pasteur 2 de Nice. "J'étais ce soir-là à domicile. J'ai eu un coup de téléphone vers 22h40. Je suis arrivé à l'hôpital juste avant 23h. On avait des informations très floues sur ce qu'il se passait sur place."

Jacques Levrault : "on avait la notion de blessés par armes à feu, mais en fait, on avait des patients avec des traumatismes graves. En premiers sont arrivés les plus graves, les "extrêmes urgences". Le bloc opératoire a tourné toute la nuit."

Jacques Levrault : "on a eu un décès peu de temps après l'arrivée d'un patient, puis deux autres décès dans les jours qui ont suivi. On a eu 25 personnes en urgence absolue cette nuit là et 44 en urgence relative. Et puis une centaine de blessés légers qui se sont présentés."

Jacques Levrault : "le triage des patients qui arrivaient était très rapide, en moyenne 2 minutes 30. Très rapidement, il fallait prendre des décisions."

Jacques Levrault : "il y avait des traumatisme du bassin, des hémorragies, des blessures très invalidantes. Mais j'ai été marqué par le calme des victimes qui arrivaient. Elles étaient sidérées par la douleur et l'attentat en lui-même".

Jacques Levrault : "je connais au moins un médecin dans mon équipe qui a arrêté la médecine d'urgence après cela. Parce que c'était trop difficile à supporter."

Jacques Levrault : "Ca a été très compliqué pour les soignants, devant l'horreur vécue. Avec, en plus, la sensation de ne pas être efficace. Cette violence gratuite, c'est extrêmement violent pour des gens qui amènent du soin. On a envie de mettre de belles valeurs en face".

Place à l'audition du lieutenant-colonel François Pouget, médecin chef des pompiers.
"Au départ, je suis appelé pour un accident de poids lourds et au fur et à mesure que je m'approche, on passe d'un accident à un attentat avec plusieurs victimes."

François Pouget : "au fur et à mesure où j'avance, j'ai la vision de corps. Et moi, ma mission c'est de mettre en oeuvre le dispositif de prise en charge. Le but c'est de distribuer des secours sur les personnes pour lesquelles ont peut encore faire quelque chose."

François Pouget : "dès le soir même, on a fait intervenir les psychologues de chez nous, parce qu'on s'est rendu compte très vite que ça allait être compliqué pour nos personnels. On a mis en place des débriefings précoces. On a encore des agents qui sont suivis."

Suite des témoignages des soignants avec le médecin Benoît Develet qui raconte sa descente de la Promenade des Anglais, ce petit garçon de quatre ans qu'il fait évacuer au plus vite, sa maman "pour laquelle j'essaie de remettre ses jambes à peu près comme il faut".

Ce n'est qu'au bout de trois quart d'heure, une heure qu'il pense à appeler sa famille. "Ma femme était toute seule dans la voiture avec mes enfants, j'étais parti sans téléphone", raconte Benoît Develey. "Quand je suis arrivé à la voiture, je me suis effondré".

Benoît Develey : "puis, j'ai rejoint le poste médical avancé, je me suis retrouvé au poste de tri entre les urgences médicales absolues et relatives".

Benoît Develey : "je n'avais jamais vécu un événement d'une telle ampleur. Il y avait un calme, une sidération, une prostration des victimes."

Benoît Develey : "il y avait des victimes très très abîmées, il faisait froid, il y avait du vent ce soir là, mais c'était très très calme."

Président : "comment vous avez géré par la suite ?"
Benoît Develey : "c'était difficile. De m'être occupé d'enfants décédés ou grièvement blessés, de voir mes enfants en bonne santé, je me suis effondré. J'ai réussi à retourner travailler. Mais j'ai eu un suivi psychologique."

Benoît Develey : "j'ai longtemps eu un sentiment de grande colère, inhabituel chez moi. C'est très impactant pour les soignants. D'autant plus que c'est un endroit qu'on pratique tout le temps, j'ai l'impression que c'est mon jardin, la Promenade."

Benoît Develey : "je ne m'attendais pas à ce que ce soir un attentat, je pense que j'en ai pris conscience au bout de 10 ou 15 minutes [à parcourir la Promenade des Anglais pour prodiguer les premiers soins, ndlr]".

Me Leroy : "qu'est-ce qui vous a semblé le plus difficile?"

Benoît Develey : "c'est braiment ma charge émotionnelle, arriver à travailler avec cette charge émotionnelle et rester concentré, c'est l'enfer".

Un an et demi avant, le docteur Benoît Develey qui intervient en montagne, a fait partie des premiers secours arrivés sur l'attentat de la German Airwings.
"Ca fait un peu trop, c'est sûr", lâche-t-il pudiquement à la barre.

Benoît Develey : "mes enfants ont été traumatisés aussi parce qu'ils ont vus les voitures arriver avec les coffres ouverts, les victimes bennées dans le coffre. Et puis, ils m'ont vu en train de sangloter. Et ils se sont dit qu'un parent pouvait aussi s'écrouler."

Benoît Develey revient sur la maman et son petit garçon qu'il a pris en charge : "je m'en suis voulu parce que j'ai du les séparer. Et le petit garçon est resté très longtemps hospitalisé, son état était très grave. J'ai pu les retrouver, il y a un lien qui s'est tissé."

Benoît Develey revient sur la première victime sur laquelle il tombe : "ce petit garçon, je suis resté près de lui pendant la réanimation. Il n'y avait personne autour de lui. Je pense que ses parents ont du être séparés de lui. C'est très traumatisant."

Place au témoignage de Fabien Hodot, sapeur-pompier. "Avant j'étais dans l'armée de terre. Et j'étais friand des histoires de mon grand-père de la première guerre mondiale. Et il me disait : "je peux te raconter, mais tu ne pourras pas vraiment savoir ce que c'était".

Fabien Hodot : "pour le #14Juillet c'est un peu pareil, je peux vous raconter ce que j'ai vécu mais ce que vous allez ressentir et imaginer est en dessous de la réalité. Parce que c'est indescriptible."

Fabien Hodot est prévenu par une amie qui se trouve sur la Promenade. "Mon premier réflexe c'est d'appeler un collègue pour le prévenir. Il ne me laisse pas parler. Sa première phrase c'est : "Fabien c'est grave, il y a des morts partout, il faut que tu viennes."

Fabien Hodot file à la caserne, s'habille "comme un pompier sait le faire, en moins d'une minute".
Il arrive sur la Promenade des Anglais. "C'est le carnage. Il y a des corps partout, des enfants, des femmes. On jette l'ambulance au milieu. Et on passe d'une personne à l'autre"

Fabien Hodot : "la première personne a la jambe cassée. Je vérifie qu'il n'y a rien d'autre. Je lui dis : je ne peux pas rester mais je vais revenir." Mais je n'ai pas pu revenir. J'espère que cette personne est dans la salle. Je lui présente mes excuses."
Il pleure.

Fabien Hodot : "on fait ce qu'on peut. On choisit ceux à qui on porte secours et ceux qui vont attendre. Les victimes ont une dignité et un courage incroyable. Toutes les personnes à qui j'ai dit : "je ne peux pas vous porter secours", aucune n'a essayé de me retenir."

Fabien Hodot : "puis je vois une enfant avec les jambes dans un sale état. Et là, je suis dépassé, tout seul je n'y arriverai pas. Et là comme par miracle, mon équipage apparaît. On l'a conditionnée. C'est la seule victime que j'ai revu après. Elle n'a pas perdu ses jambes".

Fabien Hodot : " je ramassais les gens par terre, jusqu'au point de regroupement et un médecin disait où les mettre : à gauche les urgences absolues, à droite les urgences relatives. Et au fond, les urgences dépassées ... c'est-à-dire ... vous savez pourquoi vous les amenez là".

Fabien Hodot : "le lendemain, je suis rentré à la maison. Tout allait bien. Jusqu'à six mois après. Mon épouse m'a fait remarquer que je devenais agressif, que je me repliais sur moi. Je vais consulter la cellule psychologique."

Fabien Hodot : "depuis 2018, je suis atteint du syndrome de stress post-traumatique. J'ai perdu ma femme qui après m'avoir soutenu pendant deux ans, a fini par craquer. J'ai de l'hypervigilance, là je suis très mal à l'aise parce que j'ai des gens dans mon dos."

Fabien Hodot : "j'ai de l'agoraphobie, je ne peux plus prendre les transport. Voilà, je paie chaque jour."

Fabien Hodot : "on a tous vécu des choses terribles. Mon meilleur ami a rampé sous le camion pour voir si il y avait encore quelque choses qui bougeait. Il ne s'en est jamais remis. La Promenade des Anglais, vous aviez 500 personnes allongées au sol."

Fabien Hodot : "et vous, vous vous jetez au milieu, et tout le monde vous regarde et dit : "c'est bon, les pompiers sont là". "Ouais, on est là, mais on est trois quoi ...."

Président :"vous avez pu garder une activité professionnelle?"

Fabien Hodot : "étant donné que je peux avoir des absences, je suis maintenant inapte au combat du feu. Je ne fais plus que du secours à personne. Je ne participe plus à la lutte contre les incendies."

Fabien Hodot : "il y a des personnes qui m'ont marquées. Et je culpabilise pour ceux que j'ai oublié. Je ne saurai même pas vous dire à combien de personnes j'ai porté secours. Beaucoup. Pas assez. Mais beaucoup."

Fabien Hodot : "ce soir-là, c'était 100% technique, je n'avais plus d'affect, plus aucune sensibilité. Parce que vous ne pouvez pas perdre cinq minutes avec une victime."

Fabien Hodot : "le plus dur c'était le choix. J'avais fait des interventions difficiles, mais j'avais jamais eu de choix à faire. Et là, je devais choisir à qui je portais assistance et à qui je ne le faisais pas. Et c'est ça l'origine de toute la culpabilité que j'ai en moi".

Fabien Hodot : "aucun d'entre nous n'est sorti indemne de ce qu'on a vécu. Il y en a qui se relèvent mieux que d'autres. Mais on est une corporation où on ne se plaint pas. Et je pense qu'il y a des collègues qui ne vont pas bien et qui ne le disent pas."

Fin de l'audition de Fabien Hodot et de cette journée d'audience. Le président rappelle que la journée de demain sera consacrée à l'audition de parties civiles.
Reprise demain à 9h30.