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Oct 7 39 tweets 7 min read
Bonjour à tous,

Sur ce fil aujourd'hui : nouvelle journée d'audition de victimes de l'attentat du #14Juillet 2016 à Nice.
Avant cela, le président s'enquiert de l'état de santé de l'accusé Ramzi Arefa qui a fait un test Covid ce matin ... test négatif et l'accusé se sent mieux
Olfa est la première à s'avancer à la barre. Elle avait 30 ans et était avec sa famille sur la Promenade des Anglais ce #14Juillet
"Mes parents avaient un appartement en centre ville à un étage élevé et on avait donc pour habitude de voir le feu d'artifice depuis l'appartement"
Olfa : "c'est ma soeur Hager qui a proposé qu'on emmène nos filles voir le feu d'artifice sur la Promenade des Anglais, la mienne de 2 ans et ma nièce de 4 ans. Ca m'a de suite emballée et du coup nos parents se sont joints à nous."
Olfa : "je me retourne vers ma mère et c'est la que je vois le camion dans notre dos. Je le vois percuter du monde. Je crie instinctivement à ma mère : "cours, il y a un attentat".
On se met à courir très vite."
Olfa : "j'ai ma fille dans la poussette, j'entends des tirs partout. J'ai très peur qu'elle soit blessée. Plusieurs fois, j'ai tendu la main vers elle, je la touchais et je regardais ma main pour vérifier qu'il n'y avait pas du sang."
Olfa : "les tirs sont très très forts. Et à un moment, j'ai vu ma mère s'écrouler, comme si elle s'était pris une balle. Je ne savais pas si je devais aller la chercher ou continuer à courir pour sauver ma fille. Et puis, je l'ai vue se relever."
Olfa : "mon mari et mon frère qui étaient à la maison nous ont rejoint. C'était une scène de désolation totale. Les voitures étaient abandonnées, portières ouvertes, au milieu de la route."
Olfa : "après, ma fille a commencer à faire des cauchemars. Moi aussi, je faisais énormément de cauchemars, à tel point qu'arrivée la nuit, je voulais éviter de dormir, je buvais énormément de thé et je regardais la télévision pour me tenir éveillée."
Olfa : "un an après, ma fille m'a dit : "tous mes doudous pleurent". La psychiatre m'a expliqué que son horloge biologique savait que c'était le premier anniversaire de l'attentat et qu'elle commémorait ainsi son trauma".
Olfa : "aujourd'hui, elle a 8 ans et c'est une enfant "qui fonctionne", c'est-à-dire qu'elle va bien. Mais je me rends compte qu'on ne sort pas beaucoup dans les endroits où il y a du monde, la nuit etc."
Naïma, mère d'Olfa et Hager, et grand-mère de leurs deux filles, témoigne à son tour de cette soirée du #14Juillet 2016.
"J'ai vu le camion en oblique, en train de monter sur la chaussée, mais je n'ai rien vu d'alarmant, j'étais sereine. Et puis je suis tombée."
Naïma : "et puis j'ai vu le camion écraser des gens, mais je regardais sans réaction. J'entendais le craquement des os, mais je ne bougeais pas.
Enfin, je me suis levée et j'ai couru en cherchant mes filles et mon mari mais je n'osais pas retourner les corps morts."
Naïma : "je veux que ce procès sanctionne les complices à la hauteur de notre souffrance, de nos vies brisées. On n'a plus le plaisir de vivre, d'être en famille."
Place au témoignage d'Hager, su 38 ans : "sur le trottoir, il y a un super stand de bonbons, Kenza [sa fille de 4 ans, ndlr] en veut, elle me promet qu'elle ne les mangera que demain. Je suis en face du stand, et Kenza me dit d'un coup : "maman, il y a un camion."
Hager : "je ne réalise pas au début qu'il écrase les gens. Je regarde Kenza et je me dis juste que je ne veux pas voir mon bébé mourir sous mes yeux. Il nous fonce dessus et j'ai le sentiment horrible que ma fille va mourir. Il est là, il va très vite."
Hager: "on ne peut pas courir, il y a trop de monde. La seule chose que je vois c'est en dessous de ce camion, il peut y avoir de la place. C'est fou mais c'est la seule issue que je vois : me plaquer au sol pour protéger mon bébé".
Hager : "les choses vont tellement vite. Je suis percutée, c'est le noir total et un bruit terrible, comme les rideaux de fer des commerces quand ils se baissent. Puis de nouveau la lumière, je lève la tête, je vois que le camion continue."
Hager : "je ne sais pas si je suis morte ou vivante. D'un coup, j'entends Kenza qui répète : "maman, tu saignes". Elle avait la mâchoire qui tremblait, le regard terrifié."
Hager : "son regard me hante encore. Elle se rappelle de tout aujourd'hui, elle en reparle. Moi, j'ai perdu la mémoire de certains moments de ce soir-là. J'aimerais tellement que ce soit sa mémoire à elle qui fasse défaut et pas la mienne."
Hager : "tout le monde court, dans tous les sens. Ca crie, ça hurle. C'est la guerre. C'est l'horreur.
Kenza n'arrête pas de pleurer. Elle répète en boucle : "maman, tu saignes". Je lui dis que je vais bien : "c'est juste un petit bobo"."
Hager : "on rentre à la maison. Kenza continue de trembler, elle se met à vomir, à faire caca et pipi en même temps.
A l'hôpital, les médecins me disent que c'est le choc, que physiquement, elle n'a rien de grave".
Hager : "moi, je vais à la radio, je me rends compte que mon bras a triplé de volume, j'ai des douleurs qui montent. Je suis en état de choc. Il y a des brancards de partout. Kenza voit tout ça. Elle demande qu'on soigne son doudou."
Hager : "doudou lapin était avec nous au stand du bonbon ce soir-là, depuis elle ne le lâche jamais.
De retour à la maison, Kenza était un zombie. Elle se faisait dessus, elle a du remettre des couches. Elle a aussi repris le biberon."
Hager : "elle a aussi repris la tétine. Aujourd'hui encore, elle ne sort jamais sans sa tétine.
Elle n'a plus jamais dormi dans sa chambre. Pendant les trois ans qui ont suivi, elle ne dormait qu'à cheval sur moi, dans le canapé".
Hager : "maintenant, elle arrive à dormir allongée à côté de moi et on peut dormir dans un lit.
Elle est en hypervigilance, tout le temps. Chaque été, quand juillet arrive, elle fait des attaques de panique."
Hager : "l'école est devenue très irrégulière, en dents de scie. Depuis cette nuit, Kenza ne supporte plus d'être séparée de ses parents. Elle est hypersensible, un enfant qui pleure la plonge dans une tristesse incroyable. Les enfants qui se bousculent, c'est très difficile."
Hager : "les regards, les moqueries des autres sont devenues pour elle insupportable.
Elle s'empêche de vivre, elle se déteste, elle se trouve nulle. Elle a commencé à le verbaliser il y a deux ans, elle avait à peine 8 ans. Elle répète souvent qu'elle ne sert à rien."
Hager : "sa petite vie d'enfance gâchée est rythmée par les rendez-vous médicaux : les psy, l'orthophoniste car elle a développé un trouble de l'attention, nous en sommes encore à 4 ou 5 rendez-vous par semaine."
Hager : "elle a encore des reviviscences, d'un coup est elle plongée dans une autre réalité. Une fois, dans la rue, il y avait une benne à ordure avec des morceaux de carton. Pour Kenza, c'était des jambes qui saignaient. Elle hurlait dans la rue, pendant 1h30, se faisait dessus"
Hager : "Kenza culpabilise beaucoup. D'être en vie alors que d'autres sont morts. Et parce que c'est elle qui voulait des bonbons et à cause d'elle qu'on était devant ce stand. Kenza, qui venait d'avoir 4 ans, n'était plus l'enfant que je connaissais."
Hager : "pour moi la seule chose qui pouvait remettre du sens ce sont les enfants. Tous les jours, je ferai en sorte de faire des choses pour que nos enfants aient un avenir meilleur. Comme si c'était mission pour avoir survécu."
Hager : "ces six années passées me paraissent être une éternité. C'est comme si je n'avais jamais eu d'autre vie avant. J'ai le sentiment d'être spectatrice de ma vie. Tous les jours, me lever, sortir, trouver le courage d'avancer est un combat."
Hager : "le procès est une étape importante pour nous. Il nous donne un espoir : l'espoir que la justice passe. L'auteur est mort, il ne sera pas jugé ici. Mais on peut légitimement se demander si c'était l'oeuvre d'un loup solitaire."
Hager : "nos enfants ne retrouveront jamais leur enfance, volée, brisée. Mais on peut leur faire comprendre qu'il y a une justice, qu'une horreur pareille, ça ne reste pas impuni."
Hager : " ces quatre mois d'audience sont terriblement difficiles, ce procès nous fait replonger dans l'horreur. C'est long, c'est dur. Ce n'est pas facile de parler car redire c'est revivre. Mais le procès est une étape dans notre réparation".
Hager : "oui, nous ne serons plus jamais les mêmes, oui il y a un avant et un après, mais nous resterons debout.
Je ne connais pas l'issue de ce procès, mais depuis le 5 septembre, monsieur le président, mesdames et messieurs de la cour, vous faites partie de nos vies."
Hager conclut son témoignage : "ce que ce procès pourra nous apporter, nous le prendrons."
Assesseure : "vous avez pu voir cette issue, de mettre la main sous la tête de votre fille et de vous êtes couchée sur elle, c'est très impressionnant. Votre vie a été dévastée, mais vous avez pu faire ça."
Hager fond en larmes à la barre.
Aujourd'hui, explique Hager, Kenza est scolarisée dans une toute petite structure, hors contrat. "Ils sont sept et tous les enfants qui sont là-bas y sont pour quelque chose, donc ils ne se moquent pas si elle a des crises d'angoisse, il y a beaucoup de bienveillance".

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Oct 5
Bonjour à tous,

De retour aujourd'hui au procès de l'attentat du #14Juillet 2016 à Nice pour la suite des auditions de victimes.

(pour info, le procès du harcèlement en ligne du chanteur Eddy de Pretto ne se tient pas aujourd'hui, il reprendra demain)
Margaux est la première à s'avancer à la barre aujourd'hui. Ce 14 juillet, elle avait 22 ans et était déjà maman d'une petite Léana, âgée de 2 ans et demi et morte dans l'attentat avec son cousin de 8 ans.
"Mon amour, m'entends-tu quand je parle seule sur ta tombe?"
Margaux raconte l'appel du père de Léana, dont elle est séparée. "Il hurle, je ne comprends pas. J'appelle tata : "ma mère est morte, Yannis est mort et ils essaient de réanimer Léana." C'est tout ce qu'elle m'a dit."
Read 64 tweets
Oct 4
Au tribunal judiciaire de Paris, devant la 10e chambre, se poursuit le procès de 17 jeunes hommes pour le harcèlement en ligne du chanteur @eddydepretto à l'été 2021.
Aujourd'hui, débutent les interrogatoires des prévenus.
Noah, 22 ans, est le premier à s'avancer à la barre. Il et jugé pour avoir posté sur le compte Instagram d'Eddy de Pretto le commentaire : "tu ne paies rien pour attendre, t’inquiète. On va te faire regretter tes actes irrespectueux.”
Noah : "j'avais déjà entendu parlé de monsieur De Pretto, mais sans plus. J'ai vu sa story [publication, ndlr] partagée par quelqu'un que je suis, j'ai cliqué et j'ai posté mon message. Il y avait peu de pensée derrière, c'était posté subitement, c'était un acte irréfléchi".
Read 54 tweets
Oct 3
Bonjour à tous,

Aujourd'hui, c'est lundi. Il n'y a donc pas d'audience au procès de l'attentat du #14juillet à Nice.
En revanche, au tribunal judiciaire, devant la 10e chambre, s'apprête à débuter le procès de 17 personnes pour harcèlement en ligne du chanteur @eddydepretto
@eddydepretto Eddy De Pretto est arrivé à l'audience. Il se tient debout face aux sièges vides du tribunal. Car l'audience n'a pas encore débuté, tous les prévenus n'étant visiblement pas encore arrivés.
Petit LT à suivre quand elle démarrera.
L'audience débute avec l'appel des prévenus.
Le premier à s'avancer est Kévin, costume clair, cravate, cheveux tirés en arrière.
Read 41 tweets
Sep 30
Bonjour à tous,

De retour au procès de l'attentat du #14Juillet 2016 à Nice.
Avec, aujourd'hui encore, une journée consacrée aux témoignages des victimes de ce soir-là.
Stéphane est le premier de la journée à s'avancer à la barre. Il est venu avec une clé USB contenant des photos de Rachel, son épouse, décédée ce soir-là. "
"Ce soir-là, nous étions avec les enfants, de 12 et 7 ans, on était de passage à Nice."
Stéphane : "Rachel avait trouvé, à la dernière minute, un peu par hasard, un voyage en Corse. Et on a décidé de prendre le ferry depuis Nice le 15 juillet. On a fait la route le 14, on est arrivés vers 19h. On ne connaissait pas du tout la ville."
Read 80 tweets
Sep 22
Au procès de l'attentat du #14Juillet 2016 à Nice, la journée est à nouveau consacrée aux auditions de parties civiles. La première à s'avancer à la barre est Isabelle, sexagénaire et mère de quatre enfants.
Isabelle raconte avoir vu passer "un camion noir" : "six ans après, j'ai admis que le camion était blanc mais mon psychiatre m'a expliqué que mon cerveau a assimilé ce camion comme un corbillard, j'ai fait une hallucination".
Isabelle : "j'ai vu une déflagration énorme, c'était un réverbère qui avait été percuté.
Puis j'ai vu un homme d'une quarantaine d'années agoniser devant nous. Plusieurs personnes essayaient de le réanimer. Il mourra environ une heure et demi plus tard."
Read 59 tweets
Sep 21
Bonjour à tous,

Au procès de l'attentat du #14Juillet à Nice, la journée est consacrée aux témoignages de victimes.
Une première partie civile s'avance à la barre. "On va vous mettre une chaise à côté de vous", indique le président.
La 1ere victime, visiblement très éprouvée, est Allemande, travaille dans une maison de retraite et a 43 ans, précise-t-elle, via le truchement d'une interprète.
"Ma fille était en voyage de fin d'étude. Elle venait juste d'avoir 18 ans, pour moi c'était encore ma petite fille.
Mariam explique qu'elle a mis plusieurs jours à apprendre que sa fille, Salma, faisait partie des victimes de l'attentat. "La police est venue prendre la brosse à dents et une brosse à cheveux de ma fille et ils sont repartis."
Il lui a fallu encore attendre avant d'apprendre.
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