Les relations entre personnels éducatifs du 2nd degré se dégradent-elles? Petit fil sur une enquête instructive -et inquiétante- d'Eric Debarbieux et Benjamin Moignard sur le climat scolaire pour @L_AUTONOME_.
Traditionnellement, depuis le rapport de l'Inspection générale (groupe "vie scolaire) de 1979 qui s'inquiétait des "collèges ghettos" (déjà...), les violences à l'école étaient centrées sur les élèves (2).
Les enquêtes statistiques annuelles du ministère de l'EN sur le sujet (SIGNA dans les années 2000, puis SIVIS depuis) sont d'ailleurs largement centrées sur les violences commises (et subies) par les élèves (3).
Certes, la notion de "climat scolaire" (school climate) a été importée par le sociologue Eric Debarbieux pour favoriser une approche plus globale de la qualité des rapports humains au sein de la communauté éducative- intégrée à la loi Peillon de 2013 (4)
De même, les enquêtes dites de victimation, popularisée par Eric Debarbieux et Cécile Carra, ont permis à partir des années 2000 une approche plus fine des violences, à partir des enquêtes auprès des élèves et, de plus en plus, des personnels (5)
Dès 2012, une enquête de climat scolaire pour la @seinesaintdenis sur les personnels de l'EN travaillant dans le département avait la première repéré des éléments inquiétants (6).
P. 20 du rapport de 2012, le tableau suivant soulignait la place des violences entre personnels éducatifs, à côté des violences infligées par des élèves (7).
Près de 1/5e des répondant(e)s déclaraient dans cette enquête de 2012 avoir été ostracisé(e)s par des collègues, presque 11% harcelé(e)s et 1% harcelé(e)s sexuellement (8).
A l'époque, le rapport avait été souvent lu comme la preuve d'une violence (du moins physique) moins forte que prévue dans les établissements scolaires de Seine-Saint-Denis- quoi que le niveau mesuré était déjà important (9)
Or, le rapport réalisé par Eric Debarbieux et Benjamin Moignard souligne bien que les violences, mises à l'écart et harcèlements ressentis entre collègues- sujet probablement encore tabou du système éducatif- ne sont en effet hélas pas des faits marginaux (10).
Globalement, l'enquête montre un effritement très net de la qualité du climat scolaire ressenti par les personnels enquêtés. La baisse est forte entre 2013 et 2022 , comme le montre le tableau p.13 (11).
Or... cette dégradation n'est pas corrélée avec une expérience de violences scolaires accrues. P.14, le tableau avec les mêmes personnes enquêtées montre une grande stabilité des réponses sur ce thème. Ce n'est donc pas cette explication classique qui peut être mobilisée (12).
Le rapport explique que cet effritement très sensible du climat scolaire semble surtout lié... aux rapports de plus en plus dégradés entre personnels éducatifs (13).
L'enquête décompose avec finesse ceux-ci en 3 points. Premier élément: les rapports ressentis entre chefs d'établissement et personnels éducatifs (pour le second degré) sont plus mauvais, p.14 (14).
Mais... cette dimension hiérarchique est loin d'être le seul facteur explicatif de la dégradation du climat scolaire perçu par les personnels enquêtés. L'esprit d'équipe paraît aussi bien déprimé, un éclairage inquiétant sur l'état des rapports entre les pairs, p.15 (15).
Troisièmement, la discipline au sein de l'établissement semble de moins en moins bien appliquée- à faits équivalents-, participant à une démonétisation de la perception du lieu de travail. p.15. Et les conséquences cumulées sont explosives (16).
Le résultat interpelle en effet par sa gravité: près de 1/3 des personnels interrogés ont de l'appréhension en allant au travail, p.16. On imagine aisément les conséquences individuelles et collectives de cette souffrance pour l'école française (17).
Et cette appréhension, pour plus d'un quart des réponses, est liée aux rapports dégradés soit avec la direction, soit aec les autres adultes de l'établissement, un chiffre bien supérieur aux réponses citant les élèves (13%) p.16 (18).
Le quartier où se situe l'établissement joue aussi: les personnels en REP, et plus encore en REP+, s'y sentent beaucoup moins en sécurité globalement, p.18 (19).
Les deux auteurs du rapport soulignent la grande différenciation entre les personnels interrogés, les chefs d'établissement se distinguant nettement de tous les autres statuts dans l'ACP (analyse en correspondances principales) présentée p.20 (20).
Pour rappel, dans une représentation graphique d'une ACP, plus les vecteurs (qui représentent les variables) sont proches, plus ils sont corrélés. Idem pour les points, qui représentent les observations (ici les catégories professionnelles) (21).
Les auteurs notent avec force (je cite) qu'on "on assiste à un véritable effondrement de la qualité des relations entre adultes, en lien avec une remise en cause très forte des hiérarchies, tant proche que lointaine", p.10 (22).
Ce constat avait aussi été fait par la médiatrice de l'Education nationale dans son rapport de 2019, qui soulignait les ravages du harcèlement professionnel et des mauvaises relations entre personnels dans le système éducatif (23).
On a donc affaire, outre à une souffrance particulièrement grave d'une partie des professionnels du 2nd degré, à un véritable risque de démission de l'intérieur, dans un contexte où leurs habituels relais (syndicats, associations) sont eux-mêmes affaiblis (24).
Alors même que le recrutement des personnels éducatifs connaît des difficultés, cet enjeu de la qualité au travail paraît crucial pour non seulement attirer les candidatures, mais aussi retenir et épanouir les personnes déjà en poste. Bref, un rapport à lire d'urgence (25).
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La question de la définition des "atteintes à la laïcité" (dans les écoles publiques, les établissements privés sous contrat en étant écartés) est un sujet épineux (1)
L'inspection générale (IGESR) a réalisé un rapport qui permet de mieux comprendre le sujet (2).
Ce thread est bien entendu lié à la promesse (dans un ouvrage encore non publié) d’Anne Hidalgo de doubler les salaires des enseignant(e)s du premier et du second degrés (1).
Cette promesse ne doit en termes politiques, rien au hasard. Le socialisme français est, depuis l’entre-deux-guerres, une force bien mieux implantée dans le monde enseignant que dans la moyenne de la société française (2).
L’Éducation nationale enjoint les parents d'élèves d'une école Steiner des Hautes-Pyrénées d'inscrire leurs enfants ailleurs. L'occasion de revenir sur la question du contrôle public des écoles "hors-contrat".
Il regroupe les écoles (très minoritaires jusqu'à aujourd'hui) qui ont refusé d'être contractualisées (i.e. financement public contre respect des programmes de l’Éducation nationale). (3)
Un petit fil historique sur un sujet qui a (un peu) échauffé certains collègues enseignant(e)s sur les réseaux sociaux : les agrégés doivent-ils enseigner en collège ou ne serait-ce pas forcément leur place ?
Ce fil est né d’un tweet d’un jeune collègue agrégé qui se plaignait d’être affecté en 6ème, suscitant des dizaines de réponses parfois assez dures. Revenons-en au fait : le statut et la fonction des agrégés devraient-ils leur éviter le collège ? (1)
Indéniablement, si on reprend un peu l’histoire du corps (conseillons d’emblée l’excellent ouvrage d’Yves Verneuil sur l’histoire des agrégés), l’agrégation et l’enseignement en lycée entretiennent des liens structurels. (2)