Thread by @AgeMoyen

Aujourd’hui, on (re)lit le livre « Les genres fluides, de Jeanne d’Arc aux saint.e.s trans » de Clovis Maillet qui a paru en 2020, mais qui reste toujours d’actualité ! #medievaltwitter

Dans son livre, Clovis Maillet met en avant des figures du Moyen Âge dont les parcours montrent que les expériences de transidentité ne concernent pas seulement la modernité.

Ces figures sont surtout des saint.e.s entré.e.s au monastère en tant que moines : Matrôna-Babylas (Ier s.), Eugène-Eugénie (IIIe s.), Joseph-Hildegonde (XIIe s.). Leur histoire est racontée dans des hagiographies byzantines grecques ou latines.

Un chapitre porte aussi sur Silence, un personnage de roman du XIIIe s., qui est assigné.e femme à la naissance mais qui est élevé.e comme un garçon pour pouvoir hériter des terres de son père (ici, Silence habillé.e en jeune garçon avec ses parents)

(On avait d'ailleurs déjà fait un article sur un extrait du Roman de Silence⬇️ actuelmoyenage.wordpress.com/2022/02/10/iel…)

Les deux premiers chapitres, enfin, traitent de Jeanne d’Arc : selon Clovis Maillet, ce n’est pas un personnages trans mais il s’y intéresse parce qu'elle est justement associée aux saint.e.s trans dans sont procès de réhabilitation.

Toutes ces figures, donc, témoignent d’un fluidité de genre au Moyen Âge : étonnant pour une période où, dit-on, l’habit fait le moine !

A l’époque en effet, l’apparence et le comportement permettent d’identifier des personnes et sont associées à un genre (ça n’a pas changé, d’ailleurs !). La pilosité, le courage et la chasteté sont des signes de masculinité…

...tandis que l’hypersexualité et la fausseté étaient vues comme féminines (évidemment).

Alors, dans une société médiévale où l’apparence est si importante, pourquoi ces personnages transgenres existent-ils malgré tout  ? Et pourquoi, en plus, sont-ils présentés de manière positive ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le contexte chrétien est porteur. Les chrétiens des premiers siècles défendaient un idéal de porosité entre les genres, empreint d’un souci d’égalité.

Cet idéal s’est heurté à une société qui voulait diviser hommes et femmes, en n’accordant pas les mêmes droits aux secondes, mais le rêve d’androgynie et d’abstinence sexuelle a perduré et alimenté des discours sur la fluidité de genre.

La vie de sainte Thècle d’Iconium par exemple (la première martyre du christianisme) avait eu un grand succès. Paul l’avait autorisé.e à prêcher habillé.e en homme !

C’est aussi au début du christianisme, à Byzance, que l’on trouve des saint.e.s qui deviennent moines et mènent une vie sociale en tant qu’hommes. Ces cas sont cependant marginalisés par les Pères de l’Église pour conserver un ordre social qui sépare hommes et femmes.

Plus tard, au XIIe siècle, on réactive ces modèles de l’hagiographie antique. Par exemple, la vie et le moniage de Joseph-Hildegonde est racontée dans différents textes, et le cas d’Eugène-Eugénie (également moine) se retrouve sculpté à Vézelay.

Parmi les chapiteaux du monastère, on voit en effet Eugène-Eugénie le corps dénudé, montrant sa poitrine, au moment de son procès. Mais cette image est loin d’être négative, au contraire !

Ce chapiteau se trouve près de la croisée du transept, dans une série de Pères du désert. Eugène-Eugénie est alors placé.e et valorisé.e parmi des hommes (ce qui signifie bien qu’on la considère comme appartenant à ce groupe).

Le Christ même est une figure ambiguë. Il est souvent présenté comme une figure maternelle (cf. le livre Jesus as Mother… de C. W. Bynum sur les cisterciens), et selon D. Lett, au moment de la crucifixion, son corps se différencie de celui des deux larrons :

le bombement de son sexe est moins marqué. C’est un sexe symbolique qui témoigne d’une procréation non humaine mais spirituelle. La plaie à son flanc ressemble d’ailleurs à un sexe féminin qui saigne pour donner naissance à Eve et/ou à l’Église.

Jusqu’ici, on a seulement évoqué des personnes assignées femmes qui adoptent une identité masculine. L’inverse est en effet plus rare au Moyen Âge. Pourquoi ?

Selon Clovis Maillet, cela s’explique par la stricte hiérarchie qui existe alors (mais on ne donne pas de leçon…) entre féminin et masculin, avec une justification théologique de la supériorité masculine.

De fait, les parcours transmasculins pouvaient être valorisés (on va vers le mieux : l’Homme), au contraire des parcours transféminins (on va vers le pire : la Femme).

Clovis Maillet travaille cependant désormais sur d’autres cas de parcours transféminins. On connaît quelques cas de femmes trans arrêtées. Elle le sont non pas pour leur genre mais pour la sexualité non conforme qu’on leur suppose alors.

En d’autres termes : ce n’était pas le genre social adopté qui était criminel, mais le fait de, pensait-on, dissimuler derrière un « péché sodomite ».

A Venise par exemple, en 1355, Rolandina Ronchaia était une femme transgenre travailleuse du sexe qui a été condamnée à mort : elle passait pour une femme alors qu’elle avait un pénis (c’était donc un homme pour les juges).

Une dernière question encore : comme Clovis Maillet, on a parlé ici de personnages au genre « fluide » mais aussi « trans » ou « transgenre ». Ces mots actuels peuvent-ils s’appliquer pour le Moyen Âge ? Ne serait-ce pas (horreur)… UN ANACHRONISME ?

L’auteur répond clairement à la question. Pour les saint.e.s byzantin.e.s, les chercheur.euses ont d’abord parlé de « complexe de Diane », de « femmes déguisées en moine » ou encore de « saintes travesties ». Sam Bourcier évoque lui des « parcours transgenres ».

Aucun terme, bien sûr, n’est médiéval ! Ces expressions reflètent avant tout la manière dont on a envisagé la question à une époque donnée.

Que disent les textes médiévaux ? Ils nous parlent de personnes qui se disent homme à raison (« recte vir diceris »), on cite leur nom au masculin et au féminin, on parle de saints au masculin (« sanctus Eugenius).

Si les textes n’emploient pas tous les mêmes mots, Clovis Maillet choisit de les mettre en série sous une même appellation : « trans » ou « transgenre ». C’est à la fois un mot valise qui désigne actuellement une multitude d’expériences personnelles…

… et un terme qui permet de respecter des personnes qui font aujourd’hui une transition de genre dans leur vie sociale. Car c’est aussi le rôle de l’historien.ne d’allier exigences scientifiques concernant les sources, et éthique.

Quand on étudie le Moyen Âge, on cherche toujours à trouver le mot juste pour désigner, avec nos termes actuels, des réalités qui ne sont plus les nôtres. La dénomination de personnes médiévales comme « transgenre », elle aussi, est appelée à évoluer !

Pour plus de précisions, allez lire l'entretien complet sur notre blog ! 😊actuelmoyenage.wordpress.com/2022/11/10/ent…