Thread by @Laelia_Ve

Aujourd'hui j'aimerais vous parler du #Goncourt ... en prison. Qu'est-ce que le nouveau dispositif appelé "Goncourt des détenus", en théorie et en pratique, comment il a été appliqué dans les deux établissements pénitentiaires que je connais⬇️ @justice_gouv @LeCNL

Vous connaissez le principe du prix Goncourt : chaque année dix membres de l'Académie sélectionnent 15livres et en élisent un. Le dispositif avait déjà été étendu aux lycéens. Pour la première fois, en 2022, il est étendu aux personnes détenues (à voir si ça continuera... 🤞)

D'un point de vue orga ça veut dire que chaque établissement pénitentiaire partenaire organise un groupe où les gens essaient de lire les 15 livres et d'en sélectionner3, puis chacun envoie un délégué aux délibérations régionales, puis délibération nationale au CNL le 15 décembre

En pratique, comment ça s'est passé à Orléans-Saran (centre pénitentiaire: Maison d'arrêt + Centre de détention, petites et moyennes peines) et à Saint Maur (maison centrale, longues et très longues peines) ? Je vous raconte. #GoncourtDesDetenus #Goncourt

J'en profite pour saluer le très gros boulot fait à Orléans-Saran par le RLE (Responsable Local d'Enseignement) Pascal Rémond et par Claire Langlois, agente pénitentiaire et assistante de formation et à Saint-Maur par Robin Duc @RobinCamenzind2 : c'est leur travail que je raconte

Il fallait déjà constituer des groupes de personnes motivées sachant que la tâche est très lourde: lire 15 livres en deux mois!!! Quasi-impossible(car non en prison on n'est pas tranquille sur son lit à n'avoir rien d'autre à faire, il y a le travail, les activités, le bruit,etc)

Il fallait arriver à présenter ça non pas comme une tâche vouée à l'échec, mais comme une découverte, un plaisir, et un moment d'échange: entre personnes détenues, responsables scolaires, pénitentiaires, personnes extérieures (notamment via les rencontres auteurs/autrices)

À Orléans-Saran Claire Langlois et Pascal Rémond ont arrivé à créer un groupe d'une 15aine de personnes, qui a tenu, et (fait rare!) un groupe mixte! (Sachant que les activités mixtes sont rares en prison).

Dans les 2cas, ça a très bien marché. Grâce à l'échange. Discuter à propos de livres, c'est parler de littérature, mais c'est aussi parler du monde social (bcp de livres en lice pour le Goncourt sont assez noirs, parlent de violence par ex culture.gouv.fr/Presse/Communi…) parler de soi

C'est l'échange qui a permis qu'autant participent et s'accrochent, alors que certaines des personnes qui participent avaient un bagage scolaire, mais d'autres pas du tout. Mais le principe de discussion a permis de passer d'une activité solitaire à une activité collective

Ces discussions autour de la lecture apprennent aussi à gérer le conflit (des opinions différentes, des remarques sur l'un sur l'autre, des façons de prendre de la place) par la parole.

Un élément important, les rencontres avec les autrices /auteurs.Par ex, à la maison centrale de Saint-Maur, un livre était largement en tête "Sa préférée" de Sarah Jollien-Fardel.Coup de chance, ils ont pu avoir une rencontre avec l'autrice @lanouvellerep_ lanouvellerepublique.fr/indre/saint-ma…

Je peux vous dire que la rencontre a été PREPAREE avec soin (sans doute plus que par certains journalistes 😉) par exemple les participants ont cherché à écouté TOUTES les itws de Sarah Jollien-Fardel pour ne pas reposer des questions déjà posées...

Elle a eu une série de questions hyper précises (elle a pu voir que son livre a été lu et apprécié!) "à telle page vous écrivez ça" "à telle page vous employez tel ou tel mot"... si bien que l'échange a été vraiment riche. (Merci à elle, qui a vraiment joué le jeu).

Par exemple, les participants s'étaient beaucoup interrogés sur la fin(ambiguë) du livre, ils en ont beaucoup discuté,et S.Jollien-Fardel a expliqué qu'elle avait hésité entre deux fins et a même lu une version antérieure de la fin (ça allait vraiment dans le détail de l'analyse)

À Orléans-Saran, on a eu Makenzy Orcel, qui est venu parler de son livre "Somme humaine" (qui avait provoqué des réactions contrastées). Ça a été couvert par @larep_fr larep.fr/saran-45770/lo… (à gauche, c'est Pascal Rémond!!)

Idem, il a eu des questions très préparées et hyper précises, notamment sur le choix de narration. Et je pense que le fait que le groupe soit mixte a permis d'évoquer plus de questions (pourquoi choisir de raconter du point de vue d'une femme par exemple).

Quelques réactions des participantes/participants à propos des livres (des compliments et des critiques!) "Somme humaine": "Je n'avais pas aimé, mais je vais essayer de le relire maintenant que l'auteur a expliqué certains choix pour voir si ça me fait un effet différent"

"Notre si chère vieille dame auteure" d'Anne Serre, chaude discussion ! 1)"Pas d'histoire, mais une super métaphore" 2) "ça commence comme un lieu commun, mais finalement elle réussit à aborder des questions qu'on ne pose pas d'habitude"

"Taormine" d'Yves Ravey, deux réactions:
"Super tension narrative mais fin pourrite"
"Un peu léger en terme d'histoire et de style. Les éditions de minuit, c'est pas censé être la collection du travail sur le style?" 😁

Voilà, franchement pas grand-chose de négatif à dire sur le dispositif #GoncourtDesDetenus #Goncourt Ce qui a été dur, c'est surtout la quantité de livres à lire vite (mais au moins les moyens ont été mis, ils ont été reçus sans problème) et les délais.

Bien sûr, on pourrait nuancer, ce n'est pas bisounours (rien n'est bisounours de toute façon en détention): quand on parle des livres on parle de soi et du monde social, et quand on parle de livres qui abordent souvent des sujets violents, on se confronte à la violence des autres

Mais bon, normalement c'est le principe en détention de ne pas faire semblant d'oblitérer ces questions de violence mais de les aborder, si on peut les aborder par le biais de la littérature, tant mieux.

Bien sûr, je sais que c'est aussi une activité rassurante, car centrée sur une culture "légitime". Bien sûr, certaines réactions positives sont ambiguës (oh mon dieu une personne détenue qui lit et qui fait une analyse littéraire, incroyable).

Il faudra un jour réfléchir sur les activités culturelles (on veut bien mais tant que c'est de la "bonne" culture",on veut bien mais tant que les gens y réagissent exactement comme on le présupposait,on veut bien mais tant qu'on pense que les effets sont unilatéralement positifs)

Mais franchement, ça a été une expérience très positive (dans les établissements pénitentiaires où je vais, mais j'ai eu aussi de bons échos ailleurs), qui a fait du bien à tout le monde (personnes détenues participantes et pôle scolaire) ! #GoncourtDesDetenus #Goncourt