Qu’est-ce que le fact-checking: un thread
A l’occasion des attaques des complotistes et fascistes Aberkane, Azalbert et Sud Radio contre le site Fact and Furious et contre le fact-checking en général, petit thread sur ce qu’est le fact-checking et ce qu’il n’est pas.
Premier mythe, “le fact-checking dit ce qui est vrai et ce qui est faux” et ses déclinaisons “le fact-checking déplace tout sur un axe vrai/faux” ou la déclinaison plus radicale“vous êtes le ministère de la vérité de 1984”
C’est une critique qui date, qu’on retrouve chez Frédéric Lordon en 2016 par exemple (et à laquelle il fallait déjà répondre politiquement…) medium.com/@Antonyn6/de-q…
Le problème de Lordon et de ses héritier est une des conséquence du Fact-Checking:
Le fact-Checking effectue un tri entre le fait et le commentaire. Le fact-checking ne fait pas que ça mais le fait aussi dans les opérations qu’il met en place. Du coup les professionels du commentaire sentent leur business menacé
“Si on peut plus faire de commentaire politique sur les faits” disent-ils. “Mais si tu peux faire du commentaire, juste il sera séparé des faits et classé avec les autres commentaires” répondent les fact-checkeurs
Fureur du commentateur: “Ah mais alors vous mettez tous les commentaires au même niveau? Dépassement de l’Idéologie! Interdiction de dénoncer l’emprise de l’argent! Gardien du temple de l’élite etc.” C’est le fond de la série d’article de Lordon sur le sujet il y a 6 ans.
En réalité l’axe vérité/mensonge; vrai/faux n’a aucun sens pour qui s’est déjà confronté à la pratique du fact-checking. Quand on met les mains dans le camboui on est confronté à ça: (lien vers la classification First Draft qui fait actuellement consensus) firstdraftnews.org/articles/fake-…
essayez de remettre le vrai / faux là dedans... C’est ce qui est arrivé à à peut près tous les fact-checkeurs. Parti sur du “vrai/faux” ils doivent faire face à la réalité faite de “désinformation / malinformation / satire / décontextualisé / vrai mais daté d’il y a 3 ans” etc.
Le champ du fact-checking et de la lutte contre la désinformation se galère depuis 2016 non pas à classer le vrai-faux mais surtout à trouver des catégories pour le faux. Le vrai n’intéresse pas tellement. @LeDecodex, des @decodeurs a abandonné le point vert “vrai” très vite
Parce que, (percée conceptuelle): le fact-checking ne définit pas le vrai! Il: 1) se saisit d’un objet 2) détermine si il existe un consensus social qui permette de s’accorder sur une perception commune de cet objet 3) Dispense comme preuve les références de ce consensus social
(en gros) 1) La terre est elle plate? 2) nos sociétés s’accordent pour dire que la science est supérieure à la croyance et les scientifiques sont Ok pour dire qu'elle est ronde 3) voici les articles scientifiques vulgarisés et pédagogiques qui expliquent que la terre est ronde
Un autre: 1) Trump a-t-il gagné ? 2) Le consensus démocratique dit que celui qui a le + de voix a gagné, et nos sociétés sont ok pour faire confiance à la façon dont on compte. 3) voici les résultats ainsi que le détail de la façon dont on compte (vulgarisée et pédagogique.)
Ceux là sont à peu près façiles (et encore) mais le fact-checking va prendre d’autres objets qui peuvent être beaucoup plus ardus et leur faire passer les 3 opérations. Ca va fritter avec, entre autres, 2 types de personnes:
1- Celui qui veut pas de consensus
Lordon par ex est convaincu d'un consensus sur la société capitaliste et il veut attaquer ça. Il a identifié les fact-checkeurs comme un groupe qui défendait le consensus il attaque bille en tête.
Pareil pour les fascistes. Ils ont identifié les fact checkeurs comme gardiens du consensus (wokiste islamo-gauchiste, protecteurs du grand remplacement et de la dictature sanitaire etc.) ils attaquent pareil
2- Celui qui veut que son commentaire soit classé comme un fait
Aberkane et ses 3 doctorats, Raoult et ses publications et titres. Tout un tas de conspis qui invoquent le droit de leur délire à être reconnus comme un fait à égalité avec les autres. Le Fact-checking les en empêche
La troisième opération du fact-checking, l’administration de la preuve, est aussi fascinante (et à un milliard d’années lumières du “vrai / faux”. En fait le fact-checking n’étant pas ministre de la vérité ne peut pas dire juste “vrai / faux” il doit dire pourquoi;
ET le fact-checking ne peut pas non plus juste renvoyer vers des liens d’articles scientifiques de centaines de pages auxquelles personne ne comprend rien. Arrive alors l’étape la plus intéressante: la PEDAGOGIE
Il faut administrer la preuve d’un consensus social sur une question de façon claire et compréhensible par tous. Exercice complexe, encore plus sur des questions à priori simple genre “ne vous mettez pas du bicarbonate de soude dans la schnek” factuel.afp.com/du-bicarbonate…
Cette obligation d’administrer la preuve de façon intelligible et pédagogique par le plus grand nombre va aussi agacer une petite bourgeoisie “nan mais je savais déjà han” et qui auront l’impression qu’on s’adresse à eux grands intellectuels comme à des bébés qui connaissent rien
Du côté + ça pousse à un développement assez incroyable de la pédagogie dans le fact-checking. On en parle peu mais les articles “pédago”, les formations/trainings/interventions dans les écoles, le développement d’outils comme @veraai_eu, c’est la partie immergée de l’iceberg
Apprendre aux gens ce qui fait consensus, pourquoi ça fait consensus, comment il s’est construit etc. est un impératif de recevabilité de la preuve.
Et tous les gens qui se sont collés au fact-checking ont finit par se retrouver à faire de la pédagogie (et à adorer ça)
Donc le fact-checking:1) recréé du commun en définissant les espaces de consensus 2) sépare le fait du commentaire. Ce qui est amusant c’est que les deux principaux reproches fait au fact checking, ne s’adresser qu’aux convaincus et définir le vrai/faux sont à coté de la plaque.
Cette activité est assez essentielle en démocratie. C’est pas tout rose non plus et il y a beaucoup de choses à critiquer, la professionnalisation qui exclue les militants, les fact-check de source ouvertes dérrière un paywall, la super personalisation de certains influenceurs...
Autant de phénomène qui ont aussi leurs bons côtés, la professionnalisation permet de développer des techiques pros, le paywall rémènuère l’activité, la super personnalisation sur youtube permet de toucher un public plus large, tout ça est complexe
Fact N Furious paye actuellement un peu pour tout le monde. Les fascistes attaquent sur le personnage et sur la rémunération des pigistes parce qu’ils savent qu’il y a une faille sur la professionnalisation et la personnalisation
Fact N Furious paye aussi le mépris généralisé pour le fact-checking de la part de tout le champs. Le fact-checking c’est le ramassage des poubelles en réalité. En vrai tout le champs de la lutte contre la désinformation repose sur le boulot fait par les fact-checkeurs
Et y’a tout un tas de gens dans leur petite boutique de upcycling qui vont revendre 120 balles des boucles d’oreilles en bouchon de bouteille et regardent passer les éboueurs en disant “ça sert à rien pour la planète ce qu’ils font”
Enfin j’encourage vraiment à vous coller à un fact-check de temps en temps. Ca fait un bien fou de mettre un peu les mains dedans. Ca permet de mettre à jour ses outils, d’affiner ses idées (on sépare son commentaire des faits) ça reconnecte avec le réel, on fait un peu d’OSINT
“Tiens ça est-ce que ça pourrais se vérifier? Est-ce que je pourrais le vérifier? Comment je m’y prendrais? De quels outils ai-je besoin? Sous quel format je peux partager ça? Comment je rend ce paquet de preuve compréhensible par tout le monde?”
Et c’est bien bien triste que Fact N Furious ne puisse plus offrir un espace de formation, de pédagogie et de publication des fact-checks. Courage à eux
EN BONUS: si vous voulez aller lire les articles de Lordon de l'époque, j'ai fait un petit tuto: "comment lire un article de Frédéric Lordon". Ca marche un peu pour tous. #pédagogie#tuto
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Un jour j'ai demandé à ce gars qui partageait Jacques Van Rillaer si c'était possible de faire une critique de la psychanalyse sans faire la promo de compagnons de route de l'Extreme Droite et sans recycler les délires antisémites sur Freud, le gars est parti dans un bingo...
"Alors parce que Freud est juif on peut pas dire qu'il aime l'argent? Vous utilisez le mot antisémitisme pour nous empêcher de dire la vérité sur la psychanalyse, j'ai un ami juif qui est d'accord avec moi" Je faisais des efforts surhumains pour pas le traiter d'antisémite
Plus globalement ce genre de cas semble symptomatique d'une certaine tendance de la "pensée critique" à s'arroger une supériorité sur la pensée. Au nom d'une "pensée scientifique / pensée critique" ou "méta-jenesaisquoi" on décide qui est "la raison" et qui est "pseudo-science"
Suite à un énieme recyclage des vieux fonds anti-Freud et anti-Psychanalyse par un podcast en vue j'avais pondu cet article. Qui étonnament a produit des débats vraiment interessants entre gens pas du tout d'accord. Ca m'a donnée une petite idée ⤵️
Et si, au lieu de sombrer dans le conspirationnisme et l’extrême droite au nom du « droit à la critique de la psychanalyse » on essayait de bosser ensemble ? Des psys et des comportementalistes (des sincères) ? Sur un sujet d’intérêt public ?
Le podcast @ChocMeta continue la promotion de sa série avec Van Rillaer et la promotion de la haine d’extrême droite et antisémite de Freud, et sombre dans le conspirationnisme crasse sur le thème "ils sont partout, dans les médias et à l’université"
Comme pleins de gens s’intéressent soudain à #Mastodon, j’ai décidé de m’interesser soudain à Mastodon et de vous faire un petit guide / kit de démarrage #OSINT, #GDPR, #Désinformation, c’est par ici :⤵️
Donc Mastodon n’est pas UN mais DES réseaux sociaux. Mastodon c’est le système qui permet de les faire tenir ensemble. Chaque réseau social a son serveur et son nom de domaine, mais les utilisateurs de mamot.fr peuvent interagir avec ceux de mastodon.social
L’utopie est celle-ci : imagine tu peux avec ton compte twitter commenter la photo instagram d’un ami ? C’est l’interopérabilité
Alors j'encourage vraiment la lecture de cet article d'@Olivier1Schmitt et merci et biencvenu à ceux qui réalisent maintenant qu'il y a un petit souci de pro-poutinisme avec Macron, mais je vais me permettre quelques remarques
Le problèe de Macron avec Poutine n'est pas la reprise une fois du narratif "il ne faut pas humilier la russie" dont il convient ensuite de prouver qu'il est un narratif pro-Poutine. Le problème est pas un narratif, il est celui d'une politique pro-Poutine
Une politique menée activement par Macron durant ses deux mandats. Petite liste non exhaustive ici
On a donc un député macroniste, @tgassilloud
président de la commission défense de l’Assemblée Nationale @AN_Defense qui va écrire pour une revue de géopolitique fasciste pro-Poutine Terra Bellum. Gros souci et petit thread sur Terra Bellum archive.ph/dJHWr ⤵️
La chaine Terra Bellum s’est ouverte en 2018 pour “attirer les internautes avec une vison réaliste et pragmatique du monde” (“Réalisme” et “Pragmatisme” étant des mots-clés bien connus de la propagande pro-Poutine ayant peu de rapport avec la réalité
La réalité c’est qu’en 2018, deux petit "Kheys" d’extrême droite biberonnés au fascisme du JVC18-25 se décident à passer d’une chaîne de gaming à une chaîne de “Géopolitique” et ils font migrer leur communauté (de plusieurs dizaine de milliers de followers) d’une chaîne à l’autre
Pour que la lutte contre la désinformation ne devienne pas l’anticomplotisme. Thread sur les rapports entre les deux, l’évolution négative de l’anticomplotisme, les atouts de la lutte contre la désinfo et pourquoi on souhaite préserver la lutte contre la désinfo des dérives
La lutte contre la désinformation et le complotisme ont des objets d’études qui se recoupent. Une recherche sur un phénomène complexe, contemporain, fasciste et antidémocratique, surfant sur des aspirations et critiques parfois très légitimes et instrumentalisés par des régimes
L’anticomplotisme a pu, un certain temps dans les années 2000, être vraiment utile à l’antifascisme, voir même indispensable. Le boulot de @RReichstadt dans ces années c’est vraiment pas rien. Et les gens que ça intéressaient se comptaient sur les doigts d’une main