Encore une femme médiévale absolument incroyable et dont vous n’avez sûrement jamais entendu parler : la reine Hélène Paléologue de Chypre. Une reine qui dirige son royaume alors même qu’elle est... paralysée.
Hélène, née en 1428 (peut-être), est la fille d’une noble italienne et de Théodore II Paléologue, le despote de Morée, un Etat grec indépendant. En 1442, elle épouse Jean de Lusignan, le roi de Chypre.
Elle n’a que 14 ans mais toutes les sources soulignent son énergie, son intelligence acérée, son acuité politique, son éloquence incroyable. Elle prend rapidement l’ascendant sur Jean, obèse et faible d’esprit, et s’affirme comme la figure clé de la cour.
Comme le note plus tard le pape Pie II, qui la déteste, « ayant pris conscience de la bêtise de son mari, elle se comporta plus en roi qu’en reine ».
C’est une critique, bien sûr, car c’est alors un péché de ne pas respecter la répartition genrée des rôles politiques...
Dès 1444, elle donne à Jean une héritière : la princesse Charlotte (future reine de Chypre). Elle assure elle-même l’éducation de Charlotte : de sa mère, la future reine hérite une éloquence si redoutable qu’un chroniqueur la compare à un « torrent furieux » !
La même année, elle marie sa cousine Zoé au comte Jacques de Flory, le principal noble du royaume. Il s’agit d’un mariage prestigieux mais imposé : Jean le refuse d’abord, et va même jusqu’à quitter le royaume pendant un temps !
Tout n’est pas rose. En 1447, sa deuxième grossesse se passe mal : l’enfant meurt et Hélène se retrouve paralysée.
« De son nombril jusqu’à la plante des pieds ne restait plus en elle aucune sensibilité : jusqu’à sa mort, elle dut garder le lit et seule lui demeurait sa langue ».
Normalement, une telle maladie aurait entraîné sa relégation par le roi. Au contraire, Hélène renforce son autorité, nomme des amis et des parents aux postes clés, dirige le conseil royal depuis son lit. Quand on vous dit qu’elle est badass... !
Hélène n’est pas tendre. Elle redoute le bâtard de son mari, Jacques le Bâtard, qu’il a eu avant leur mariage : beau, charmant, le jeune homme a de nombreux alliés. Par jalousie, Hélène fait couper le nez de sa mère, Marietta de Patras, réputée pour sa beauté.
De même, Hélène fait exiler Guillaume Goneme, le confesseur du roi : elle redoute son influence et préfère donc l’écarter. Bref, ça ne devait pas rigoler à la cour de Nicosie... !
La place centrale d’Hélène se voit dans plusieurs documents : le roi d’Aragon Alphonse V lui écrit des lettres, toujours pour des questions politiques ; quand le pape excommunie le roi de Chypre (pour une histoire d’archevêque), il cite explicitement la reine.
Il faut dire qu’Hélène est grecque et de rite orthodoxe et se retrouve dans un royaume catholique. Certes, depuis le concile de Florence en 1439, les deux Eglises sont théoriquement unies, mais les tensions restent vives.
D’ailleurs, la légende noire d’Hélène, née dès le XVe siècle, l’accuse d’avoir voulu imposer le rite grec dans l’île. En réalité, c’est parce qu’elle s’est appuyée sur des Grecs, notamment venus de familles non-nobles, qui donc lui devaient tout et lui étaient fidèles.
Par exemple, Hélène fait de Thomas, son frère de lait (donc le fils de sa nourrice), d’abord le chambellan puis le maréchal du royaume. Elle réussit également à attirer des militaires catalans dans son orbite, via des mariages stratégiques.
En 1455, un Génois note que « le royaume est dirigé par une reine. Le roi n’en a que le nom et est soumis à cette infirme dans un lit, qui ressemble à un spectre ». Certes les Génois détestent Hélène mais le témoignage reste très révélateur du pouvoir de la reine.
Sa prudence politique est également remarquable. Pour échanger avec sa famille en Morée, elle évite les lettres, susceptibles d’être interceptées, et passe uniquement par des messages oraux confiés à des hommes de confiance.
Enfin, c’est elle qui réussit à imposer comme mari pour sa fille un noble catalan (alors que le roi penchait pour un membre de la maison de Savoie). Le roi d’Aragon est en effet devenu un acteur majeur en Méditerranée et sa puissante flotte protège l’île des ambitions ottomanes.
Comme le note un génois dans une lettre : « cette décision s’est faite contre la volonté du roi et celle de tous les gentilshommes. Ainsi l’a voulu la reine ». Hélène est donc capable d’imposer ses décisions, même contre l’avis du roi.
Résultat : elle s’aliène la noblesse du royaume. Le puissant Jacques de Flory, notamment, se révolte contre elle en 1454, tente un coup d’Etat (raté) puis un complot avec les Génois (encore raté).
En 1456, Hélène triomphe : Jacques de Flory a été exilé, et Charlotte épouse Joan de Coimbra, noble aragonais.
Mais à partir de là, tout va mal : Joan est empoisonné, et Jacques le Bâtard assassine les deux meilleurs soutiens de la reine, dont son frère de lait Thomas.
C’est sûrement la goutte d’eau et Hélène meurt en 1458. A seulement 30 ans, reine depuis 16 ans, elle a dirigé le royaume d’une langue de fer. Contre l’influence des Génois, elle a déployé une contre-politique secrète pour se rapproche du roi d’Aragon.
Son bilan est en demi-teinte. Après sa mort, on force Charlotte à épouser un Savoie. Charlotte elle-même doit fuir l’île en 1463, car son demi-frère bâtard, Jacques l’Archevêque, prend le trône par la force (décidément, quel homme charmant).
Mais reste que le parcours d'Hélène est impressionnant. D’autant plus qu’elle a fait tout ça en étant paralysée, sans pouvoir quitter son lit ! Alors, @NetflixFR, à quand une petite série... ?
Connaissez-vous les 7 péchés capitaux ? C'est comme les 7 nains, généralement on en oublie un...
En 1475, un enlumineur propose une superbe version illustrée dans un Livre d'heures copié à Poitiers (@MorganLibrary MS M.1001).
Un thread ⬇️!
On commence par l'orgueil, en latin "superbia". Le péché est représenté par un beau jeune homme s'admirant dans un miroir, monté sur un lion. En bas, le démon associé au péché est Lucifer, pointant vers une femme dédaigneuse et méprisante...
Numéro 2, l'envie. Incarné par Belzébuth, ce péché est symbolisé par la pie (oiseau voleur) et, en bas, par des gens qui convoitent le bien d'autrui.
Au XVe siècle, on se met à imprimer un peu partout en Europe. Mais l'imprimerie coûte cher et se lancer dans l'aventure exige souvent de dresser un contrat précis entre imprimeur, auteur, éditeur, libraire... Un thread à partir d'un ouvrage récent ⬇️!
Catherine Rideau-Kikuchi édite ici des contrats d'imprimeurs, trouvés dans les archives de plusieurs villes du nord de la péninsule italique, entre 1470 et 1528. Bravo à l'autrice car les recueils de sources sont toujours précieux ! @EditionsCG
@EditionsCG Ici, focus sur un contrat du 22 mai 1499, conclu à Bologne entre Filippo Beroaldo, humaniste, professeur de rhétorique à l'université, et Benedetto di Ettore Faelli, libraire et imprimeur.
Le plus souvent, on y représente des animaux plus ou moins fantastiques et des scènes du quotidien.
Mais, quand on y regarde de près, on s’aperçoit que ces scènes cachent parfois... des violences sexuelles. Un thread ⬇️!
Je vulgarise ici un excellent et passionnant article écrit par @M_PerezSimon et Delphine Grenet @Grenet81020939, dans ce volume. Merci aux autrices qui me l’ont envoyé et ont relu ce fil ! Poke @RCPPMassoc
@M_PerezSimon @Grenet81020939 @RCPPMassoc Les autrices rappellent que ces scènes de violence n’ont le plus souvent pas été vues ni nommées par les chercheurs. Ainsi de cette sculpture de cheminée de Bruges, intitulée « scène de séduction », alors que les gestes de la femme montrent qu'elle repousse une tentative de viol.
Au VIIIe-IXe siècle, les conquêtes arabes balaient la planète. Une question se pose aux gens : faut-il se convertir ? Au milieu du IXe siècle, Hunayn ibn Ishaq, un médecin chrétien de la cour du calife, distingue 6 raisons de se convertir à l'islam. Un thread ⬇️!
Je tire ce thread du livre suivant : Etienne de la Vaissière, Asie Centrale 300-850 (@BellesLettresEd), plus précisément p. 452-457 !
@BellesLettresEd 1/ La force. Lors des conquêtes, les conquérants imposent souvent l'islam à la pointe de l'épée. Mais cela ne dure pas, et ensuite on n'a aucune trace de violence d'Etat généralisée. L'apostasie est en théorie punie de mort mais c'est rarement appliqué.
C'est en forgeant qu'on devient... forgeronne ! Eh oui, au Moyen Âge, on rencontre des femmes forgeronnes dans les sources : pas dans la fiction, dans la vraie vie. Des femmes qui travaillent le fer et le feu, fabriquant armes et outils...
Un thread ⬇️!
Ces forgeronnes sont peu nombreuses. C'est logique. Les sources médiévales s'intéressent le plus souvent aux hommes, aux chefs de famille, et par ailleurs les femmes sont exclues des guildes ou corporations, et donc des sources de ces institutions.
Mais on en croise de temps en temps ! Ainsi de cette "Alice la Haubergière", c'est-à-dire littéralement "la fabricante de hauberts", active dans les années 1300-1310 à Cheapside (Angleterre), ou de "Eustacha l'Armurière", active en 1348.
Y a-t-il un "techno-féodalisme" ? Cette comparaison est très présente en ce moment...
Petit fil pour montrer 1/ pourquoi le concept est peu pertinent scientifiquement et 2/ pourquoi cette comparaison s'inscrit dans une histoire longue du médiévalisme ⬇️
L’hypothèse du "techno-féodalisme" : l'économie numérique a régressé vers des sites privés, qui seraient en fait de nouveaux « fiefs », dirigés de manière autoritaire par des patrons (= les nouveaux seigneurs), imposant leurs outils aux usagers (= les nouveaux serfs).
Selon ces deux auteurs en particulier, cette nouvelle économie serait "féodale" car articulée autour de la recherche d'un monopole et d'une rente, et pas du profit. Les techno-seigneurs (= Musk) toucheraient une rente, tout en se déconnectant du système de production.