Thread by @CaluGuillaume

Déclin des #Arthropodes provoquée par l'enrichissement inorganique des milieux, une méta-analyse.
Dans un précédent thread, j'abordais la mise en évidence déclin des #insectes. Dans ce fil, examinons une des causes suspectées : les apports #anthropiques en azote et phosphore.

Pour le premier volet introductif sur les évidences du déclin des Insectes 🐝🦋🪳 je vous renvoie à la lecture de ce fil complet ci-dessous :

https://twitter.com/CaluGuillaume/status/1602340491844288512

Lorsqu'on parle enrichissement en azote et en phosphore, on pense invariablement aux fertilisants de synthèse. Cependant l'agriculture n'est pas seule source de rejets dans l'environnement, les eaux usées et l'activité urbaine ou industrielle tiennent aussi une place conséquente.

Et si les conséquences de ces enrichissements sur la biodiversité animale demeurent encore mal compris, de trop forts apports en N et P ont déjà montré une réduction de la richesse spécifique et de la biomasse végétales.

Mais qu'en déduire pour autant ? Peut-être faut-il interpréter ces dégradations sur la flore comme une première étape vers des cascades écologiques, et donc craindre une dégradation de l'abondance et de la richesse spécifique des niveaux trophiques supérieurs du règne animal.

Les dégradations des écosystèmes aquatiques suite à un enrichissement en azote et/ou phosphore sont toutefois déjà renseignées. Les enrichissements des eaux de surface peuvent aussi modifier la chimie de ces biotopes aquatiques, comme la teneur en dioxygène dissout ou le pH.

Le phénomène d'eutrophisation est induit par enrichissement des eaux de surfaces en macronutriments N et/ou P, puis par efflorescence d'une biomasse à la richesse spécifique réduite, et enfin par accumulation de la biomasse générée. Il est déjà fort bien connu.

Toutes ces perturbations biogéochimiques peuvent avoir des impacts négatifs sur les Invertébrés aquatiques et les réseaux trophiques associés. Cependant, ces données sur écosystèmes aquatiques ne renseignent pas sur les effets des enrichissements sur les écosystèmes terrestres.

En octobre dernier, Nessel et al (2022) ont publié une méta-analyse sur les surplus d'azote et de phosphore d'origine anthropique et leurs conséquences sur les Arthropodes, ici les Hexapodes (dont les Insectes) et les Arachnides.

esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.10…

Les auteurs de cette étude se sont donc penchés sur les différentes études disponibles concernant les effets de ces enrichissements en nutriments azotés, phosphorés ou combinés. Leur base de données s'appuie sur 901 cas d'études pris dans 24 pays différents.

Pour être précis, la majorité des études prises en compte dans cette méta-analyse concernent l'Amérique du Nord (63,4 %), se situent dans des zones tempérées (87 %) ou impliquent des habitats terrestres (89 %).

Selon les cas étudiés, les Arthropodes ont été classés jusqu'au plus bas niveaux taxonomiques possibles, et les études ne renseignant pas directement les taux d'enrichissements en azote et phosphore ont été traitées séparément pour prendre en comptes leurs propres indicateurs.

Pour ne pas trop alourdir ce fil, je laisse de côté les détails concernant le traitement statistique de cette méta-analyse. Le lecteur intéressé pourra les consulter sur la publication. Notons toutefois que les indicateurs stats permettent de l'estimer comme robuste.

Quant aux résultats, de cette étude, ils montrent un effet négatif significatif des enrichissements en azote ou combinés azote & phosphore sur l'abondance des Arthropodes. Sauf que comme toujours, le Diable se cache dans les détails.

En effet, si les enrichissements en azote et combinés sont globalement néfastes (on y revient ensuite), les enrichissements en phosphore n'ont pas d'effet significatif sur les Arthropodes, ce qui souligne déjà des réponses hétérogènes selon le type d'enrichissement anthropique.

De plus, comme vous l'aurez remarqué dans la figure précédente, les effets des enrichissements en azote ne sont pas significatifs sur les Arthropodes aquatiques, mais abaissent significativement l'abondance des Arthropodes terrestres.

Enfin sans surprises, les enrichissements en phosphore ont aucun effet significatif sur les Arthropodes terrestres comme aquatiques. Quant aux enrichissements combinés N+P , ils ont un effet négatif significatif sur ces deux taxons classés selon l'habitat.

Concernant les différents biomes renseignés, il n'a pas été possible de caractériser les effets des enrichissements en azote et/ou phosphore dans les écosystèmes aquatiques tropicaux.

Pour les écosystèmes terrestres des deux biomes, les effets restent comparables. Un test du khi² confirme d'ailleurs que les effets n'étant pas indépendants selon le biome suivi, l'importance de l'habitat n'est donc pas évaluable ici.

Enfin, une comparaison des effets selon différents taxons d'Arthropodes (Hexapodes et Arachnides) montre qu'à chaque fois, la combinaison d'enrichissements N+P provoque des effets significativement négatifs parmi la #biodiversité.

Les résultats de cette méta-analyse permettent de souligner les effets hétérogènes mais hélas sensibles des enrichissements anthropiques en azote et phosphore dans les écosystèmes, et indiquent leur corrélation avec le déclin des Insectes via les taxons Hexapodes.

De plus, cette méta-analyse va encore plus loin dans l'estimation des impacts négatifs de ce facteur anthropique sur la biodiversité, puisqu'elle inclut Hexapodes et Arachnides ! Notons cependant qu'elle concerne surtout les écosystèmes d'Amérique du Nord et tempérés.

Si les auteurs soulignent prudemment que la recherche scientifique peine encore à relier ces corrélations à des causalités directes ou indirectes suffisamment étayées, ils notent que l'enrichissement des milieux en N et/ou P demeure un facteur sensible de déclin des Arthropodes.

Les Arthropodes jouent un rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques comme terrestres. Leur déclin se présente comme un sujet complexe, tout autant que ses facteurs associés. Pour autant, cette crise écologique mondiale n'en demeure pas moins préoccupante.