Charlotte Piret Profile picture
Feb 16 33 tweets 5 min read
Au procès de l'incendie de la rue #Erlanger, l'heure est aux expertises de l'accusée.
Le professeur Daniel Zagury s'avance à la barre. Il a réalisé une expertise de l'accusée fin 2019, puis un complément le 7 août 2021, soit deux ans et demi après les faits.
Daniel Zagury au sujet de l’accusée Essia B. : “elle avait un certain recul sur son parcours chaotique. Et confronte d’emblée à la question d’un soin possible face à l’usage ancien et répété de toxiques [en l'occurrence, alcool, cannabis, cocaïne etc., ndlr]
L'expert psychiatre Daniel Zagury poursuit le compte-rendu de son expertise de l'accusée : "elle exprime de façon assez limpide :”je ne supporte pas la réalité”. Elle ne dit pas qu’elle ne comprend pas la réalité, mais qu’elle ne la supporte pas. Toute la nuance est là. "
Daniel Zagury : "la lecture de son dossier psychiatrique donne le tournis : épisodes de forte alcoolisation, des idées suicidaires, un épuisement familiale face à ses comportements répétés etc."
Daniel Zagury : "une fois à l'hôpital, comme c'est souvent le cas chez ce type de patients, elle s'amende rapidement. L'amendement et la disparition des symptômes rendent très vite inutile le maintien à l'hôpital. Et elle sort donc jusqu'à la prochaine fois."
Daniel Zagury : "les diagnostics qui ont été retenus sont essentiellement tournés autour de la dépendance à l'alcool et aux toxiques liés à une personnalité borderline.
L'hypothèse d'une bipolarité a été évoquée mais rapidement écartée par les multiples cliniciens qu'elle a vu".
Daniel Zagury : "nous partageons l'analyse en faveur d'une personnalité borderline : sentiment de vide et de désespoir profond qui appelle à la consommation d'alcool, intolérance aux frustrations, sexualité chaotique, épisodes psychotiques induits par la prise de toxiquess."
Daniel Zagury : "la spécificité du feu est que celui qui l'a déclenché ne maîtrise rien de la suite.
Il est exclu que le discernement d'Essia B. ait pu être aboli au moment des faits. En revanche l'ensemble des éléments conduisent à conclure qu'il a été altéré."
Daniel Zagury : "sa dépendance à l'alcool est chez elle une recherche d'apaisement de l'angoisse. C'est aussi un défi et ce qu'elle présente comme un choix de vie."
Président : "dans quels cas y a-t-il abolition?

Expert Daniel Zagury : "l'abolition c'est quand rien d'autre que la maladie ne peut expliquer l'acte.
Ici, c'est clair, net et sans bavure, elle ne répond pas aux critères de l'abolition du discernement."
Daniel Zagury : "l'altération de son discernement c'est un avis technique, pas un avis sur la nature de son acte."
Daniel Zagury : "toutes les personnes borderline ne mettent pas le feu à leur immeuble.
Les personnalités borderline c'est 2,5% de la population. Les Français sont 70 millions ? 68 ? Bon, je vous laisse faire le calcul, je ne veux pas me ridiculiser en public."
Daniel Zagury : "il y a deux écueils à éviter : le premier c'est qu'elle a une pleine conscience des conséquences de ses actes et le deuxième à l'inverse qu'elle est totalement déresponsabilisée par rapport à ce qu'elle fait.".
Daniel Zagury : "mais il y a chez elle une sorte de défi et une légitimation de son comportement comme étant contre la société bourgeoise."
Président : "lorsqu'elle sort de son hospitalisation, pensez-vous que son état soit adapté à une sortie?"

Daniel Zagury : "je n'ai rien vu à redire de la prise en charge d'Essia B.
Le problème c'est qu'on peut avoir une illusion d'optique."
Daniel Zagury : "Après un drame d'une telle ampleur, on refait le film à l'envers et on dit : "ah oui, si les psychiatres l'avaient gardée et avaient fait leur boulot, ce ne serait pas arrivé".
Daniel Zagury : "c'est vrai qu'eu égard à l'état catastrophie de la pyschiatrie publique aujourd'hui, c'est une question qui mérite d'être posée.
Mais en l’occurrence, elle a été à l’hôpital Sainte-Anne, qui n’est pas le plus démuni."
Daniel Zagury : “il n’y avait pas de justification thérapeutique à ce que les psychiatres la gardent. Et c’est contraire à la loi.
Faire supporter à cette pauvre psychiatrie la responsabilité d’un acte pareil, franchement c’est obscène ! “
Daniel Zagury : “c’est pas des voix qui lui ont dit d’allumer le feu. C’est pas délirant. Elle est dans une inconséquence et une impulsivité qui fait qu’elle a allumé le feu dont j’imagine qu’elle ne pouvait pas anticiper les conséquences dramatiques”.
Daniel Zagury : "mettre le feu ne réclame ni une intelligence, ni une force physique particulière. C'est une infraction dans laquelle les femmes sont un peu plus représentées du fait de l'absence de force physique. C'est un grand classique de la criminologie".
Daniel Zagury interrogé sur les perspectives d’avenir pour l’accusée : “il y a des parcours qui commencent de façon catastrophique et se stabilisent ensuite. Il y a le virage de la quarantaine. Donc, bien malin qui pourra dire ce qu’il en sera, mais c’est de l’ordre du possible.”
L'avocat général se lève, il a fait ses calculs : "vous avez dit que 2,5% de la population c'est-à-dire
1,750 million de personnes susceptibles d'être atteintes d'une maladie borderline"
"Un trouble, pas une maladie", lui lancent des avocats de parties civiles dans la salle.
Avocat général : "son comportement global est plutôt proche de quelqu'un qui s'intoxique volontairement?"

Daniel Zagury : "il est proche d'une personnalité borderline qui s'intoxique et s'alcoolise".
Daniel Zagury : "je ne remets pas en cause le fait qu'a certains moments, il peut y avoir de bref moments délirants. Mais ce n'est pas un délire chronique. Ce sont de brefs lâchages sous l'effet de toxiques. Mais c'est bref."
Daniel Zagury : "on peut d'ailleurs se dire qu'après un tel parcours et autant d'hospitalisations, elle aurait pu devenir psychotique chronique. Mais en fait elle a résisté, remarquablement."
Me Schapira (défense) : "vous avez dit que vous aviez une connaissance de l'affaire par les journaux et que vous vous êtes dit que ça allait être le procès de la psychiatrie. Peut-on s'interroger sur les conditions de sa sortie sans ce que ce soit le procès de la psychiatrie?"
Daniel Zagury : "oui, on peut s'interroger. Mais à nous expert, on ne nous l'a pas demandé. L'expert qui a une mission ne suit que la mission qui lui a été demandée par le juge. Nous n'avons eu que le dossier médical."
Interrogé par la défense sur les conditions de la sortie de l'accusée de psychiatrie, 6 jours avant le drame et 2 jours après un épisode délirant, Daniel Zagury explique : "quelqu'un qui n'a pas de trouble et qui demande sa sortie, les psychiatres ne peuvent pas le retenir."
Me Schapira : "Essia B. n'est pas délirante au quotidien?
Daniel Zagury : non
- "donc la question qui se pose est celle d'un trouble mental au moment de la commission des faits et son lien avec la prise de toxique ... "
Daniel Zagury : "dans l'affaire Halimi puisqu'à force de m'y faire penser je vais y penser, c'était la première fois qu'il faisait l'objet d'un épisode délirant du fait de la drogue.
Elle [Essia B., ndlr] avait entendu parler de la dangerosité de la drogues, 1, 2, 100 fois."
Me Schapira (défense) : "au moment des faits, est-elle dans un moment de délire?"

Daniel Zagury : "elle est dans un mélange d'alcool, toxique, colère, vengeance et réaction caractérielle. Elle est dans une amplification des délires émotionnels liée à la drogue et à l'alcool."
Me Schapira (défense) : "la veille, elle est allongée dans le couloir, elle gratte la porte et voit des oiseaux. Si je suis votre logique, c'est un épisode bref qui n'existe plus?"
Daniel Zagury : "oui"
Me Hufnagel : "c'est fréquent qu'une personne sorte de Saint-Anne et quelques jours après provoque la mort de 10 personnes?"
D. Zagury : "il ne faut pas déposséder le sujet de la responsabilité de ses actes. Sinon ce serait les psychiatre et les éducateurs qui seraient en prison"

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Charlotte Piret

Charlotte Piret Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @ChPiret

Feb 17
Bonjour à tous,

Au procès de l'incendie de la rue #Erlanger c'est aujourd'hui le jour de l'interrogatoire de l'accusée Essia B. sur les faits qui lui sont reprochés (avoir incendié la porte de son voisin et provoqué la mort de 10 personnes) et lui font encourir la perpétuité.
Dans le box Essia B. se lève, cheveux très longs, T-shirt sombre.
"Quelles sont vos qualités?", l'interroge d'emblée le président.

Essia B. : "j'ai de l'empathie pour les gens. J'aime mon prochain. Je pense que c'est mon énorme souffrance qui a développé ces qualités"
Président : "et vos défauts? On a parlé de manipulation ..."

Essia B. : "s'il y avait eu manipulation c'était dans le but d'obtenir de la drogue. Mais après, c'était plus du charme, la volonté de séduire les gens. Pas de la manipulation."
Read 65 tweets
Feb 15
Bonjour à tous,
Au procès de l'incendie de la rue #Erlanger, les victimes continuent à se succéder à la barre.
Ce matin, Bénédicte, 33 ans, alors habitante du 7e étage depuis 5 ans.
"Cette nuit-là, je me suis couchée tôt. J’ai été réveillée une 1ere fois par une dispute."
Bénédicte : "j’ai entendu des menaces de mort et de la vaisselle qui tombait dans la cour intérieure. Ca semblait assez violent. Puis ça s’est calmé et j’ai réussi à me rendormir."
Bénédicte : "jusqu’à ce que je sois réveillée une seconde fois d’un sommeil assez profond."
Très émue, elle s’interrompt.
"Au loin, j’ai entendu des cris, des alarmes incendies mais assez lointains. J’ai allumé la lumière et j’ai vu de la fumée noire partout."
Read 84 tweets
Feb 10
Bonjour à tous,
Aujourd'hui, au procès de l'incendie de la rue #Erlanger la cour examine les conditions de l'intervention des pompiers. Premier témoin du jour : le lieutenant-colonel Xavier Guesdon.
Lieutenant-colonel Guesdon : "on a eu affaire à un incendie hors norme, ça n'arrive qu'une fois dans une carrière. Quant on est arrivé, il y avait énormément de gens aux fenêtres, ça n'arrive jamais.
Tout le monde a pris des risque insensés pour sauver 64 personnes."
Lieutenant-colonel Guesdon : "on n'a pas réussi à sauver tout le monde. On en est profondément meurtris. On a failli perdre des hommes. On a pris des risques insensés. Avec des échelles non accrochées, 19 kilos d'équipement sur eux."
Read 62 tweets
Feb 9
Bonjour à tous,
Au procès de l'incendie de la rue #Erlanger, qui a fait dix morts en février 2019, la cour entend les premières parties civiles.
Quentin s'avance à la barre. Il était l'un des habitants de l'immeuble et impliqué dans la dispute de voisinage à l'origine du drame.
"Je m'appelle Quentin, j'i 26 ans, je suis policier à Marseille. Au moment des faits, j'avais 22 ans, ça faisait 4 ans que j'appartenais au corps des sapeurs-pompiers de Paris. C'était pour moi une consécration professionnelle. J'avais pour objectif de devenir sous-officier".
Quentin : "je me préparais à l'examen de sous-officier, des longs mois de travail, de sacrifice.
Ce jour-là, la veille de mon examen, j'ai passé une journée de révision un peu compliquée, j'ai compris que j'étais pas forcément au niveau et ça m'a tendu, j'étais irritable."
Read 91 tweets
Feb 7
Au procès de l'incendie de la rue #Erlanger, l'audience reprend. Le président indique d'emblée que la jurée numéro 5 est absente.
"Elle nous a indiqué qu'elle avait vécu elle-même un incendie dans lequel deux personnes étaient décédées et qu'elle se trouvait donc dans l'incapacité de pouvoir juger sereinement cette affaire", précise le président avant de remplacer la jurée par un des jurés supplémentaires.
Michelle, mère de l'accusée est la première à être entendue ce matin, "retraitée de l'enseignement supérieur".
"Je voudrais prendre une minute pour m'adresser aux victimes."
Read 74 tweets
Feb 6
Bonjour à tous,
Vieux palais de justice de Paris. Salle Voltaire, ses boiseries, ses tapisseries, ses plafonds décorés.
Aujourd'hui, s'ouvre le procès de l'incendie de la rue Erlanger, survenu il y a quatre ans, quasiment jour pour jour.
Vous pouvez retrouver l'histoire détaillée ici >

radiofrance.fr/franceinter/di…
Ce 5 février 2019, une banale dispute entre voisins pour cause de musique trop forte a abouti à un drame : 10 morts et des dizaines de blessés.
Dans le box aujourd'hui, celle qui a mis le feu à la porte de son voisin : Essia B., 44 ans, longs cheveux châtains, le regard absent
Read 41 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(