Affeninsel Profile picture
Feb 22 104 tweets 16 min read
Bon, puisque toute la twittosphère catholique gazouille au sujet du #carême, profitons-en pour présenter la pratique orthodoxe.
Dans l'Eglise orthodoxe, le carême commencera lundi prochain, le 27/02. Avant de revenir sur la raison de cette différence avec la pratique catholique, qui fait commencer le carême un mercredi, rappelons que le chemin de pénitence a déjà commencé depuis trois semaines.
Quatre semaines avant le début du carême, l'Eglise orthodoxe lit la péricope (un passage de l'Evangile) de Zachée, qui monte sur l'arbre pour voir le Christ, puis déclare se convertir en renonçant à ses richesses mal acquises.
C'est la première étape, suivie de trois autres dimanches définis par la péricope qu'on y lit, à chaque fois annonçant le thème du repentir. Ainsi, le Publicain et le Pharisien, puis le Fils Prodigue, et enfin le Jugement Dernier.
Le dimanche suivant, veille du début du carême, est aussi axé sur l'idée de repentir. La péricope à la liturgie est le sermon du Christ sur le jeûne et sa valeur spirituelle (Mt 6, 16), ce qui semble plus lié à l'ascèse. Mais il est appelé "dimanche de l'Expulsion d'Adam".
Cela, parce que le thème central de l'hymnographie du jour, c'est les pleurs d'Adam devant la porte du paradis, qui s'écrie : "aie pitié de moi qui suis déchu !".
Ainsi, toutes les hymnes de cette période (d'abord seulement les dimanches, puis toute la semaine à partir du Jugement Dernier) expriment le fait que le chrétien se prépare à Pâques en reconnaissant qu'il est "le premier des pécheurs".
L'un des sommets de cette période, à partir du dimanche du Fils Prodigue, c'est le chant du psaume 136, "au bord des fleuves de Babylone", intercalé d'alléluias (oui, chez nous l'alléluia est aussi un signe de pénitence).
Ce psaume (effectué aux matines du dimanche) évoque l'exil des Juifs en terre étrangère, et appelle à "frapper les enfants de Babylone contre la Pierre". Bien sûr, la Pierre, c'est le Christ, donc "les enfants de Babylone" sont... les péchés.
L'humanité est systématiquement représentée comme en exil, c'est-à-dire éloignée de Dieu, et le constat est posé : c'est par le repentir et l'union au Christ qu'on retrouvera le chemin du paradis.
Précisons que, pendant cette période, les orthodoxes font l'inverse du jeûne : alors qu'il est prescrit de s'abstenir, tous les mercredis et vendredis de l'année, de viande et autres produits animaux, la première semaine on mange sans jeûne même ces jours-là.
La troisième semaine (juste avant le début du carême), on s'abstient seulement de viande, mais on mange tout ce qu'on veut même mercredi et vendredi, et c'est l'équivalent du Mardi Gras, on mange des crêpes pendant une semaine entière.
Le soir du dernier dimanche, on célèbre ce qu'on appelle les Vêpres du Pardon. Ce sont les vêpres du lundi (puisque, selon la pratique antique, les vêpres sont le premier office du jour, principe fondamental supprimé en Occident sous Pie X).
Au cours de ces vêpres, on passe à proprement parler dans le temps du carême, notamment en changeant (pendant les vêpres elles-mêmes) tous les ornements liturgiques et des icônes d'une couleur claire (joie et fête) à une couleur sombre (pénitence).
A la fin de ces vêpres, qui sont célébrées selon l'ordo du carême, donc, on ajoute le rite du Pardon, qui vient de la pratique monastique : après s'être prosternés devant l'icône du Christ, tous les paroissiens se prosternent les uns devant les autres en se demandant pardon.
Ensuite commence la première semaine du Carême à proprement parler, avec le Lundi Pur, qui est censé être un jour de jeûne particulièrement strict. Mais maintenant, pourquoi un lundi ?
Il faut compter quarante jours de carême (puisque "carême" vient tout simplement de "quadragesima", qui veut dire "quarantaine" en latin). Mais quarante jours jusqu'à quoi ?
En Occident, on compte quarante jours à partir de Pâques (non incluse, bien sûr, Pâques est le premier jour du temps nouveau), et du Samedi Saint on arrive à un mercredi : Mercredi des Cendres.
Dans l'Eglise orthodoxe, on sépare la Semaine Sainte de la Sainte Quarantaine ("carême", par usage, désigne tout ce qui précède et prépare Pâques). Non seulement cela, mais on met même à part le Dimanche des Rameaux et le samedi qui le précède.
On compte donc quarante jours de jeûne à partir du vendredi juste avant la Semaine sainte : on arrive à un lundi, notre fameux Lundi Pur.
Autre différence : les Latins excluent les dimanches du décompte des quarante jours, car ils ne sont pas jeûnés. Pas chez nous, le dimanche (ainsi que le samedi) est un jour de relâche, on y mange un peu plus, mais la plupart des restrictions alimentaires y sont maintenues.
Parlons donc aussi des dispositions concernant le jeûne : dans l'Eglise orthodoxe, pas de relativisme "chacun choisit un effort". Les règles de jeûne sont clairement établies pour tous, même si chacun est libre de les suivre selon ses dispositions propres.
Idéalement, on ne mange qu'une fois par jour, dans l'après-midi, et on s'abstient de viande, œufs, laitages, poisson, alcool et huile (y compris dans la préparation des plats). Les samedis et dimanches, on peut manger deux fois, et avec huile et vin.
Bien évidemment, ces règles sont très difficiles à suivre, et elles sont adaptées par chacun en fonction de son état, son mode de vie, en accord avec le père spirituel. A l'inverse, dans certains monastères, on peut faire encore plus rigoureux.
Ainsi, on pratique la xérophagie (manger sec), c'est-à-dire uniquement du pain et des fruits secs, ou des racines, en plus de l'eau.
On peut même ne rien manger du lundi matin jusqu'au mercredi soir, puis à nouveau du jeudi matin au vendredi soir. J'explique pourquoi plus bas.
Ces pratiques ascétiques s'appliquent à tous (sauf aux femmes enceintes, aux malades et aux voyageurs, du moins ceux qui voyagent à pied...), parce qu'elles sont une manière objective de mettre l'être humain dans un état d'attente et d'attention.
Elles servent aussi à réduire les passions, qui naissent, selon la tradition antique (et c'est vérifié par la science), d'un trop plein d'énergie. Mais tout au long du carême, bien sûr, le chrétien est appelé (par nos hymnes, comme toujours) à voir le vrai but de la démarche.
Jeûner pour jeûner (en regardant la balance avant et après le carême) n'a pas de sens, et doit servir à attendre le Christ et à faire le bien autour de soi. Ainsi de saint Léon le Grand qui appelle à donner aux pauvres toutes les économies que l'on fait sur sa nourriture.
Le jeûne est à la fois nécessaire (anthropologiquement, dirons-nous) et insuffisant, d'où les épisodes de fols-en-Christ qui viennent manger de la saucisse devant tout le monde le Vendredi Saint, rappelant qu'un jeûne fait pour autre chose que pour le Christ est inutile.
De même, il est interdit aux orthodoxes de refuser la nourriture qu'on leur offre, lorsqu'ils sont invités ; saint Spyridon de Trimythonte mangea même le petit salé qu'il offrit à un voyageur, pour éviter que celui-ci soit gêné.
Tout ceci montre, encore une fois, que le but du carême est avant tout de "jeûner des passions", une expression que l'on retrouve très souvent dans l'hymnographie orthodoxe.
L'hymnographie, pour y revenir, est un élément capital notamment dans la première semaine de Carême : on chante, divisé en quatre parties, du lundi au jeudi, le Grand Canon de la Repentance, œuvre majeure de saint André de Crête.
Ce canon (qu'est-ce qu'un canon ? réponse ici : fr.wikipedia.org/wiki/Canon_(hy…) est une grande récapitulation de toute l'écriture sainte (ça va de la Genèse aux paraboles du Christ) vue au travers de l'exégèse chrétienne, dans la perspective du repentir.
Tous les épisodes évoqués sont l'occasion d'accuser sa propre âme de renier le Christ, et de l'exhorter à revenir vers Lui, pour obtenir le salut. Entre chaque strophe, on se prosterne tandis que le chœur chante "aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi".
Cette pièce hymnographique incontournable dans l'héritage byzantin est chantée au cours de l'office des Grandes Complies. Comme son nom l'indique, ce sont les complies en version longue : tout office byzantin existe dans une version normale et une version pénitentielle.
La version pénitentielle se distingue par sa longueur, avec des lectures supplémentaires, et souvent moins de choses chantées (le chant, c'est la joie, selon saint Jacques, Jc 5, 13). Les Grandes Complies, par exemple, sont trois fois plus longues que les Petites Complies.
En outre, pendant la sainte quarantaine, on lit non pas une fois tous les psaumes tout au long de la semaine comme en temps normal (comme dans la règle de saint Benoît, mais répartis autrement), mais deux fois.
Enfin, caractéristique emblématique du carême, la récitation à quasiment tous les offices de la prière de saint Ephrem le Syrien, qui résume toute la spiritualité ascétique orthodoxe, accompagnée d'une prosternation à chaque fin de strophe. En voici le texte :
Seigneur et Maître de ma vie, éloigne de moi l'esprit de paresse, d'abattement, de domination et de vaine parole.
Mais donne à Ton serviteur un esprit d'intégrité, d'humilité, de patience, et d'amour.
Oui, Seigneur Roi, donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère, car Tu es béni dans les siècles des siècles, amen.

Ceci, en plus des offices, est récité chaque jour, au lever et au coucher, par les fidèles.
L'autre office capital dans le carême de l'Eglise orthodoxe, c'est la Liturgie des Dons présanctifiés. Contrairement à l'Occident, on ne célèbre pas la liturgie eucharistique en semaine pendant le carême, car la consécration des Dons est associée à Pâques, la fête des fêtes.
Pour que les fidèles puissent communier pendant la semaine, ce qui est d'une grande aide dans les efforts qu'ils consentent, on célèbre, le mercredi et le vendredi pendant le carême, cette Liturgie des Dons présanctifiés.
Cela signifie qu'à la liturgie eucharistique précédente on consacre non pas un Agneau (le nom du morceau de pain levé utilisé dans la liturgie byzantine) mais autant qu'il en faut pour la semaine suivante, en plus de celui qui va être consommé immédiatement.
L'office commence par les vêpres, mais au lieu de passer dans le jour suivant (cf. plus haut, c'est au cours des vêpres que commence le jour liturgique), l'ordo "débouche" sur un rite qui ressemble à la liturgie habituelle, mais dont la consécration eucharistique est absente.
Les Dons déjà consacrés sont portés en procession devant les fidèles prosternés, et, au lieu de passer à l'anaphore eucharistique, on récite immédiatement le Notre Père, et on reçoit la communion, après que le prêtre a accompli la Fraction du Pain.
Ces jours-là, on attend la communion (à la fin de vêpres, donc) pour manger (ou boire), donc on ne mange qu'en fin d'après-midi, voire en soirée, ce qui est la marque des jours les plus pénitentiels.
Je disais plus haut que dans des monastères on peut ne rien manger entre le lundi matin et le mercredi soir, puis entre le jeudi matin et le vendredi soir : cela consiste précisément à ne s'alimenter que deux fois par semaine, juste après la communion aux Dons présanctifiés.
J'en viens donc, après ces offices qui jalonnent la semaine, au samedi et au dimanche. Le samedi est toujours associé à la prière pour les morts dans l'Eglise orthodoxe, mais c'est d'autant plus le cas pendant le carême.
L'avant-dernier samedi de la période de pré-carême dont je parlais plus haut, on a célébré l'un des quelques jours totalement consacrés aux défunts qu'on trouve dans notre calendrier. Le samedi, en carême, en est une sorte de répétition, et on y célèbre la liturgie eucharistique.
De même le dimanche, qui continue de célébrer la résurrection du Christ, mais de manière plus sobre : ainsi, en plus des pièces propres au carême que l'on trouve aux matines, on célèbre le dimanche matin la Liturgie de saint Basile le Grand.
Cette liturgie ne diffère pas beaucoup de celle de saint Jean Chrysostome, qu'on célèbre tout le reste de l'année (et même le samedi en carême, donc), sinon que les prières eucharistiques y sont considérablement plus longues (car issues d'une époque plus ancienne).
Conformément au principe que "plus c'est pénitentiel, plus c'est long", cet usage de la liturgie a été réservé aux dimanches de carême dans la pratique ecclésiale, et sert à rendre plus solennels ces dimanches particulièrement importants dans l'année liturgique.
Initialement ces dimanches contenaient aussi la lecture d'une parabole évangélique centrée sur la figure du Christ rédempteur de l'humanité. Un recouvrement s'est effectué au cours de l'histoire de l'Eglise orthodoxe, et ces lectures ont été remplacées.
Aujourd'hui, on lit des péricopes tirées de saint Marc aux liturgies de carême, avec des passages qui montrent le Christ agissant pour la guérison du peuple élu. Mais l'hymnographie continue de rappeler les lectures précédentes, et leur exégèse pénitentielle, comme toujours.
On peut souligner le cinquième dimanche de carême, qui développe la parabole du Bon Samaritain, et montre que la victime des brigands est en fait l'homme tombé dans le péché, que le Christ vient sauver et guérir de ses blessures.
L'auberge, c'est l'Eglise, les deux deniers sont le Corps et le Sang que le Christ donne en gage pour soigner Sa création. A cet exemple, toute la spiritualité du carême se concentre sur la figure du Christ qui va chercher l'humanité dans sa déchéance, et la ramène à la vie.
Mais ces dimanches de carême sont connus d'une autre manière pour les fidèles, d'après la vénération qui y a été instaurée. Le premier dimanche, on chante le "triomphe de l'Orthodoxie", c'est-à-dire le rétablissement définitif, au IXe siècle, du culte des icônes.
On y lit d'ailleurs (surtout dans les cathédrales) le Synodicon, un document qui récapitule les anathèmes contre les hérésies condamnées par l'Eglise. Le deuxième dimanche, on vénère saint Grégoire Palamas. Au XIVe siècle, ce hiérarque a eu une importance capitale.
C'est lui qui, contre des influences occidentales, a remis au centre de la vie de l'Eglise la pratique hésychaste, qui postule qu'on peut participer à la vie divine dès ce bas monde par la prière. Je ne rentre pas dans les détails, il suffit de souligner un point commun :
ces deux premiers dimanches commémorent non seulement les moments où la doctrine orthodoxe s'est imposée face à des doctrines étrangères, mais surtout le fait que le Christ S'est incarné pour que le monde matériel participe de la rédemption de l'être humain.
Le troisième dimanche, on vénère la Croix du Seigneur : c'est une sorte de mi-carême, où les hymnes adressées à la Croix annoncent déjà la mort et la Résurrection du Christ.
Notamment, à la liturgie, à la place du trisagion (fr.wikipedia.org/wiki/Trisagion), on chante l'hymne suivante : "Devant Ta Croix nous nous prosternons, ô Maître, et Ta sainte Résurrection, nous la chantons".
C'est le seul cas où l'on s'agenouille un dimanche dans notre vie liturgique.
Le quatrième dimanche, on commémore saint Jean Climaque, connu pour son œuvre "La sainte échelle", qui détaille la progression spirituelle dans la vie chrétienne, toujours centrée autour de l'idée de repentance.
Le cinquième dimanche, on commémore sainte Marie l'Egyptienne, femme débauchée et repentie qui vécut une vie d'ascèse extrême au désert, et donne un exemple admirable d'une vie convertie par la pénitence et l'amour du Christ.
C'est aussi sainte Marie qui est mise en avant lorsque, quelques jours avant, le jeudi de la cinquième semaine, on chante au cours d'un office de matines particulièrement long, le Grand Canon de saint André, cette fois dans son intégralité.
Le canon y est précédé de la lecture de la vie de sainte Marie, et ces deux pièces sont à nouveau un exemple de la place centrale qu'occupe la pénitence dans le rite byzantin pour le carême. Le canon inclut aussi des hymnes à la sainte, comme incarnation de cet idéal de repentir.
Un autre usage spécifique à la cinquième semaine provient quant à lui du fait que l'Annonciation tombe quasiment toujours pendant la deuxième moitié du carême : le samedi de la cinquième, on chante l'Acathiste à la Mère de Dieu.
Grande récapitulation de l'histoire du salut centrée sur l'Incarnation, cette œuvre extraordinaire, bien plus joyeuse (et donc chantée un samedi, pas en semaine) appelle sans cesse Marie "épouse inépousée", comblée des grâces de la maternité et de la virginité.
Le vendredi de la sixième semaine s'achève la Sainte quarantaine, tandis qu'on chante depuis déjà trois jours que Lazare, l'ami du Christ, est mort et attend au tombeau.
Première annonce de la Résurrection, le Samedi de Lazare était antiquement un jour où on baptisait les catéchumènes, ce qui se retrouve dans l'hymne "Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ", chantée à la place du trisagion.
Ce jour est déjà une fête (on peut y manger des œufs de poisson), et est intimement lié avec le Dimanche des Rameaux, puisque c'est de Béthanie, chez Lazare, que le Christ est parti vers Jérusalem pour la dernière fois.
Le tropaire (hymne la plus importante) de ce jour est répété le lendemain, et ces deux jours sont dans les faits un répit entre la Sainte quarantaine et la Semaine sainte. Le Dimanche des Rameaux, on peut manger du poisson.
Comme en Occident, on bénit les Rameaux ce jour-là et les fidèles les placent chez eux pour toute l'année qui suit. Ce dimanche est une des douze grandes fêtes de l'Eglise orthodoxes, et il prend le pas sur la Résurrection, annoncée la veille, qui ne reparaîtra qu'à Pâques.
C'est ici que je m'arrête un instant pour attirer l'attention sur un aspect important du carême : dans la pratique normale, comme dit plus haut, le jour commence au soir (avec les vêpres), et la semaine commence le dimanche (premier et huitième jour).
Dans notre calendrier, le carême commence un lundi, donc le dimanche est toujours le dernier jour de la semaine du carême. De même à partir du Lundi Saint, ce n'est plus avec les vêpres que commence le jour liturgique mais avec les complies, c'est-à-dire quand la nuit est tombée.
C'est extrêmement important, parce que cela repose sur le principe de l'inversion du temps : dans ces temps de préparation, le temps est renversé, pour manifester qu'il n'est là que pour pointer vers un but, Pâques.
Et si cela vous rappelle quelque chose, c'est parce que le fameux principe de l'inversion du jour et de la nuit, que les médias répètent sans fin à chaque reportage sur le ramadan, eh bien c'est un principe qui vient de la pratique chrétienne antique.
Je ne vais pas me lancer dans une exploration de tout ce qui fait dans la Semaine Sainte, parce que ce fil est déjà très long, et ça risquerait de se transformer en un roman (croyez-moi, le rite byzantin est une mine, j'aurais des milliards de choses à dire).
Je me contente de quelques éléments : déjà, alors que pendant tous les jours de semaine du carême on a lu aux vêpres des parémies (lectures de l'Ancien Testament) de la Genèse et des Proverbes. Ces lectures sont spécifiques au carême.
La Genèse parle de la volonté de Dieu dans Sa création, les Proverbes se concentrent sur la "Sagesse de Dieu". Il s'agit d'une pédagogie sur la vie vertueuse et l'obéissance à Dieu.
A partir du Lundi Saint, on lit l'Exode et le livre de Job. L'Exode, bien sûr, c'est le salut d'Israël tiré d'Egypte et de l'esclavage, qui survit au passage par la mer (la mort et la Résurrection) et rejoint la terre promise (le salut).
Le livre de Job, c'est l'inverse de la "sagesse" des Proverbes dont je parlais à l'instant : c'est la "folie de Dieu" qui est "plus sage que la sagesse des hommes" (1 Cor 1, 25) : à nouveau ce renversement de l'ordre habituel, pour tourner les regards vers le Christ.
Les trois premiers jours de la Semaine Sainte introduisent l'idée du Christ Epoux qui vient à la rencontre de l'Eglise mais aussi pour révéler les secrets des hommes. Plus particulièrement, on y commémore trois éléments assez disparates, mais très intéressants :
le Lundi Saint, on commémore le patriarche Joseph, figure du Christ (livré par ses frères, esclave en exil qui devient l'image du roi, qui sauve son peuple de la mort...) et exemple du rejet des péchés.
Le Mardi Saint, on commémore la dessiccation du figuier sur l'ordre du Christ, qui est une image du jugement de ceux qui n'auront pas porté de fruits (c'est-à-dire ce qui est déjà mort).
Le Mercredi Saint, on commémore la prostituée qui lava les pieds du Christ avec son parfum. C'est l'occasion d'attirer l'attention sur les inversions dont est friand le rite byzantin : le disciple choisi abandonne le Christ, la prostituée rejoint le paradis.
En outre, l'onction avec le parfum est une image de l'ensevelissement, et du Corps ressuscité du Christ, Pâques affleure déjà. Tout cela est résumé dans la plus belle hymne de tout le rite byzantin, le genre de truc qui vaut toute la littérature française et anglaise réunies :
l'hymne de sainte Cassienne, qui, en Grèce, est un événement chaque année (mêmes les prostituées vont à l'église pour l'occasion). Toute l'histoire du salut est dedans. Un bijou.
Ces trois premiers jours, on célèbre la Liturgie des Dons présanctifiés. Puis, aux matines du Jeudi Saint, on cesse de lire le psautier, de réciter la prière de saint Ephrem. On célèbre la liturgie de saint Basile le soir avec les vêpres.
A la place du cherubikon (fr.wikipedia.org/wiki/Cherubikon), on chante une hymne très ancienne, qui évoque la Cène et la trahison du Christ. On peut boire du vin et manger avec de l'huile ce jour-là, car le Christ nous a invités à Sa table.
Le Vendredi Saint, on lit aux matines douze péricopes sur le jugement, la passion et la mort du Christ. Les heures sont un office totalement différent du reste de l'année, avec des psaumes spécifiques (on appelle ça les heures royales).
Aux vêpres, le clergé sort du sanctuaire avec une image brodée du Christ au tombeau (appelée épitaphion) et la dépose au milieu de l'Eglise, où les fidèles se prosternent devant Lui. On chante notamment des louanges à saint Joseph d'Arimathie.
C'est ce jour-là, bien sûr, que l'Eglise chante des hymnes particulièrement incisives à l'encontre des Juifs, ce qui peut faire débat, mais il faut rappeler que la plupart du temps c'est clair : c'est parce que les Juifs ont "tout reçu" du Christ que la trahison est grave.
D'ailleurs souvent l'hymnographie ajoute une prière pour ne pas suivre le même chemin : les chrétiens reçoivent beaucoup, mais à chaque instant ils peuvent tomber dans l'illusion et le rejet de Dieu.
Le Samedi Saint, on chante l'intégralité du psaume 118 avec ses 176 versets, et la Résurrection est déjà annoncée : dès le Sabbat, dans le tombeau, le Christ est vainqueur de l'enfer.
On lit notamment (chez les Russes, seule parémie chantée de toute l'année liturgique !) la prophétie d'Ezéchiel sur les os desséchés qui ressuscitent, je crois qu'on ne peut pas faire plus clair comme image de la résurrection.
Aux vêpres, on lit douze parémies qui annoncent la résurrection, dont deux sont des cantiques de l'Ancien Testament, et sont donc lues en alternance avec des versets chantés par le chœur (c'est particulièrement beau).
Comme le Jeudi Saint, ces vêpres débouchent sur la liturgie de saint Basile, et le cherubikon est remplacé par l'hymne antique "Que toute chair mortelle fasse silence", qui vient de l'usage de Jérusalem.
A la fin de la liturgie, le prêtre bénit des fruits secs et un vin chaud, seul repas de la journée jusqu'à Pâques.
J'ai oublié de dire qu'aux matines on fait une procession avec l'épitaphion, autour de l'église, en chantant le trisagion, comme cela se fait aux enterrements.
On lit les Actes des Apôtres toute la soirée. Enfin, tard dans la nuit, on chante l'office de minuit, qui reprend le psaume 50 (la base de toute prière dans l'Eglise orthodoxe) et le canon du Samedi Saint. Tout est éteint dans l'église.
"Venez, prenez la lumière à la Lumière sans déclin, et glorifiez le Christ, le Ressuscité des morts !"
Fin, et gloire à Dieu !

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Affeninsel

Affeninsel Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @Affeninsel

Jul 14, 2019
Alors déjà, non, le "t" de "enfant" n'est pas issu du dénominal "enfanter" mais du fait que les mots du français moderne sont généralement issus de l'accusatif latin. Or l'accusatif de infans est... infantem. Et le reste de cette vidéo pleine de morgue est à l'avenant.
La remarque sur "poids" est juste, comme pour "savoir" qu'on a un temps écrit "sçavoir" pour imiter "scio" (comme dans "science") alors qu'il vient de "sapere" ("savourer"). Mais... ça aussi, c'est de l'étymologie. Une fausse étymologie, mais une part de l'histoire mot quand même
Ce genre d'étymologie fausse explique aussi "nénuphar", dont on a dû croire qu'il était d'origine grecque, puisque la pratique savante est d'écrire "ph" pour les mots d'origine grecque contenant le son /f/.
Read 12 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(