La faillite de la Silicon Valley Bank #SVP est une parfaite illustration de l'impossible arbitrage auquel sont confrontées les banques centrales et qui constitue la thèse centrale de mon dernier ouvrage, à savoir la fin du néolibéralisme.
Un petit fil à ce sujet. #thread
Tout d'abord, mettons de l'ordre dans la définition:
Le néolibéralisme est une doctrine qui consiste à mettre l’État au service du bon fonctionnement des marchés de manière à ce que ces derniers établissent un système de prix de concurrence.
Un néolibéral part du principe que l'économie ne peut fonctionner correctement que si elle dispose d'un système fiable de quantification de la valeur. C'est le problème du calcul économique tel qu'il a été défini par Ludwig Von Mises dès 1920.
On déduit de cette réflexion que les prix administrés ou régulés par l’État faussent le calcul de la valeur.
En revanche, parce qu'ils font intervenir une multitude d'acteurs, les prix de marchés permettraient d'agréger l'information dispersée dans la société selon Hayek.
Parmi tous ces prix, certains sont plus importants que d'autres, en particulier les prix des biens de production. L'énergie, les matières premières... et les taux d'intérêt.
Les néolibéraux sont donc en faveur d'une libéralisation des marchés de l'électricité par exemple, et d'une libéralisation des marchés financiers.
Car du point de vue néolibéral, les marchés financiers servent à établir des prix qui "reflètent toute l'information disponible."
Vous l'avez sans doute reconnu. Dire que les marchés financiers sont efficients lorsqu'ils intègrent toute l'information disponible, c'est exactement l'hypothèse d'Eugene Fama (1970). C'est cette théorie qui a justifié toute la déréglementation financière des années 1970-2008.
Mais il existe un prix particulier qui pose problème aux néolibéraux: c'est le taux d'intérêt de la banque centrale. En effet, la banque centrale étant une institution publique, ses taux d'intérêt, qui servent à refinancer les banques, sont de fait des taux administrés.
Toute la logique des monétaristes est donc de faire en sorte de dépolitiser la politique monétaire en rendant indépendantes les banques centrales et en les affublant d'un mandat centré sur la stabilité des prix.
(cf. ma conférence de la semaine dernière)
Durant les années 1990 et 2000, l'essentiel de la théorie économique dominante et des pratiques des banques centrales étaient conforme à l'approche monétariste et donc néolibérale: écarter l'influence du politique dans la définition des taux d’intérêt (le coût du capital).
Mais, patatras! Soudain vient la crise financière issue du surendettement privé et des malversations du système financier américain (conséquence logique des politiques de déréglementation financière).
Les banques centrales doivent intervenir pour éviter la faillite systémique.
Très vite, la Fed s’aperçoit que la baisse des taux de refinancement (taux courts) ne suffit pas. Dès novembre 2008, elle met en œuvre un premier plan de quantitative easing: le rachat d'actifs financiers aux banques. Quatre QE vont se succéder jusqu'en 2021.
Il faut préciser une chose. Ces rachat d'actifs ne visaient pas seulement à sauver les banques. C'était aussi un moyen pour la Fed de contourner les marchés et de donner une valeur à tout un ensemble d'actifs qui en étaient dépourvus du fait de la disparition des transactions.
Plus tard, la BCE est confrontée à un problème similaire avec les États du sud de l'UE dont les taux d'intérêt explosent, ce qui entraine la crise de financement de 2011-2015. Pour éviter une faillite de nombreux pays, elle se met elle aussi au QE.
En rachetant des obligations publiques, la BCE parvient à influencer les marchés obligataires. Cette politique conduit la BCE à devenir le 1er détenteur d'obligations publiques européennes... et ainsi à contrôler de fait les taux d'intérêt à long terme des économies.
Mais voici qu'en 2021 l'inflation réapparaît et s'installe.
D'après les monétaristes, et dans la logique néolibérale, ce retour de l'inflation devrait conduire les banques centrales à augmenter leurs taux pour freiner l'endettement. C'est ce qu'elles font. Timidement.
Après avoir passé 14 ans à agir pour baisser les taux courts et longs (via les QE), les banques centrales peuvent-elles changer de logique et revenir aux politiques monétaristes des années 1980-2008?
J'écrivais que c'était que c'était très peu probable.
Ainsi, ce que démontre la faillite de la #SVB c'est que les banques centrales ne peuvent pas augmenter leurs taux d'intérêt au-delà d'un certain seuil sans risquer une nouvelle faillite systémique.
Il devient impossible de laisser les marchés financiers décider des taux longs.
Pourquoi? Eh bien parce que les économies développées sont beaucoup trop endettées pour supporter un choc à la Volcker (des taux de refinancements à 20%). De ce fait, on ne peut plus contrôler l'inflation par la hausse des taux. C'est la fin du monétarisme et du néolibéralisme.
Mon pari est donc que dans les mois qui viennent, les banques centrales vont tout faire pour éviter que les hausses de taux n'entrainent l'effondrement des systèmes bancaire. La faillite de la #SVB est une première alerte.
FIN
Article du Monde qui confirme mon diagnostic:
« Tout le monde croit que l’objectif numéro un des banques centrales est la stabilité des prix, mais l’objectif numéro un, c’est la stabilité financière, note-t-il. »
On n'aurait jamais dit ça il y a 20 ans. lemonde.fr/economie/artic…
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La Cour de justice de l'UE (CJUE) encore et toujours au service de la fraude fiscale. 🙄
Elle interdit désormais aux journalistes l'accès libre aux registres permettant d'identifier les bénéficiaires réels d'un compte ouvert sur le territoire de l'UE. 🧶 1/7
Ce n'est pas la première fois que la CJUE porte un coup à la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. En juillet 2020, elle avait annulé l'amende de 13 milliards d'euros infligée à Apple pour n'avoir pas payé d'impôts en Irlande. 2/7
La CJUE est l'institution judiciaire la plus importante de l'UE. Elle veille au respect des traités européens. Chaque État y dispose d'un juge. Les élargissements de 2004 et 2007 ont contribué à lui faire prendre un tournant conservateur et anti régulation publique. 3/7
J'interviendrai demain matin à la Cité internationale à Paris, au colloque sur l'agriculture de la revue La Terre organisé par @PatrickLeHyaric. J'évoquerai la question de la souveraineté alimentaire.
Plus largement, c'est dans ces ouvrages que j'ai étudié les politiques agricoles en montrant l'importance de la régulation des prix agricoles et les conséquences négatives qu'ont eu les réformes de la PAC depuis 1992.
En France, entre 1990 et 2007, le PIB par habitant a progressé de 28%. Entre 2007 et 2021, il a progressé de 4%.
Un petit fil sur les réflexions que cette situation soulève. ⤵️🧵
Il me semble clair que les tensions sociales actuelles sur le pouvoir d'achat sont essentiellement dues au fait que chacun souhaite une part plus grande d'un gâteau qui ne croît pratiquement plus.
Par exemple, si le PIB n'augmente plus, il est impossible d'augmenter la part de la consommation collective (les services publics) sans baisser la part de la consommation individuelle (le pouvoir d'achat) ou celle de l'investissement.
Contrairement à ce qu'indique le titre de ces graphiques tirés de la dernière note de conjoncture de l'@InseeFr, l'inflation pèse relativement peu sur le pouvoir d'achat des ménages de l'UE.
Sauf pour 🇪🇸 la diminution du pouvoir d'achat est faible en regard de la hausse des prix.
Janvier 2021 (inflation faible).
🇩🇪 100
🇫🇷 102
🇮🇹 99
🇪🇸 98
Janvier 2022 (inflation forte)
🇩🇪 100,5
🇫🇷 102,5, puis 101,5 en mars
🇮🇹 100,5
🇪🇸 96
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des ménages qui souffrent de l'inflation. Cela montre que derrière cette moyenne relativement stable, les gains de certains compensent les pertes des autres. Autrement dit, l'inflation c'est de la redistribution au sein des ménages.
L'Italie est sans doute le pays qui a le plus souffert des effets du marché unique et de l'euro. Les italiens sont plus pauvres en moyenne aujourd'hui qu'il y a 20 ans.
Puisqu'on interpelle sur la question de savoir quelles causes expliquent la situation économique italienne je me permets de rappeler mes travaux de recherche sur ce sujet, notamment ce chapitre d'ouvrage: halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02099797
J'y montre que la polarisation industrielle en Europe s'explique en grande partie par les effets du marché unique qui a permis la libre circulation du capital sur un espace géographiquement et économiquement hétérogène.
En 2017, il y avait 65 000 bacheliers sans affectation. C'était un scandale. En 2022, ils sont 94 000, mais cette fois-ci n'y a plus de scandale.
Quelques réflexions dans ce mini fil. 1/6 ⤵️
Le "scandale" d'APB ce n'était pas le manque de places, c'était le tirage au sort qui faisait qu'une place pouvait être attribuée à un bachelier sans mention, ou à un bac pro au détriment d'un bachelier avec mention. Cette égalité formelle était au centre des polémiques. 2/6
Avec Parcoursup, les 94 000 bacheliers sans affectation sont tous en bas de liste, car tous les candidats ont été classés. C'est la différence avec APB. Ainsi, il n'y aurait plus de "scandale" car ceux qui n'ont pas de place sont considérés comme "non méritants". 3/6