L'histoire de France depuis 250 ans ne se résume heureusement pas à une alternative binaire (fausse, pour la "minorité parisienne", il y a des manifs en province / de provinciaux à Paris cf 1984) entre la "légalité" et la "rue" ; tout pouvoir doit tenir compte de l'opinion (1/..)
Et en dehors même des épisodes insurrectionnels ou assimilés qui ont vu "la rue" se dresser victorieusement contre un régime légal mais honni (1830, 1848, 1944), les manifestations de rue sont devenues un instrument légal (1935), légitime, reconnu, d'expression collective (2/...)
La thèse fondamentale de Danielle Tartakowsky, lisible en ligne, montre que l'expression populaire dans la rue n'est pas univoque : dangereuse pour la démocratie le 6 février 1934, elle la défend le 9 et le 12 ; elle sauve De Gaulle le 29 mai 1968 (3/...) books.openedition.org/psorbonne/62302
Certaines manifestations de rue sont inefficaces, se heurtent à un pouvoir inflexible. D'autres sont prises en compte par les autorités qui en reconnaissent ainsi la légitimité : recul du cartel des gauches en 1924, retrait de la loi scolaire en 1984, du CPE en 2006 (4/...)
Il est donc faux d'opposer la rue et la loi/ les urnes : les deux coexistent en permanence depuis le XVIIIe s, de façon relativement pacifique depuis le milieu XXe s, et tout pouvoir doit ajuster ses choix en fonction de sa légitimité électorale ET des réactions populaires (5/5)
PS pour qui s’intéresse à ces enjeux, et resterait insatisfait d’une définition purement institutionnelle et électorale de la démocratie comme suggérée ici par @GerardAraud (on vote tous les 5 ans et on retourne à la passivité) je conseille ce TB petit livre de @SamuelHayat
Je reprends le fil de ces réflexions un peu décousues (6/...) pour spécifier un point sur l'insurrection. Car derrière le rejet souvent grotesque et ignorant (cf photo) de "la rue" et de sa légitimité se niche l'enjeu plus compliqué de l'insurrection comme mode d'action légitime
Sauf erreur on compte 9 grandes insurrections ou assimilées depuis le XIXe
-Paris 1830 (succès)
-Lyon 1831 (échec)
-Paris 1832 (échec)
-Paris février 1848 (succès)
-Paris juin 1848 (échec)
-Province déc. 1851 (échec)
-Paris 1871 (échec)
-Paris 1944 (succès)
-Alger 1958 (succès)*
(cette dernière est plus compliquée car mélangée avec un coup d'état militaire).
De cette liste il ressort que
-c'est un mode d'action largement inefficace et abandonné depuis la Commune
-c'est un mode d'action vu comme illégitime, sauf face à des pouvoirs non élus (1848, 1944..)
C'est pourquoi les inquiétudes d'une partie de l'opinion devant le risque que "la rue" impose sa volonté par la violence face à un pouvoir démocratiquement élu peuvent se comprendre: ce sont celles des républicains modérés de 1848 et 1871, refusant l'insurrection au nom des urnes
Avec cependant des nuances: en dehors d'une rhétorique ou symbolique révolutionnaire à base de #LouisXVI, 2023 ne reproduit pas pour l'instant les modes d'action insurrectionnels du XIXe. Les manifs massives ont été pacifiques, il n'y a donc aucune raison de les délégitimer.
Seconde nuance : la légitimité électorale est fondamentale en démocratie, mais toutes les légitimités ne sont pas équivalentes, en fonction des circonstances. Les deux élections présidentielles ont vu EM élu au second tour grâce au report massif de voix anti extrême droite...
Il est donc malhonnête de présenter cette élection, la dernière surtout, non suivie d'une majorité absolue à l'AN, comme un vote d'adhésion pour un programme (et pour l'enjeu des retraites en particulier). La légitimité électorale n'est pas une invulnérabilité à la critique.
C'est pourquoi tant de gens, de plusieurs bords politiques, lisent ce 49.3-ci comme un coup de force autoritariste (bien que légal), et c'est ce qui explique que naissent des aspirations révolutionnaires ou insurrectionnelles. Sans les légitimer, cela permet de les comprendre.
Pour résumer, il me paraît vain de délégitimer par principe la contestation de rue ; la légitimité électorale ne peut jamais être détachée des réactions de la société ; prétendre le contraire et s'en tenir à lecture institutionnelle des procédures est un dangereux aveuglement .
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J’ai regretté publiquement - et posément - les contrevérités de @b_stora sur Le Pen et la torture en Algérie, et surtout que @radiofrance s’entête dans le déni. Je regrette désormais qu’il choisisse de présenter une critique factuelle justifiée comme une attaque personnelle (1).
J’ajoute que tout le monde peut se tromper et que cela ne dit *rien* de la valeur globale d’un travail d’historien. En revanche, la façon dont on réagit lorsqu’une erreur est pointée, pour disqualifier un interlocuteur plutôt que pour l’admettre et corriger, est révélatrice (2).
Pour qui voudrait lire l’ensemble des propos - entièrement dépourvus d’attaques personnelles et motivés par un souci d’exactitude à plus forte raison sur une radio de service public - à partir des erreurs relevées par @campvolant , c’est ici (3)
Bien que minime en apparence "l’affaire" du podcast affirmant que Le Pen n’a pas torturé en Algérie me paraît importante pour les historien-nes: politiquement pour ne pas minimiser ces actes bien sûr, mais aussi et surtout pour ce qui constitue une "connaissance historique" (1/n)
Tout est parti de la série de tweets de @campvolant largement relayés (malgré une erreur initiale qui attribuait à Olivier Dard les erreurs de Benjamin Stora) suscitant l’étonnement devant la diffusion de telles contrevérités (2/n)
Suite à quoi RadioFrance et @Philco750062 ont mis en ligne des rectificatifs, par écrit et en "rustine" audio. Mais leur formulation pose toujours problème: il est dit qu’"on ne peut pas prouver" que Le Pen a torturé. Or "prouver" c’est ce qui a été fait depuis longtemps (3/n)
Ayant découvert avec stupeur qu'une partie de mes étudiants ne savaient pas qu'on pouvait utiliser des guillemets dans une recherche web, quelques techniques basiques mais ultra utiles pour trouver des choses en ligne
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La recherche entre guillemets, pour trouver une expression exacte (et éviter les suggestions du correcteur orthographique du style "voici les résultats pour fusillade des fourmis")
Très utile aussi pour retrouver un texte complet à partir d'une citation plus brève
La recherche excluant un terme, pour ne pas avoir des résultats pollués par des quasi homonymes ou éléments non apparentés, par exemple si je cherche la ville de Lincoln et pas le président des EU
Je vois passer comme tout le monde énormément de choses sur l’affaire Bastien Vivès, avec souvent beaucoup de confusions.
J’ai trouvé très éclairant ce long post FB public du philosophe Jean-Yves Pranchère (alias Pierre Boyer en ligne)
Éclairant parce qu’il établit une distinction fondamentale (qui vaudrait aussi pour certains textes de Céline) : refuser la mise à l’honneur (expo dédiée, parution en fanfare etc.) n’est pas censurer. Mettre à l’honneur un auteur ne relève pas de la "liberté de création"…
Mais d’un choix situé, effectué par des institutions (festival, éditeur, université, mairie, etc suivant les cas) et qu’un tel choix a des implications politiques, morales, et peut donc être publiquement questionné comme tel, sans qu’on crie à la "censure"
Une lecture aussi intéressante qu’étrange: Jacques Revel et Sabina Loriga sur le Linguistic turn. Pas encore arrivé aux passages historio, toute la 1e partie du livre est une histoire intellectuelle du postmodernisme qui, bien qu’érudite, renforce mes réticences envers ce fatras.
Derrida, Lyotard, Jameson, etc., et des passages vraiment étranges sur l’affaire Rosenberg comme impossibilité de connaître « la vérité ». Pour des écrivains et penseurs postmodernes peut-être, mais de là à dire qu’il n’y aurait pas aujourd’hui de « point final à l’affaire »… 🤔
Tout le 2e chapitre est consacré aux écrivains comme DeLillo, Doctorow, Tim O’Brien, qui s’emparent de faits réels pour les traiter sur le mode de l’incertitude et de l’instabilité. À quoi on a envie de répondre : très bien pour eux mais cela ne dit rien du savoir historien.
Jour 1 pour #AventDesControverses#AventHistorio avec chaque jour un débat historiographique intéressant ou marquant pour la discipline. On débute avec les causes de la Grande Guerre : question classique et difficile s’il en est !
Difficile pour des raisons politiques (tous les États ont cherché à rejeter les accusations d’avoir déclenché le conflit) documentaires (masses d’archives, avec des « trous ») et conceptuelles (articulation causes immédiates / profondes)
Le traité de Versailles en désignant une responsabilité allemande (article 231) en 1919 enflamme durablement les passions, y compris chez les officiels et archivistes allemands qui trafiquent leur publication de documents diplomatiques !