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Pour avoir bossé une bonne vingtaine d’année dans la finance, je suis en mesure de vous dire que le meilleur film jamais réalisé par Hollywood sur la (soi-disant) crise des subprimes, c’est #TheBigShort. #Thread

Par @ordrespontane
Le meilleur moment, pour un type comme moi qui a assisté en direct-live à ce à quoi il a assisté (en direct-live et avec quelques années d’études sur le sujet), c’est celui-là :

Ok, Margot Robbie dans son bain moussant à quelques arguments à faire valoir. Reste que son explication est un peu courte — c’est pour ça que vous devriez vous attendre à ce que la mienne soit un peu plus longue (entre autres choses déplaisantes).
Burry : « The fact is that these mortgage-backed securities are filled with extremely risky subprime adjustable-rate loans and when the majority of these adjustable rates kick in, in ’07, they will begin to fail. And if they fail about 15 percent, the whole bond is worthless. »
Commençons par évacuer rapidement le mot que vous connaissez déjà, subprime. Il n’existe pas de définition précise de cette notion : en gros, ça désigne un prêt accordé à un emprunteur dont la capacité à rembourser est sujette à caution.
Aux États-Unis, les banques utilisent des scores de crédit pour se faire une idée de la fiabilité des emprunteurs. Le plus connu est le score FICO : sur cette échelle, la limite entre prime et subprime se situe quelque part entre 620 et 660, ça dépend des avis.
Bref, un prêt subprime c’est un prêt risqué du point de vue de la banque ; raison pour laquelle elle réclame en contrepartie une prime de risque, c’est-à-dire un taux d’intérêt plus élevé qui rémunère sa prise de risque.
Les prêts dont il est question sont des mortgages, en français des crédits hypothécaires, c’est-à-dire des prêts immobiliers dans lesquels le bien acquis sert de garantie à la banque. C’est la norme aux États-Unis (et 40% du marché français).
Concrètement : si l’emprunteur se révèle défaillant (i.e. il cesse de payer ses mensualités), la banque déclenche une procédure dite de foreclosure (encore un mot qu’ils nous ont volé !), c’est-à-dire qu’elle saisit le bien et le revend pour se rembourser.
Il existe deux grands types de mortgages : les mortgages à taux fixe (FRMs), typiquement sur 15 ou 30 ans, qui constituent la grande majorité des prêts accordés et les mortgages à taux révisable (ARMs).

C’est de ces derniers que nous parlons.
Le principe général est le suivant : pendant une période initiale de n années (de 1 à 10 ans en général), le taux est fixe comme pour les FRMs mais, cette période passée, ils s’ajustent (tous les ans ou tous les 6 mois) en fonction d’un indice de marché.
Un indice largement utilisé pour les ARMs c’est le prime loan rate auquel on ajoute une marge plus ou moins élevée en fonction du score de crédit de l’emprunteur. En ce moment, par exemple, le prime loan rate est à 7.75%
Pour comprendre l’intérêt de ces choses-là, il connaître le principe de la courbe des taux.

Dans une situation économique normale et pour des emprunts à taux fixe, plus vous empruntez longtemps, plus le taux est élevé.
Si, en revanche, vous empruntez à taux variable, vous pouvez tout à fait obtenir un prêt sur 30 ans dont le taux est basé sur ceux de la partie courte de la courbe, c’est-à-dire (normalement) les moins élevés.
Dans le cas des ARMs, on est généralement dans une situation hybride à cause de cette période initiale à taux fixe : si cette dernière est de 5 ans, vous pouvez emprunter sur 30 ans à un taux initial équivalent à celui que vous auriez payé sur 5 ans.
La contrepartie, c’est qu’une fois cette période passée, votre taux s’ajuste en fonction des taux courts du moment (le prime loan rate par exemple) : si ces derniers ont beaucoup monté, vous risquez de vous retrouver avec des mensualités qui explosent.
Bref, du point de vue de l’emprunteur c’est un pari : un taux fixe moins élevé pendant quelques années au risque de devoir payer beaucoup plus cher à l’avenir si les taux courts ont augmenté entre temps.
Pour la banque, c’est une excellente façon de protéger ses marges en cas de remontée des taux. Pour bien comprendre cet aspect, une rapide explication du business bancaire de base s’impose.
Le métier de base d’une banque consiste à emprunter de l’argent à court terme, principalement via les dépôts des clients (aux États-Unis c’est 85% du passif des banques), et à prêter à long terme (typiquement sous forme de mortgage).
Le nerf de la guerre, c’est la marge d’intérêt : l’écart de taux entre celui auquel la banque prête (le taux des mortgages, par exemple) et celui auquel elle emprunte (celui des dépôts, principalement, mais aussi, crucialement, celui du marché interbancaire).
<technique> le taux du marché interbancaire, c’est le taux auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles. Aux États-Unis, c’est le taux des Fed Funds et vous pouvez considérer ça comme le taux (médian) maximum que les banques acceptent de payer.
Pourquoi ? Parce ce que le mode de financement le moins cher d’une banque, c’est le taux auquel elle rémunère ses dépôts. Quand on va voir les concurrents pour leur emprunter de l’argent, c’est qu’on en a vraiment besoin. </technique>
Tout le problème du banquier, c’est qu’il a prêté à taux fixe sur une longue période (genre un FRM à 30 ans) mais que le taux auquel il se refinance (dépôts, Fed Funds etc…) varie continuellement, et peu notamment grimper violement.
Le risque de taux, pour le banquier, c’est une remontée rapide et importante des taux courts : ça (pardon) bouffe sa marge d’intérêt : pour garder ses déposants, il est obligé de payer de plus en plus cher alors que le taux de son FRM à 30 ans ne bouge pas.
Or, cette marge d’intérêt est vitale : bien avant de songer à faire des profits, c’est avec ça que la banque finance l’essentiel de ses coûts de fonctionnement — à commencer par la rémunération de ses salariés.
D’où l’intérêt des ARMs : concrètement, le banquier transfère ce risque de taux à ses emprunteurs (raison pour laquelle il peut se permettre de leur offrir des taux initiaux, les n premières années, bien moins élevés.)
Sauf qu’il y a un hic : du point de vue de la banque, les ARMs sont une excellente façon de piloter son risque de taux mais, si les taux courts remontent trop fort et trop longtemps, ça fini par créer du risque de crédit.
Pourquoi ? Eh bien simplement parce que quand les ARMs commencent à s’ajuster après une forte hausse des taux courts, ce sont des millions de ménages américains qui voient leurs mensualités exploser.
Pire encore : ça n’est pas qu’un problème de jeunes ménages désargentés : il se trouve qu’une hausse des taux fait aussi baisser les prix de l’immobilier (à mensualités constantes, votre capacité d’achat baisse).
C’est-à-dire que des ménages fortunés qui avaient profité des taux très bas des ARMs découvrent soudainement qu’ils doivent désormais plus d’argent à la banque que ce que vaut leur investissement immobilier.
En conclusion de quoi, ils font un défaut tactique.

C’est un vieil adage de banquier : si vous devez $1'000 à la banque, c’est votre problème ; si vous lui devez $1'000'000 c’est son problème. #lolilol
Ce qui nous amène à LA QUESTION : qu’est-ce qui pourrait bien provoquer une hausse des taux courts aussi violente et prolongée. La réponse est simple : la politique monétaire de la banque centrale (dans ce cas, la Federal Reserve).
Et là, je vous demande de me faire confiance : si vous avez le moindre doute sur la capacité de la Fed à coller les taux courts (Fed Fund, Prime rate etc…) là où elle le veut, vos doutes sont parfaitement infondés.
Tout banquier qui se respecte a conscience ça. C’est un jeu d’équilibriste : l’option Washington Mutual (tout risque de crédit) a donné la plus grosse faillite bancaire de l’histoire des États-Unis ; celle de Silicon Valley Bank (tout risque de taux), la seconde.
C’est ce qui nous amène à la dernière pièce du puzzle : les « mortgage-backed securities » dont parle Michael Burry, ces obligations qui ne vaudront plus rien lorsque le taux des ARMs commencera à s’ajuster. #TheBigShort
Vous avez sans doute entendu parler de « désintermédiation bancaire ». Le fait rigolo, c’est que ce terme décrit exactement l’inverse de ce qu’il semble décrire : les banques ont tout fait pour devenir de simples intermédiaires.
La logique est assez simple : ce qui peut vous coller la plus grosse banque du monde à genoux, pour les marchés financiers, c’est juste une mauvaise journée.
C’est-à-dire que les banques ont tout fait pour être le moins sensibles possible à leur marge d’intérêt tout en évitant que ça se transforme en risque de crédit : elles se sont transformées, dans la mesure du possible, en simples intermédiaires.
Comment ? Eh bien en faisant de gros paquets de leurs mortgages et en revendant ça sous forme de mortage-backed securities à des investisseurs (fonds de pension, assureurs…) d’autant plus désireux de prendre des risques que les taux étaient bas.
Ok, là, ça devient très technique : pour transférer les risques et les revenus que gérèrent un crédit immobilier aux marchés financiers, vous devez créer un SVP (Special-Purpose Vehicle), c’est-à-dire une boîte indépendante.
Ce que va faire le SPV, c’est émettre des obligations qui font rentrer du cash sur ses comptes et utiliser ce cash pour racheter les mortgages à la banque. Les revenus, bien sûr, mais aussi les risques qui vont avec.
Le truc, c’est que si vous êtes un fonds de pension (par exemple), vous ne savez pas vraiment qui sont les créanciers auxquels la banque a prêté de l’argent — c’est du prime à taux fixe ou du subprime à taux révisable ?
C’est ce qui a fait que, pour vendre ces bidules, les banquiers ont trouvé une solution absolument géniale (et je le pense vraiment) : ils ont fait des tranches.
En gros, et vous me pardonnerez de ne pas rentrer dans les maths qui vont avec, ils ont reproduit dans les SVPs (les mortgage-backed securities) la structure capitalistique d’une entreprise lambda.
Lorsque le SPV vend des obligations, il y a les investisseurs seniors, ceux qui seront remboursés en priorité (un peu comme une banque), et les investisseurs juniors qui seront remboursés en derniers s’il y a de quoi (i.e. les actionnaires).
<technique>En vrai la plupart des SPVs ont une ou plusieurs tranches « mezzanines » c’est-à-dire intermédiaires entre les seniors et les juniors. C’est affreusement compliqué donc je passe. </technique>
D’où les « environ 15% » de Michael Burry : la tranche junior, celle des actionnaires, c’est celle qui devrait gagner le plus d’argent si tout va bien. Sauf que si tout va mal (il y a beaucoup de défauts), ce sont les premiers à prendre.
Et ce qui donne de la valeur aux tranches seniors, c’est exactement ça : en cas de problème (même chose que précédemment) les porteurs de la tranche junior (environ 15%) essuient les pertes mais eux, sont protégés…

Sauf si ça dépasse les 15%. #ooopsy
Et tout #TheBigShort repose sur ça. Partant de ce qui précède, vous pouvez vous repasser le film (pas complètement celui d’Hollywood mais, au moins, comprendre ce que raconte Michael Burry sans l’aide de Margot Robbie.)
On commence en 2000, quand la « bulle internet » explose : la Fed joue sa partition habituelle en faisant baisser les taux des Fed Funds (et tous les taux courts par la même occasion) de presque 7% à 1% (été 2003-04).
Évidemment, ça fait exploser le marché immobilier mais ça incite aussi massivement les banques à se prémunir contre une hausse des taux (en vendant des ARMs) et ménages américains (subprime ou pas) à souscrire à ces offres.
Et là, la Fed observe (bizarrement) des tensions inflationnistes : du début de l’été 2004 au milieu de l’été 2006, elle fait remonter le taux des Fed Funds (et donc toute la partie courte de la courbe des taux), de 1% à 5.25%.
C’est à ce moment que Burry pige le truc et imagine #TheBigShort : subprime ou pas, le fait est que des millions d’américains ont souscrit à des ARMs qui vont bientôt se réajuster : le loan prime rate, par exemple, est passé de 4% à 8.25% !
Au moment où cette scène est supposée avoir lieu, sans doute en 2006, les taux courts sont au plus haut et les ARMs accordés les années précédentes s’ajustent les uns après les autres, avec toutes les conséquences décrites plus haut.
Bref, les défauts (forcés ou tactiques) ne vont pas tarder à pleuvoir : c’est écrit comme dans un script de film mais Burry est un des rares types à venir voir le boulet (la Fed, elle, ne voit absolument rien jusqu’à ce qu’il soit trop tard).
Et là, vous me direz que les banques ont revendu tous ces risques sur les marchés financiers via des MBS et donc, en toute bonne logique, ne devraient rien craindre.

Sauf que non : il n’y a plus de marché.
J’ai vécu cette époque directement : un de mes collègues, recruté pour analyser du MBS, était au chômage technique. Plus personne n’en voulait et les banques qui en créaient, notamment Lehman Brothers, se sont retrouvées avec le stock sur les bras.
À la fin de l’été 2007, la Fed comprend le monumental (pardon) merdier qu’elle a créé et commence à refaire baisser les taux courts. Trop tard : le mal est déjà fait. Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers explose et la « crise des subprimes » est inévitable.
Le coup de génie de Burry, c’est d’avoir compris tout ça avant les autres. Son grand mérite, c’est d’avoir osé le jouer : objectivement « shorter » le marché immobilier américain, ça demande d’avoir une colonne vertébrale en acier trempé.
Et là, vous vous demandez peut-être où nous en sommes aujourd’hui. J’ai un avis personnel sur la question mais il n’a rien à faire ici : dans les grandes lignes, tous les acteurs du round précédent ont bien appris leur leçon… Les autres, c’est une autre affaire. #Fin

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