République souveraine Profile picture
Apr 14 36 tweets 6 min read Twitter logo Read on Twitter
Bonjour à toutes et à tous. Pour ce #VendrediLecture, nous vous présentons un ouvrage de Pierre Blavier « Gilets Jaunes. La révolte des budgets contraints ». L’ouvrage aborde la sociologie d’un mouvement central dans la vie politique française récente. Image
Le mouvement des gilets jaunes a beaucoup marqué aussi bien l’opinion publique que la recherche. En effet, voilà une mobilisation massive, sans structure hiérarchique, échappant aux appareils politiques et syndicaux, assez durable, avec une popularité impressionnante.
Cet ouvrage en réalise la sociologie en deux parties. Tout d’abord, ce mouvement s’appuie sur certaines parties de la société.
La première partie aborde les moyens et les objectifs de la politisation des gilets jaunes. Si on se concentre sur les ronds-points, plus proches du mouvement originel, sont particulièrement surreprésentés :
chauffeurs, ouvriers qualifiés et non qualifiés industriels, artisans, employés civils de la fonction publique, employés de commerce, aides à domicile ainsi qu'une partie des métiers féminisés du sanitaire et du social.
Ce ne sont pas les populations les plus pauvres et marginales, mais quand même parmi les classes populaires ou le bas de la classe moyenne.
Le revenu médian des mobilisés est plus faible que le revenu national, quand le taux de chômage est plus élevé, d’un rapport de 1 à 2 avec l’ensemble de la population. De même, la précarité à travers des emplois courts et intérims s’y retrouvent plus fréquemment.
La route et l’automobile sont au centre des vies et de la mobilisation des gilets jaunes. En effet, ce qui met le feu aux poudres est une augmentation des taxes sur les carburants.
Si celle-ci est assez modérée, elle s’inscrit dans une dynamique longue d’augmentation continue des coûts de l’usage de l’automobile depuis une dizaine d’année.
Ainsi, certains s’étaient déjà mobilisés contre la limitation de vitesse à 80km/h sur les routes nationales, et des réseaux, notamment à travers des groupes Facebook départementaux, se retrouvent dans le mouvement.
Une certaine expertise concernant les véhicules motorisés explique également l’usage des ronds-points et de la régulation de trafic au cœur des mouvements. L’auteur remarque que les mobilisés analysent et commentent les véhicules filtrés concernant leur qualité et entretien.
Nombre de figures du mouvement tenaient des pages et des groupes concernant l’automobile, à l’image de « Fly Rider ». Les prises de paroles partisanes, ne sont généralement pas bienvenues dans le mouvement.
Pierre Blavier note le contraste avec Nuit Debout, plus marqué à gauche, avec des gens plus dotés en capital culturel, quand les gilets jaunes ont assez souvent peu ou pas de diplômes. À Nuit Debout, la mobilisation passe beaucoup par la prise de parole et les exposés.
Ainsi, les outils des mobilisations dépendent des ressources des mobilisés. Cette distance sociale explique les difficultés de recoupement avec d’autres mouvements.
Le sociologue cite l’exemple d’un collectif de défense de service public qui refuse de rejoindre le mouvement du 17 novembre – prémice des gilets jaunes – en l’accusant d’être constitué par des incultes poujadistes pro-RN.
Le collectif en question organise un buffet bio avec des légumes qui contraste avec les chips barbecue des ronds-points.
Si les membres de ce collectif ne seront pas très présents sur les ronds-ponts, ils seront présents en manifestation, généralement plus à gauche (malgré une présence non-négligeable de l’extrême-droite) et plus partisanes que le mouvement des ronds-points.
Il y a peu d’assemblée générale chez les gilets jaunes. Quand il s’en produit une, elle est occupée par les membres plus à gauche du mouvement.
Au sein des ronds-points, il y a une surreprésentation d’électeurs ayant votés pour Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon en 2017, ainsi que beaucoup d’abstentionnistes. Il n’est pas rare de trouver des gens se disant de gauche tout en étant électeur du RN.
Une certaine diversité existe chez les gilets jaunes, réunie par un rejet de la figure d’Emmanuel Macron.
On décèle toutefois un fort patriotisme, un certain attachement à la propriété privée, un ras-le-bol fiscal, un détachement vis-à-vis des syndicats, une volonté d’améliorer les conditions de travail et une volonté d’être mieux entendus par les élites à Paris.
Les divergences ne sont pas rares, et des conflits peuvent éclater, notamment du fait du rejet des personnes de gauche vis-à-vis des gilets jaune d’extrême-droite.
Dans une seconde partie, le sociologue complète son étude des ronds-points par une ethnocomptabilité dans la lignée de Frédéric Le Play. Il étudie le budget de famille de José, gilet jaune de 50 ans, dont la situation semble être assez représentative du mouvement.
Ceci permet de comprendre comment le mouvement est la défense d’un mode de vie, menacé par certaines lois gouvernementales. Il est ouvrier et gagne 1700e par mois, quand son épouse qui travaille à la Poste touche 1174e par mois, ce qui fait 2874e pour le ménage.
Le sociologue constate que les dépenses contraintes et pré-engagées représentent 93 % du revenu de la famille, ce qui laisse 7 % de reste à vivre, soit 201e. José déclare qu’« on ne peut pas s’écarter ». Image
Ce reste à vivre de 201e doit intégrer l’épargne, les imprévus, les vacances, les contraventions (assez fréquentes et très critiquées) et tout loisir au-delà de deux dimanches au café, de la redevance télé et d’un buffet à volonté asiatique mensuel.
Toute aggravation du budget liée à une montée des coûts, notamment du carburant, peut mettre en péril l’équilibre du budget. Dans ce budget, on note un fort poids des dépenses en immobilier, automobile et tabac.
Le couple est accédant à la propriété, en remboursant tous les mois un crédit dont l’apport a été financé par une indemnité de licenciement économique. Le couple a alors quitté la cité dans laquelle il vivait pour aller dans le périurbain, le centre-ville étant devenu trop cher.
Or, ceci a pour effet de rendre l’automobile centrale dans le quotidien. La famille possède un parc automobile de plusieurs véhicules d’occasion achetés assez peu chers, et dont l’entretien est assuré par eux et des proches.
Un véhicule doit pouvoir remplacer l’autre en cas de panne, afin de pouvoir se rendre au travail sans faute. Les emplois sont de plus en plus rares, ce qui pousse à faire toujours plus de kilomètres afin de trouver quelque chose.
L’augmentation constante du coût de carburant menace alors tout un mode de vie.
Elle aggrave une crise de la reproduction sociale liée à la désindustrialisation. Le fils de José a du mal à trouver un emploi d’ouvrier. À ceci s’additionne un ras-le-bol fiscal, un sentiment d’être trop prélevé quand les plus privilégiés semblent épargnés avec la fin de l’ISF.
Enfin, le « système D » des gilets jaunes, avec des travaux d’entretien et de réparation, est menacé par de nouvelles réglementations et l’électronisation croissante des automobiles.
Ceci prive le ménage de certains revenus additionnels, alors que José use son corps, dont l’épaule gauche est abîmée, dans une série de travaux en intérims difficiles, afin de rembourser le crédit immobilier.
En bref, les politiques publiques sont perçues comme des menaces mortelles pour un mode de vie déjà très attaqué.
N’hésitez pas à lire cet ouvrage très court et facile d'accès afin d’avoir plus de détails sur un mouvement qui a marqué durablement le paysage politique français. Pour ceux qui ont accès à Cairn, il est disponible sur la plateforme : cairn.info/gilets-jaunes-…

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with République souveraine

République souveraine Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @RSouveraine

Jul 22, 2022
Dans ce dernier #VendrediLecture avant la rentrée, nous vous présentons un ouvrage de référence, "La gouvernance par les nombres". Dans ce livre, l’éminent juriste Alain Supiot nous décrit l’évolution des institutions à travers les siècles et à travers le monde. (1/12)
Ne se contentant pas d'un exposé technique sur la forme des institutions, il détaille les principes qui les sous-tendent, les représentations mentales qu’elles projettent.
Abordant les notions de souveraineté et de politique, Supiot comprend que dès l’antiquité, (2/12)
le gouvernement idéalisé est une machine. La loi connaît un long règne, elle accompagne la construction et l’action de l’État moderne. Elle est l’outil qui sert à favoriser des intérêts, à en limiter d’autres. Dès lors, elle implique une notion de calcul et d’évaluation. (3/12)
Read 12 tweets
Jan 7, 2022
Bonjour à toutes et à tous. Nous espérons que vous avez bien profité des fêtes. Nous repartons pour un nouveau #VendrediLecture avec un classique de l’économie de ce siècle. Il s’agit du Capital au XXIe siècle de @PikettyLeMonde. (1/30)
L’objectif de l'ouvrage est d’étudier les dynamiques d’accumulation et de répartitions des revenus et patrimoines, dans une vingtaine de pays et sur quatre siècles. Ces travaux sont donc à la confluence de l’histoire et de l’économie. (2/30)
Après avoir noté que le partage du revenu entre le capital et le travail était moins stable qu’on pourrait l’imaginer, Piketty avance qu’il est plus enrichissant de s’intéresser au rapport entre le capital et le revenu national, du fait de "lois fondamentales (3/30)
Read 30 tweets
Sep 17, 2021
Bonjour à toutes et tous. Pour le #VendrediLecture de cette semaine, nous avons choisi de vous présenter un ouvrage rédigé sous la direction de Jacques Sapir : "L'euro est-il mort ?". Fort des interventions de nombreux économistes hétérodoxes comme Olivier Berruyer (1/17) ImageImage
ou Jacques Sapir, mais également d’économistes d’obédience libérale comme Jean-Jacques Rosa, cet écrit tire le bilan de 15 années de politiques monétaires absurdes, qui ont progressivement défait le tissu économique de l’Europe périphérique. Face (2/17)
aux promesses officielles de paix, de prospérité économique, d’innovation, de baisse du chômage et de montée en gamme progressive du vieux continent face au reste du monde, le livre propose d’aborder la description des effets délétères de la monnaie unique sur (3/17)
Read 17 tweets
Jul 30, 2021
Bonjour à toutes et tous, nous revoici pour un ultime #VendrediLecture avant une pause estivale durant le mois d’août. Afin de marquer le coup, nous vous recommandons un monument de la création artistique française : A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust. (1/21)
Oui, l’ouvrage est assez long. Oui, il est ardu, dense, et ne se lit pas comme un roman de gare. Dès lors, l’œuvre peut en effrayer ou en décourager plus d’un. Néanmoins, nous allons vous expliquer pourquoi vous devriez profiter du mois d’août pour vous y mettre. (2/21)
Marcel Proust, c’est une langue. Une technicité syntaxique inouïe qui lui permet d’écrire des phrases aussi longues à suivre qu’un projet de réforme de l’Union européenne. C’est également un vocabulaire incroyablement diversifié, qui enrichira le vôtre comme aucune (3/21)
Read 21 tweets
Jul 23, 2021
Aujourd'hui, c'est #VendrediLecture, et nous allons vous présenter l'ouvrage de l'économiste John Kenneth Galbraith, "Le nouvel État industriel", paru en 1967. (1/18)
Dans cet ouvrage, Galbraith soutient que le pouvoir dans la grande entreprise et dans la société n'est plus détenu par les individus mais par les organisations. Il démontre que le fonctionnement du capitalisme change par la modification de ses structures et que (2/18)
la loi de l'offre et de la demande ne peut pas fonctionner. Galbraith est un grand critique de cette loi : pour lui elle n'a tout simplement jamais existé. Les conditions de l'économie de marché n'existent pas, le libéralisme en est décrédibilisé. (3/18)
Read 18 tweets
Apr 9, 2021
Toujours au rendez-vous pour le #VendrediLecture, cette semaine nous évoquons un auteur iconoclaste et provocateur (pour changer), que beaucoup sans doute attendaient : Jean-Claude Michéa.
Même si ce n'est pas son essai le plus connu, nous choisissons de présenter (1/12)
"Les mystères de la gauche", qui intéresse particulièrement République Souveraine et ses sympathisants. C'est en effet dans cet ouvrage que le philosophe, ancien professeur de philo dans un lycée, désormais retiré dans un village des Landes, établit une généalogie (2/12)
de ce que désigne le terme de "gauche". S'inspirant particulièrement de l'écrivain britannique George Orwell, Michéa différencie fortement ce courant du socialisme - ou plus largement du mouvement ouvrier - pour l'identifier historiquement et intrinsèquement au... (3/12)
Read 12 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(