Avec cette question qui revient souvent en consultation neuro : existe-t-il réellement un risque spécifique de cécité chez les jeunes femmes obèses ?
Ou pour le dire différemment, l'entité "..hypertension intracrânienne idiopathique..." :
- est-elle aussi fortement corrélée au sexe et au poids des femmes ?
- et le risque de cécité est il aussi élevé qu'on le lit dans à peu près n'importe quelle livre de cours de neuro ?
Commençons par un peu d'histoire.
Nous sommes en 1500 avant notre ère et un scribe égyptien écrit dans un papyrus que si on enlève le crâne des gens, on trouve une sorte de membrane qui fait glouglou si on tape dessus quand ils sont vivants. [D'après une traduction de moi-même]
Quelques jours plus tard, vers 400 avant notre ère, Hippcrate reconnaît que ceci évoque la présence d'eau (Hydro) dans la tête (céphal quelque chose). Et à peine plus tard, Gallien en 200 avant notre ère dit qu'il y'en autour et dans le cerveau.
A partir de là, les progrès se font à pas de géant puisque même pas 1600 ans après, Vésale confirme ces hypothèses et encore 150 ans après, Glisson précise que cette eau se situe entre deux membranes de méninges.
Ça va vite, très vite. On voit qu'on est en neurologie.
Et ça continue à ce rythme de dingue avec :
- 1692 Valsalva qui trouve de la flotte autour de la moelle
- 1764 Cotugno qui trouve que la flotte dans le cerveau et la moelle sont dans la même cavité (après avoir disséqué des chiens)
Et enfin en 1891 y'a match pour savoir qui entre Essex (un anglais) et Quincke (un allemand, le même que celui qui a donné son nom à l'œdème) a découvert qu'on pouvait prélever ce liquide et l'analyser.
(Le vainqueur est Quincke)
Et c'est là que ça devient intéressant.
En 1897 Quincke à force de faire des ponctions lombaires à tout humain trop lent pour lui échapper (enfants, comateux, aveugles, vieux...) constate que certaines personnes ont les mêmes symptômes que les victimes de tumeurs cérébrales, mais uniquement par excès de ce liquide.
Comme on ne sait pas trop comment appeler ce truc, il est nommé Pseudo Tumeur Cérébrale.
Puis en 1957 Foley appelle ça "hypertension intracrânienne bénigne" parce qu'il y a une hypertension, dans le crâne, et que c'est pas une tumeur.
Sauf que... le truc bénin en question rend aveugle. De façon assez définitive
Et paradoxalement la vue est assez utile dans la vie quotidienne
Du coup "bénin" ça donne pas une bonne idée de la gravité
D'où un changement de nom en 1982 où bénin a été remplacé par idiopathique
Si je vous raconte tout ça c'est pas tant pour vous dire que l'histoire de la médecine c'est avant tout de longues périodes où il ne se passe rien, ce qui démontre que la neurologie est l'essence même de la médecine.
Mais passons.
On a donc un truc qui rend aveugle (mais pas que) et plus particulièrement les jeunes femmes obèses (mais pas que).
Mais on sait pas vraiment ce qu'est ce truc.
C'est d'autant plus déroutant que de la façon dont je vous ai raconté cette histoire, il y a un lien entre trop de pression du liquide intracrânien et signes cliniques
Mais là où ça devient n'importe quoi, c'est que ça se voit aussi chez des personnes qui ont une pression normale
Résumons-nous avant que vous soyez perdus.
1/ on a mis 3500 à comprendre qu'on avait un liquide dans et autour du cerveau. 2/ on a mis un siècle pour comprendre que parfois une augmentation de la pression de ce liquide donne les même symptômes qu'une tumeur cérébrale
3/ on a mis quelques décennies à comprendre que parfois on avait le même chose mais avec une pression normale
Et
4/ on sait toujours pas trop ce que c'est.
Par contre on sait ce qui se passe quand on ne le soigne pas.
Tout d'abord ça donne :
- des céphalées
- des acouphenes
Si on attend un peu s'ajoutent des éclipses visuelles (une baisse transitoire) de la vision.
Si on attend un peu plus s'ajoute un flou visuel chez 25% des personnes atteintes.
Si le diagnostic n'est pas fait avant, dans 89% des cas ce déficit visuel devient permanent et conduit à la cécité.
Et ça va très vite. En quelques mois, parfois quelques semaines. C'est-à-dire qu'entre le moment où les gens se lèvent le matin avec un mal de tête, et le moment où leurs yeux ne leurs servent plus à rien, ils ont à peine le temps de réaliser qu'il faudrait consulter.
Mais quel rapport entre tout ce que je viens de vous décrire et le fait d'être une jeune femme obèse ?
Le rapport est statistique.
Ce truc atteint 8 femmes pour 1 homme.
Il se constate surtout entre 20 et 44 ans avec un pic à 27 ans.
Et ce risque est multiplié par 14,5 chez les femmes qui sont à plus de 10% du poids idéal et par 21 chez celle qui sont au-delà de 20% de leur poids idéal ou un IMC à 22.
Pour une femme de 1m65 va veut dire respectivement au delà de 66kg et 72kg
Et donc ?
Et donc vu la gravité de cette pathologie, ses conséquences rapidement définitives, et finalement le peu de symptômes annonciateurs avant qu'il ne soit trop tard, elle nécessite un dépistage systématique.
Surtout chez les personnes à risques.
Surtout en 2023.
Question bonus : est-ce que ça soigne ? Peut-on éviter la cécité ?
La réponse est moui..
C'est pas un oui franc.
On va pas se mentir, c'est compliqué.
Ça nécessite des ponctions lombaires itératives, parfois la mise en place de dérivations permanentes depuis les ventricules vers ailleurs, un traitement médicamenteux suivi, et un amaigrissement assez sévère.
C'est ni facile, ni agréable, ni une assurance que ça ne récidive pas.
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Bah c'en est aux Beatles qui en vendant des disques ont permis à un anglais de faire de la radiologie avec des cerveaux de vache casher, sauver des millions de vie, et gagner le prix Nobel.
Oui ça fait beaucoup et une partie de cette affirmation a été embellie au fil du temps, mais il se trouve que c'est un résumé assez juste de la vie de Godfrey Hounsfield.
Nous sommes en 1937.
Godfrey vit en plein milieu de nulle part, et plus précisément à Sutton-on-Trent, vaste étendue heureuse peuplée de moutons qui boivent du thé et d'humains qui broutent de la marmite. Ou le contraire.
Et parce qu'on n'est pas loin de Pâques on va faire dans le zombie.
Nan parce que je vous connais : un thread sur les mécanismes des anti CD20 tout le monde s'en tape, mais un thread sur LA MORT, y'a du monde.
Du coup, on va parler d'une étude
Une énorme étude
En santé pub une bonne étude c'est 10 000 000 patients
En cardio c'est 10 000
En neuro c'est 100
Là on est sur...4
4 patients.
Mais bien hein !
Enfin pas tout à fait parce que c'est 4 patients qui meurent pendant un EEG
Et que du coup des chercheurs (ref à la fin, surtout que l'article n'est pas protégé par un firewall), ont pu regarder ce qui se passe dans un cerveau mourant au moment précis de la...mort.
Et il se passe des choses (le suspense est intenable bien qu'on connaisse le dénouement)
Bon bah deuxième consultation et j'ai déjà sorti la grosse boîte de mouchoirs pour une patiente sur un truc que je ne pensais pas voir aussi vite en vrai : l'angoisse réelle et très concrète de perdre son job à cause d'une IA.
Elle est traductrice pro. Elle est arrivée à la traduction par des voies détournées après une formation très SHS orientée philo. Elle a l'atout d'être naturellement bilingue et maîtrise au total quatre langues avec un niveau qui lui permet de faire de la traduction juridique.
Mais c'est pas tout. Elle a vécu longtemps à l'étranger ce qui fait que non seulement elle maîtrise les langues locales mais également la culture locale.
Pour le dire autrement, ses traductions c'est pas juste du niveau de DeepL en mieux.
Vu que des non médecins m'ont posé la question voilà une mini explication pour comprendre ce qu'il se passe et ce qui pourrait se passer en raison de l'application de la loi RIST et ses conséquences sur l'ouverture des services d'urgence (mais pas que).
Cette loi est liée à ce que l'on appelle communément le mercenariat médical (si vous trouvez le terme péjoratif, dites-vous que c'est bien comme ça qu'il est employé).
Beaucoup d'hôpitaux (mais alors vraiment beaucoup) ont des postes de médecins qui sont désespérément vacants.
Lorsque ces postes concernent des services stratégiques (essentiellement les urgences, l'anesthésie réanimation, la pédiatrie, et la gynécologie obstétrique) les hôpitaux font appel à l'interim médicale (comme le ferait n'importe quelle boîte).
Avec aujourd'hui un problème d'importance : LES LAXATIFS RENDENT-ILS DÉMENTS ?
(Et si oui pourquoi ?)
Avouez que vous ne vous étiez jamais posé la question.
Tout commence chez les anglais.
Un anglais ça nait, ça prend des coups de soleil, ça mange n'importe quoi, et ça meurt.
Mais pas n'importe comment.
Ça meurt après avoir participé à une des bases de données médicales les plus vastes du monde : la UK Biobank.
Et grâce à ça, il est possible de faire des études prospectives de cohorte sur des... cohortes de plus de 500 000 anglais.
On a donc très exactement 502 229 anglais et anglaises entre 40 et 69 ans, sans antécédents de démence qui ont été suivis pendant en moyenne 9,8 ans et qui
Selon vous depuis quand décrit-on une entité clinique associant hyperactivité, distractibilité, labilité des émotions et persévérations ?
Et deuxième grande question, à votre avis, en 2023, combien existe-t-il de grandes définitions du TDAH selon que vous êtes américain, irlandais ou suédois (désolé y'a pas français, même si certains publient quelques articles... confidentiels)