Dressons un bilan de cette journée sanglante du 7 mars 2025 dans le nord-ouest de la Syrie.
Reprise en main par le pouvoir, exécutions sommaires extrajudiciaires, malgré les lignes fixées par Ahmad al-Sharaa sur ce sujet, crimes de guerre et dégâts considérables, insurgés en fuite...
Faisons le point. 1/
Les opérations prennent peu à peu fin dans les principales villes de la région. A Lattaquié et Tartous, les villes sont sous contrôle mais un couvre-feu est installé pour la nuit. A Qardaha, l'opération la plus sensible s'est soldée par un succès : la libération d'otages (soldats et cadres des forces de sécurité du nouveau régime) capturés hier soir par les insurgés issus des rangs de l'ancien régime. 2/
Les forces de sécurité ont aussi repris le contrôle complet des principaux axes routiers, coupés en de nombreux endroits dès cette nuit :
- l'autoroute M1 qui relie Homs à Lattaquié en passant par Tartous, Baniyas et Jableh.
- l'autoroute M4 reliant Alep à Lattaquié.
Mais les routes secondaires et de montagnes sont totalement en dehors de contrôle et les patrouilles y seraient en danger d'embuscades. Et 3/
Les dégâts sont considérables. Principalement dans la ville de Jableh, véritable champ de bataille pendant presque 48 heures. Des centaines bâtiments plus ou moins impactés par les balles, incendies et obus de mortiers. Avec des civils malheureusement pris dans les échanges de feu. La ville va devoir panser ses plaies. 4/
Les insurgés ont principalement fui vers leurs refuges du maquis que forment les crêtes montagneuses du rif de Lattaquié et de Tartous. Plus d'une centaine d'entre eux ont été tués. Certains exécutés, nous y reviendrons.
Ils ont aussi, parfois, abandonné du matériel, comme ici, aux portes de Tartous. Dont des armes lourdes. Démonstration des équipements qu'ils possédaient, en dehors de ce qu'ils ont capturé. 5/
Maintenant, abordons le plus grave dans la journée.
Depuis des rumeurs, puis des témoignages, des vidéos et désormais des condamnations venues de l'opposition, ayant confirmé la véracité des faits, il y a eu plusieurs crimes de guerre commis ce 7 mars 2025... (Cliché pris ce jour à al-Muktariyya, près de Lattaquié) 6/
Ce sont près de 60 exécutions sommaires et extrajudiciaires qui sont désormais documentées. A travers trois lieux. Tout d'abord, dans l'immédiate périphérie de Lattaquié, à al-Shir. Où plus d'une dizaine d'hommes, civils ou combattants capturés, ont été fusillés.
Il est impossible, pour le moment, de savoir quels éléments des forces du nouveau pouvoir, ou des éléments encore plus radicaux profitant du chaos, ont agi. 7/
Les massacres ont eu lieu principalement dans deux villages. Ceux d'al-Muktariyya et d'al-Shalfatiyya. C'est probablement à al-Shalfatiyya, également en périphérie de Lattaquié, qu'ont eu lieu les pires horreurs avec des exécutions filmées... 8/
Ici, les rues du village d'al-Shalfatiyah. Près d'une vingtaine de corps d'hommes abattus sommairement, sans armes, en dehors de tout cadre judiciaire. Là encore, aucune information sur les responsables de ces exécutions. 9/
Enfin, à al-Muktariyya, dont j'ai évoqué le sort en cours de journée. Où près d'une quinzaine d'hommes ont été réunis puis fusillés au même endroit. Là encore prisonniers, qu'ils soient civils ou combattants arrêtés, donc en aucun cas au combat, exécutés sans aucune forme de procès. 10/
Ces exécutions se positionnent totalement contre les exigences du nouveau pouvoir syrien. Ahmad al-Sharaa en personne, désormais président intérimaire du pays, avait fixé comme cap l'exigence d'une justice transitionnelle transparente et respectant les droits de chacun.
C'était un des coeurs de son discours devant la Conférence Nationale de Dialogue de la fin février. 11/
Qui est donc responsable ? Si nous regardons les lieux de ces horreurs, il apparaît que les troupes ayant pris cette route, la M4 jusqu'à Lattaquié, étaient notamment celles venues d'Idlib, cœur de l'ancienne gouvernance locale d'HTS, mais aussi celles venues du rif nord d'Alep, bastion de l'ANS, milice supplétive de la Turquie. 12/
Les regards se tournent donc vers deux pistes :
- des groupes radicaux, ayant rompu de facto avec HTS depuis que le groupe est devenu très pragmatique politiquement, mais en ayant fait parti avant 2025. Ils ont probablement pris la route vers Lattaquié pour chercher à agir avec vengeance et objectif de liquidation confessionnelle.
- des miliciens de l'ANS, connus pour des crimes de guerre précédents dans le nord de la Syrie, notamment contre des prisonniers (politiques ou combattants). 13/
Le sujet sera, dès ce soir, sur le bureau de Murhaf Abu Qasra, ministre des armées. Alors qu'il progressait dans la constitution d'une armée renouvelée et avec une certaine forme d'organisation moderne, ces crimes de guerre vont éclabousser sur le gouvernement et sa gestion des armes. 14/
Et tout cela va devoir faire avancer les autorités quant à la question de la récupération des armes dans le pays.
Car à force de parler des armes détenues par les druzes, les FDS ou encore des anciens loyalistes, io ne fallait pas oublier que des groupes hors du contrôle de l'armée syrienne, mais issus des rangs de la rébellion la plus radicale, ont aussi conservé ces armes... Et agissent en dehors de tout cadre institutionnel. 15/
Le discours du 25 février 2025, tenu par Ahmad al-Sharaa, mais aussi dans les points retenus par la déclaration finale des centaines de représentants d'une large partie du pays, indiquait clairement que les groupes armés en dehors de l'État devaient être désarmés, tout autant que le respect d'une justice transitionnelle respectueuse du droit international.
Ces groupes, ayant mené cette insurrection comme ceux ayant mené ces crimes de guerre en retour, démontrent que tout est à faire... 16/
Et cette justice contre ces crimes, comme contre les insurgés ayant mené à des victimes civiles, devra être sévère et réelle. Car il serait désastreux de voir ces crimes de guerre ne trouvant pas de punitions fortes. Indiquant que la peur ressentie par certaines populations n'était pas si fausse. Alimentant potentiellement une suspicion et donc semant les graines d'une énième hostilité au nouveau pouvoir...
Il devra donc y avoir des poursuites, avec des réquisitions publiques, afin de rassurer toutes les composantes du peuple syrien. 17/
Le bilan humain, après quasiment 48 heures de combats, est de près de 200 morts. Dont au moins 80 membres des forces de sécurité et des troupes du nouveau gouvernement. Plus de cent insurgés tués. Dont un certain nombre exécutés sommairement. Et sans oublier des civils exécutés ou pris entre les balles. 18/
L'Etat Islamique s'en prend violemment à Ahmad al-Sharaa et sa politique d'ouverture vers l'Occident.
Via sa revue al-Naba, l'organisation dénonce un traître, un serviteur de Washington ou encore un pion israélien. Mais surtout, le comparent à Atatürk, une insulte dans le milieu salafiste et jihadiste. 1/
Si la charge était attendue, pour tous ceux connaissant la haine entre le groupe EI et l'ex-HTS, elle s'accompagne donc d'un comparatif peu flatteur (dans l'imaginaire salafiste et jihadiste).
En effet, Atatürk est vu comme un traître à l'islam et au Levant, de par son tropisme occidental et laïc. Un homme que la revue qualifie ici d'affidé aux juifs et aux chrétiens... 2/
Ahmad al-Sharaa est ainsi considéré comme un successeur d'Atatürk en ce sens. Et l'engagement de la Syrie au sein de la coalition contre l'EI ne fait qu'alimenter le discours de ce dernier pour qualifier son adversaire de traître et de retourneur de veste. Ce qui est clairement évoqué ici. 3/
Ce soir, pas un sujet d'actualité. Mais je vous propose de revenir sur une personnalité syrienne.
Abu Saleh Tahan, un commandant militaire qui a toujours placé la chute du régime avant tout. Meneur de nombreuses batailles, il a été plusieurs fois visé par des attentats.
On revient sur son parcours depuis 2011... 1/
Muhammad Diaa Saleh Tahan est né en 1978, dans la petite ville de Taftanaz, près d'Idlib. Il grandit au sein d'une famille pieuse, très pratiquante.
Très jeune, il adhère au courant salafi et militant. Notamment avec son frère, Ahmad. Tous deux sont activistes à la fin des années 2000. Lors des grandes raffles de 2008 et 2009 menées par le régime Assad contre les organisations islamiques, notamment salafistes et jihadistes, les deux frères sont recherchés... 2/
Si Ahmad est arrêté, celui qui allait devenir Abu Saleh Tahan réussit à échapper aux arrestations. Il se rend alors au Liban, auprès d'autres organisations salafistes.
Il y vit jusqu'en 2011 et l'éclatement de la révolte populaire qui secoue alors la Syrie. 3/
C'est l'angle mort, comme ailleurs en France au demeurant, des élus de la région. La Bretagne est en train de connaître un retournement démographique inédit, davantage qu'ailleurs en France dans ce glissement...
La région avait le plus fort taux de fécondité de France il y a encore quelques années. Elle est désormais la région qui vieillit le plus vite. Et notamment par l'immigration massive et titanesque de retraités venus d'autres régions du pays qui viennent s'y échouer (ou y reviennent s'ils en étaient partis) pour finir leurs vies...
D'ici 2040, l'INSEE et la région estiment qu'il y a aura 400 000 nouveaux habitants en Bretagne. Problème ? L'immense majorité aura plus de 60 ans, n'apportant rien avec eux sinon leurs futures prises en charge pour une région qui va plier sous leur poids... 1/
Perros-Guirec est un formidable exemple littoral d'une station autrefois florissante, pas encore secondarisée ni EHPADisée il y a encore 15 ans.
Mais en l'espace d'une décennie, la ville est devenue, comme certains la surnomment, "arthrose directe". L'INSEE, aux données déjà anciennes, donne le vertige : près de 60 % de la population y a désormais... plus de 60 ans. Une véritable résidence senioriale à ciel ouvert. Et de nouveaux programmes de résidences senioriales et structures équivalentes ne cessent de s'y implanter...
Pour vous donner une idée du drame : le collège privé de la ville, Notre-Dame, est passé de 180 élèves en 2016 à une grosse centaine en 2025. En seulement dix ans, quasiment la moitié de l'effectif de l'établissement s'est évaporée sous le poids croissant du vieillissement de sa population. 2/
Certaines communes bretonnes sont devenues de véritables maisons de retraite. Morbides, sinistres et silencieuses. Et si le phénomène était un temps localisé à la côte du Morbihan et d'une partie du Finistère, ainsi que dans le coin de Saint-Malo, et quelques stations balnéaires des Côtes d'Armor, il contamine désormais toute la région. Et même parfois au-delà du pourtour côtier.
Un véritable enfer de toisons argentées où tout devient lent, monotone, immobile et sans avenir. Entraînant la fermeture des commerces car la population vieillit et... meurt. Les biens sont si chers qu'ils ne sont pas repris par des familles ensuite, mais deviennent secondaires : la clientèle annuelle disparaît alors définitivement. 3/
ZOOM SUR | La Syrie est devenue le 120ème État à reconnaître l'indépendance et la souveraineté du Kosovo.
Vous l'avez sûrement déjà lu ailleurs. Mais vous me connaissez : on va voir que ce n'est pas qu'une annonce anecdotique. Et que leurs destins sont liés...
On y va. 1/
Ce 29 octobre 2025, à l'occasion d'un sommet économique qui se tient en Arabie Saoudite, et par l'entreprise / le lobbying de ce pays, le gouvernement syrien a officiellement reconnu l'existence du Kosovo. C'est une annonce qui peut paraître totalement marginale. Mais qui ne l'est pas. Loin de là... 2/
Je tiens à rappeler que ce n'est pas la première rencontre officielle entre les deux dirigeants. En effet, le président syrien Ahmad al-Sharaa et la présidente kosovar Vjosa Osmani se sont déjà rencontrés en Turquie en avril 2025. C'était un premier pas... 3/
Ahmad al-Sharaa | Abu Muhammad al-Julani, l'homme qui a brisé bien des groupes jihadistes.
Depuis 2013, ce que fut le Jabhat al-Nusra, puis le Jabhat Fatah ash-Sham pour enfin devenir Hayat Tahrir ash-Sham (HTS), a toujours éliminé, soigneusement, ses rivaux. Et notamment, les jihadistes d'autres formations.
Retour sur une liste de groupes victimes de l'ambition dominatrice de l'un sur les autres... 1/
Je ne citerai pas ici les dizaines de formations rebelles, de l'ASL notamment, qui furent vaincues, éliminées ou soumises depuis 2013. Ni la guerre menée par al-Nusra contre l'Etat Islamique dès début 2014.
Non, je vais me concentrer sur les groupes jihadistes détruits, ou mis hors d'état d'agir, par les forces menées par Ahmad al-Sharaa entre 2013 et 2024. 2/
Qui se souvient, par exemple, du groupe, principalement tchétchène, de Jund ash-Sham.
Formation jihadiste composée de combattants du Caucase, commandée par le charismatique Muslim Shishani. Après des années de tensions, HTS mit une telle pression au groupe que son chef finit par cesser ses activités. Le reste du groupe fut attaqué et détruit en 2021... 3/
Des combats d'une grande violence ont eu lieu ce matin avec l'entrée partielle des forces de sécurité du gouvernement dans le camp des francophones de la Firqatul Ghuraba.
Omar Omsen, son fils Bilal, et plusieurs de ses hommes sont les principales cibles de l'opération en cours, ainsi que la dissolution de son bataillon. 1/
Cette opération prend place dans une vaste politique de répression, comme je l'indiquais hier soir, des mouvances, groupes et individus qui refusent, étrangers mais également des syriens, de se plier entièrement aux nouvelles autorités, pour lesquelles ils ont parfois combattu depuis 2012 (du temps de Nusra, du JFS puis d'HTS). 2/
Il faut se rappeler que du temps où HTS régnait sur Idlib, la Firqatul Ghuraba avait déjà été la cible d'opérations menées par les forces d'Ahmad al-Sharaa (alors Abu Muhammad al-Julani). Notamment en 2018 et en 2020. Avec l'arrestation et l'emprisonnement de plusieurs de ses membres, dont Omar Omsen et Bilal Omsen. 3/