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Mar 8 12 tweets 6 min read Read on X
Un dernier bilan porte à désormais 300 civils tués, fusillés et massacrés par des groupes armés en Syrie. J'avais évoqué, un des premiers en France, ces horreurs, notamment à al-Muktariyya et, plus globalement, dans la périphérie de Lattaquié.

Faisons le point sur la pire journée depuis la chute du régime d'Assad. Avec cette question : qui sont les responsables ? 1/Image
Pour le chef de l'Etat, Ahmad al-Sharaa, qui se voit rappeler que ses anciens combattants ne lui obéissent pas forcément, loin de là, sans parler de ceux ayant refusé de se soumettre en rejoignant la nouvelle armée, c'est un désaveu terrible.

Ses lignes directives pour une justice transitionnelle efficace, répétées fermement le 25 février dernier, n'ont pas été suivies. Menant à des horreurs. 2/Image
Les exécutions concernent très majoritairement des hommes. Prisonniers ou simplement abattus gratuitement dans certaines zones (comme à al-Shalfatiyya, où ils ont été abattus en pleine rue sommairement).

Elles ont aussi eu lieu dans des zones agricoles de l'arrière pays alaouite, avec des exécutions gratuites et sommaires, clairement à visées confessionnelles, contre des ouvriers, fermiers, etc. 3/
Il semble que les hommes aient été les cibles régulières. Un reportage, avec témoignages, de @jenanmoussa, confirmé des opérations de sélections des hommes pour être abattus dans les zones de Tartous notamment. 4/
Alors, posons, ce matin, les questions des responsabilités et des acteurs de ces actes sordides qui se sont déroulés sur une bonne partie de la journée du 7 mars 2025. Éloignons nous des théories complotistes pitoyables de piliers de bars et regardons les faits avec un contexte.

1) Le gouvernement ? Il n'est pas à la manœuvre. Ne contrôlant qu'une partie du pays et, plus grave et inquiétant, qu'une partie des hommes armés dans ce pays. De plus, le nouveau pouvoir lorgne sur la levée des sanctions internationales : il a besoin d'une stabilité et d'une gestion la plus acceptable possible vis à vis de la communauté internationale.

Ce gouvernement découvre surtout, ce matin du 8 mars 2025, que son autorité est désavouée par une partie des hommes armés du pays et que cela va créer des doutes sur sa gestion. 5/Image
2) Des membres des forces de sécurité du nouveau régime ?

C'est désormais de plus en plus clair : des membres des nouvelles forces de sécurité et de l'armée, anciens d'HTS ou d'autres formations ayant rallié la nouvelle autorité, ont participé, hier à ces exécutions. C'est le cas notamment dans la région de Tartous. Ils ont de facto rompu avec les ordres donnés et les appels à ne pas faire dans l'extra-judiciaire.

Il faudra saisir l'ampleur, au sein de ces forces, de ces hommes et de leurs idées. Purge probable à venir. 6/Image
3) Des jihadistes syriens et/ou étrangers ayant refusé de se soumettre aux nouvelles autorités ?

C'est une des grosses pistes sérieuses pour les massacres de masse. Principalement commis autour de Lattaquié. Il y a plusieurs semaines, j'avais documenté, seul en France, le meurtre de plusieurs fermiers par des jihadistes ouïghours et kirghizes stationnés alors près de Jableh. Suite à quoi, les jihadistes avaient été expulsés de la région par le nouveau pouvoir.

Il semble cependant que certains aient profité de la répression des insurgés pour mener des massacres. Plusieurs vidéos, désormais vérifiées, attestent de la présence de ces jihadistes hier dans la zone de Lattaquié. Principalement d'Asie Centrale. Correspondant bien à leur zone d'action, proche d'Idlib. Certains de ces jihadistes ont, pour beaucoup, refusé de se plier au nouveau pouvoir et considèrent qu'Ahmad al-Sharaa est un traître. 7/
J'ai été des premiers, dès le 8 décembre 2024, à évoquer le sentiment de trahison à venir des hardliners comme je les appelle. Ces hommes, syriens ou étrangers, qui ont combattu contre Assad, pour l'établissement d'un état islamique ferme, et qui se considèrent les "cocus" de l'affaire avec un Ahmad al-Sharaa qui discute avec les FDS, place des femmes laïques aux conseils de transition, ou encore accorde deux jours de fête fériée pour Noël (un seul jour sous l'ancien régime). Pour eux, et ils ne s'en cachent pas, al-Sharaa les a trahi.

Ces hommes, sans aucun contrôle de facto des autorités sur eux, forment un réel problème pour la suite. 8/
3) Des reliquats de l'ancienne ANS. Cette Armée Nationale Syrienne qui n'était en réalité qu'un corps syrien expéditionnaire au service des intérêts turcs. Fondée à partir de 2016. L'ANS a une histoire de banditisme, d'extorsion, de vols, de viols ou encore de massacres d'opposants, politiques comme armés (rappelons nous le meurtre d'Hevrin Khalaf, en illustration, en 2019).

Si une partie de l'ANS a annoncé son intégration au sein de l'armée, une autre n'a pas voulu se soumettre aux nouvelles autorités. Et l'on a pu voir, dès la nuit du 6 au 7 mars, une partie des convois de l'ANS rejoindre la région de Lattaquié. Zones des pires massacres. Certaines tenues de camouflage correspondent, sur certaines vidéos, à des tenues fournies à l'ANS.

Nous avons donc la certitude que des membres de l'ANS ont participé aux horreurs. 9/Image
Et rentrons désormais dans le détail.

Sur l'axe Tartous, les forces de sécurité et armées étaient notamment menées par un homme bien connu, mais en mal, des syriens : un certain... Abu Amsha. Ancien chef au sein de l'ANS, réputé pour être un bandit et un dangereux individu, a été nommé général de la division d'armée de Homs.

Celle qui s'est immédiatement mise en route vers Tartous dans la nuit du 6 au 7 mars 2025. Il a lui même été filmé cette nuit-là. Ce sont ses hommes qui ont participé aux opérations entre Homs et Jableh. Un homme qui a de très mauvaises relations, historiquement, avec Ahmad al-Sharaa. 10/Image
Les documents attestent de sa direction des opérations dans la zone s'étendant de Homs jusqu'à Jableh en passant par Tartous.

Cet homme, certes désormais impliqué dans l'appareil militaire, est connu pour ne rien respecter. Alors qu'Ahmad al-Sharaa évoquait la pluralité et l'apaisement en Syrie, il publiait, le même jour, sans aucun devoir de réserve, une critique frontale de la transition en cours... 11/
Image
Ce matin, il faut, au vu des éléments en main, pointer clairement du doigt, dans la droite ligne de ce qu'il a commis depuis près d'une décennie, Abu Amsha.

Rappelons que c'est aussi l'ANS, au nord, près de Lattaquié, si vous avez suivi ce développement, intervenant depuis le Rif d'Alep, qui a participé aux massacres. L'ancienne formation et ses anciens cadres sont en roue libre et n'obéissent, de facto, à personne. La Turquie ne laisse pas un formidable cadeau à la Syrie post-Assad... 12/Image

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Mar 9
Le gouvernement syrien doit protéger, je coupe mon retrait du week-end, les lanceurs d'alerte qui ont dénoncé à visage découvert ces exécutions et massacres. Jusqu'à nommer des responsables (Abu Amsha notamment, décidément encore...). C'est le cas du jeune combattant Muhammad Hajji Abu Obeida, combattant de la 313ème brigade, qui a publié un témoignage dénonçant ces horreurs.

Depuis, plus aucune nouvelle. Ces hommes seront déterminants dans des poursuites judiciaires, y compris avec une enquête, qu'il faut espérer, des Nations Unies. 1/Image
Muhammad Hajji subit une vague de haine inédite sur les réseaux sociaux de la part de partisans d'Abu Amsha et de Saif Abu Bakr. Ils dénoncent son côté potentiellement efféminé ou encore des tatouages, qui en feraient forcément un individu étrange. Il est accusé d'être en réalité un membre des FDS (groupe qu'ont combattu Abu Amsha et Abu Bakr...) : il n'en est rien. Il est bien membre des forces du gouvernement syrien, comme ici récemment à Hama.

Sa vie est clairement en danger. 2/Image
Rappelons qu'Abu Amsha est déjà sous sanctions de plusieurs pays, et considéré comme terroriste. Il est responsable de dizaines d'assassinats et meurtres, ainsi que d'exactions. Notamment en 2018 dans la région d'Afrin. Il a pourtant obtenu la nationalité turque...

Je ferai, demain, un thread sur ce sinistre personnage qui n'obéit à personne et menace toute la société syrienne. 3/Image
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Mar 8
Il est l'homme le plus recherché du Nord-ouest de la Syrie, avec le général Ghiyat Sulayman Diab et, désormais, les responsables des exécutions de masse.

Muqdad Fatiha, chef d'anciens loyalistes insurgés, qui a déclenché les événements des derniers jours et leurs conséquences morbides. Il a publié une vidéo, ce 8 mars 2025, menaçant de poursuivre le combat.

Il est visiblement retourné, comme on l'evoquait hier, dans le maquis de l'arrière pays côtier. 1/
Pour rappel, Muqdad Fatiha est entré en rébellion il y a plusieurs semaines
Je vous en avais parlé lors de précédentes attaques menées par sa Brigade du Bouclier de la Côte, composée d'anciens shabihas et soldats les plus durs de l'ancien régime. 2/

La problématique du nouveau pouvoir syrien est la question du maquis de Tartous et Lattaquié. Des centaines de vallées, hauteurs, crêtes, petits hameaux, routes secondaires compliquées... C'est d'ailleurs pour cela que les anciens loyalistes se sont réfugiés dans cette zone.

Et que le pouvoir ne s'est pas réellement attaqué à cette situation. Préférant le principe de l'amnistie (effectivement accordée à des dizaines de milliers d'anciens soldats loyalistes). Mais les hommes de Fatiha ont refusé ce principe. 3/Image
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Mar 8
A Baniyas, l'horreur.

C'est la ville restée dans l'angle mort de nos suivis hier. Située sur la côte, bastion de l'opposition entre 2011 et 2013, avec une population à la fois sunnite et alaouite. La ville avait déjà subi un massacre en mai 2013, de la part de partisans du régime Assad sur les quartiers sunnites.

Hier, et encore ce matin, ce sont les quartiers alaouites qui ont été visés par des bandes armées. Au moins 50 personnes tuées sommairement, principalement des civils. Des jihadistes d'Asie Centrale, qui n'ont pas voulu se soumettre aux nouvelles autorités, sont accusés, ainsi que des membres des forces de sécurité, anciennement de l'ANS. 1/Image
Baniyas fut longtemps, dès 2011, un bastion de l'opposition syrienne. Aussi bien sunnite qu'alaouite par ailleurs. Plusieurs opposants alaouites au régime étaient notamment natifs de cette cité.

En 2013, le régime décide de briser cette ville frondeuse au coeur de son bastion côtier. Début mai, des centaines de miliciens d'Assad se déchainent, principalement dans les quartiers sunnites. Ce massacre a fait plus de 280 victimes, toutes civiles. Notamment des femmes et enfants. 2/Image
Image
Le massacre de Baniyas, et d'al-Bayda, un village voisin, avait soulevé l'opprobre internationale. Des enquêtes sérieuses et approfondies avaient confirmé les actes criminels. Et des responsabilités directes du régime Assad et de ses cadres locaux, dont un chef milicien, Mirhac Ural (toujours recherché). 3/
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Mar 7
Dressons un bilan de cette journée sanglante du 7 mars 2025 dans le nord-ouest de la Syrie.

Reprise en main par le pouvoir, exécutions sommaires extrajudiciaires, malgré les lignes fixées par Ahmad al-Sharaa sur ce sujet, crimes de guerre et dégâts considérables, insurgés en fuite...

Faisons le point. 1/Image
Les opérations prennent peu à peu fin dans les principales villes de la région. A Lattaquié et Tartous, les villes sont sous contrôle mais un couvre-feu est installé pour la nuit. A Qardaha, l'opération la plus sensible s'est soldée par un succès : la libération d'otages (soldats et cadres des forces de sécurité du nouveau régime) capturés hier soir par les insurgés issus des rangs de l'ancien régime. 2/
Les forces de sécurité ont aussi repris le contrôle complet des principaux axes routiers, coupés en de nombreux endroits dès cette nuit :
- l'autoroute M1 qui relie Homs à Lattaquié en passant par Tartous, Baniyas et Jableh.
- l'autoroute M4 reliant Alep à Lattaquié.
Mais les routes secondaires et de montagnes sont totalement en dehors de contrôle et les patrouilles y seraient en danger d'embuscades. Et 3/Image
Read 19 tweets
Mar 7
Bonjour à tous, faisons le point, ce matin, sur la situation dans le nord-ouest de la Syrie après 24 heures de chaos, où des centaines d'anciens loyalistes ont lancé des attaques à travers trois gouvernorats.

La situation n'est pas sous contrôle, loin de là. Je vous expose tout cela dans le détail, pour ce premier défi sécuritaire et insurrectionnel d'ampleur pour le nouveau pouvoir syrien dominé par HTS. 1/Image
Tout d'abord, évoquons les zones où le calme est partiellement revenu. C'est le cas de la ville de Homs et d'une large partie de l'axe autoroutier entre Tal Kalakh et Homs. Des embuscades sanglantes ont eu lieu sur la route toute la nuit. Les guérillas d'anciens loyalistes ont regagné leurs maquis. Dans la ville de Homs, la situation est désormais apaisée. 2/
En signe de refus de porter caution aux groupes armés formés par d'anciens loyalistes et des syriens hostiles au nouveau pouvoir, des notables, chefs et représentants de la communauté alaouite de Homs ont collectivement condamné ces actions et ont renouvelé leur confiance dans la transition en cours politiquement. 3/Image
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Mar 6
IMPORTANT | Cette nuit, la Syrie entre dans sa nuit la plus chaotique depuis des mois.

Après des tensions qui ont essaimé toute la journée sur la côte syrienne et dans l'arrière pays alaouite de Lattaquié et Jableh, des affrontements armés de haute intensité touchent désormais plusieurs villes et zones rurales.

Même la ville de Homs est touchée. D'anciens éléments loyalistes sont engagés dans des attaques. 1/
Tout a commencé dans la journée par des opérations des forces de sécurité du gouvernement HTS de Damas, comme cela se fait régulièrement sur la côte syrienne, dans les environs de L'attaque, Jableh et Tartous.

Des combats ont alors eu lieu, notamment en périphérie de Lattaquié. 2/
Les choses ont rapidement évolué vers un événement inédit : la Brigade 313, dite aussi Bouclier de la Côte, composée d'anciens loyalistes, a mené sa plus importante opération armée contre le nouveau pouvoir, en arrivant à pénétrer plusieurs bases armées de Lattaquié, dont le quartier général des forces navales. 3/
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