Michaël Mangeon Profile picture
Histoires du #nucléaire. Docteur, chercheur associé @evsumr5600, consultant, enseignant. Mes tweets n’engagent que moi.

Sep 25, 2020, 49 tweets

Savez-vous qu’en 1963 démarre « La boule de Chinon », le premier réacteur électronucléaire français ?
Comme souvent, l’apprentissage fut difficile avec de nombreuses batailles d’experts entre EDF et le CEA.

Thread sur la genèse du 1er réacteur #nucléaire de Chinon.

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1/ Après les premiers réacteurs de recherche fin 40’s et 50’s, le réacteur militaire G1 du CEA Marcoule produit en 1956 les premiers kilowatts-heures d’électricité et entrouvre la porte au #nucléaire civil en #France.

2/ EDF récupère alors l’énergie des réacteurs du @CEAMarcoule (G1, G2 et G3) pour la transformer en électricité. Il ne s’agit alors pas d’un réacteur nucléaire dédié à la production d’électricité mais plutôt de dispositifs expérimentaux produisant très peu d’électricité !

3/ L’étape suivante est cruciale pour EDF et son directeur Roger Gaspard (vidéo) : concevoir et exploiter un véritable réacteur #nucléaire produisant de l’électricité. Le CEA et EDF vont donc devoir travailler main dans la main mais avec des objectifs différents.

4/ Pour cette grande première, il faut trouver un site… A cette époque, il n’existe pas de législation concernant l’implantation des centrales nucléaires, seulement un protocole sur les rejets des installations nucléaire, signé entre le CEA et le ministère de la Santé en 1957.

5/ Le choix du site est donc d’abord « économique » : éloignement d’autres sources énergétiques, région avec des besoins importants en électricité, besoin en eau de refroidissement pour les échangeurs de chaleur….

lemonde.fr/archives/artic…

6/ Après la sélection de plusieurs sites de l’Ouest de la France, le choix se porte sur la commune « d’Avoine » en bord de #Loire, au centre d’un triangle de villes (Poitiers, Tour et Angers). EDF choisi de nommer le site « Chinon », ville voisine d’Avoine et le réacteur EDF1.

7/ Ce site, dont la géologie est considérée comme « favorable » est assez éloigné des foyers de population. La distanciation, c’est donc la première forme de prise en compte des risques en cas d’accident nucléaire, avant même le « confinement » !
theconversation.com/barrieres-conf…

8/ Le CEA et EDF engagent en 1955 les discussions sur la conception du réacteur. Le choix de type réacteur ne fait pas débat. Il serait de type uranium naturel graphite-gaz (UNGG), pour bénéficier de l’expérience acquise à Marcoule.

9/ EDF demande un avant-projet pour un réacteur de 60 MW et le CEA propose une conception directement inspirée du réacteur G2 de Marcoule (vidéo). Pour EDF, ce réacteur ne permet pas de produire de l’électricité de manière optimale.

10/ En effet, si les ingénieurs des 2 organismes sont formés à la même école sur les questions nucléaires (l’Institut des sciences et des techniques nucléaires du @CEAParisSaclay depuis 1956), ceux-ci ont parfois des positions radicalement opposées sur des sujets importants…

11/ Certains défendent la conception des réacteurs de Marcoule, avec un chargement du combustible à l’horizontale (photo G2), alors d’autres préfèrent opter pour un chargement vertical qui favorise la convection naturelle du CO2.

12/ Un débat s’engage également sur l’enveloppe du réacteur : le caisson. Je vous laisse avec Olivier MARTIN, directeur de l'Équipement de l'EDF, qui vous explique en image ce qu’est un « caisson ».

13/ Le CEA souhaite utiliser, comme à Marcoule, un caisson en béton précontraint. Les ingénieurs d'EDF veulent augmenter la puissance et donc la pression de fonctionnement du réacteur, mais à l’époque, les caissons en béton précontraint ne tiennent pas des pressions plus élevées.

14/ EDF va chercher une autre solution au Royaume-Uni…En effet, dans le même temps, les Britanniques réalisent un réacteur à Calder Hall (images) et optent pour un chargement vertical disposé dans un caisson cylindrique en acier (comme à Shippingport (USA)).

15/ Finalement, en 1966, EDF opte pour un caisson en acier construit par l’entreprise « Levivier ». Les combustibles sont également différents de ceux des réacteurs de Marcoule. On passe de barreaux pleins (G2-G3) à des barreaux creux qui permettent un meilleur refroidissement.

16/ Si le CEA participe activement aux études de conception, le design du premier réacteur EDF sera bien différent de ceux de Marcoule…La raison est simple : EDF veut produire de l’électricité de manière optimale et rentable, ce qui n’était pas le cas à Marcoule.

17/ En regardant de près ces choix techniques, Gabrielle Hecht analyse que le CEA défend un régime technopolitique « nationaliste » avec des technologies « 100% françaises » et EDF un régime « nationalisé » basée sur le pragmatisme et la rentabilité économique.

18/ En 1959, un incident va constituer un important revers pour EDF. Lors de la construction du caisson en acier (10 m de diamètre et 23 m de haut), une fissure d’une dizaine de mètres de longueur se développe. Le CEA incrimine le choix d’EDF et l’abandon du béton précontraint !

19/ Pour comprendre l’incident, une étude est confiée au laboratoire de métallurgie de la Marine nationale à Indret, qui tente à l’époque de souder le caisson d’un réacteur de sous-marin nucléaire (le Q 244).

Mais c’est une autre histoire…

20/ Le constat est clair : les nombreuses soudures ont fragilisé l’acier et celui-ci s’est rompu (Photo : ex d’une rupture sur maquette). Il faut reconstruire le caisson et cela prendra de 2 ans ! En photo, le rapport d’expertise de l’incident tiré du livre de Georges Lamiral.

21/ Une fois reconstruit, en 1961, le service des Mines fait subir au caisson une épreuve « hydraulique » avec succès et est déclaré prêt au service. L’épreuve hydraulique consiste à faire un essai sous pression (1,5 fois la pression en marche) pour vérifier la tenue du caisson.

22/ Cet épisode fait prendre conscience aux constructeurs et à EDF de la spécificité du nucléaire. Avec EDF 1, l’entreprise publique entre dans un monde nouveau. On ne conçoit pas une centrale thermique comme une centrale nucléaire.

23/ Enfin, point singulier de ce réacteur, il sera placé, avec les autres éléments (échangeurs de chaleur, soufflantes, machine de chargement…) dans un bâtiment de forme sphérique en acier de 55m de diamètre : la boule de Chinon !

24/ Les experts d’EDF et le CEA vont également se confronter sur un domaine tout nouveau : la sûreté nucléaire. En décembre 1960, le directeur général d’EDF, Roger Gaspard demande à Francis Perrin, administrateur du CEA, d’examiner la sûreté du réacteur qui se nomme alors EDF 1.

25/ Ce n’est que depuis la fin des 50’s que l’idée de d’analyser la sûreté d’un réacteur est importée en France par le CEA par le biais de grandes conférences internationales. Avant cela, les techniciens et ingénieurs imaginaient les dispositifs de protections au cas par cas.

26/ L’accident de Windscale au Royaume-Unis (1957) participe à cette prise de conscience des risques d’accident nucléaire alors que les américains tentent les premières estimations des conséquences d’un accident (rapport WASH-740 de 1957).

27/ Revenons au cas français…Dans le domaine de la sûreté nucléaire, EDF a beaucoup à apprendre du CEA. Les jeunes ingénieurs d’EDF vont alors échanger avec des pionniers du domaine comme Francis Perrin ou Jules Horowitz (photo).

28/ Les 1ers organismes de sûreté sont créés au sein d’EDF et du CEA. Les experts d’EDF du Comité pour l’étude des problèmes de sécurité (CEPS) se mettent en relation avec la commission de sûreté des installations atomiques (CSIA) du CEA et notamment la sous-commission des piles.

29/ Cette sous-commission des piles est dirigée par le fondateur de la sûreté nucléaire en France, Jean Bourgeois, qui deviendra plus tard, le directeur de l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), ancêtre de l'@IRSNFrance.

30/ Sur le modèle anglais, le CEA demande à EDF de réaliser un rapport de « sécurité » qui présente et analyse l’ensemble des risques que présente le réacteur. En 2020, le « rapport de sureté » est aujourd’hui un document de référence demandé par l’@ASN.

asn.fr/Informer/Actua…

31/ Sans rentrer dans trop de détails techniques (le rapport d’EDF1 fait 12 chapitres et 2000 pages), l’analyse des accidents distingue ceux qui sont techniquement possibles et l’« accident maximal prévisible » qui est considéré comme le plus grave (une rupture du circuit de CO2)

32/ C’est également à cette période que la méthode dite des « 3 barrières de confinement » va prendre forme (que l’on peut voir dans sa version « moderne » sur ce schéma). EDF doit donc prouver la bonne tenue de ces barrières aux experts du CEA.

33/ Après une réunion préliminaire en juillet 1962 autour de ce document, le 6 décembre 1962, le CEA et EDF se réunissent à nouveau pour examiner le rapport de sûreté d’EDF 1.

34/ Les experts discutent notamment de la possibilité de fusion de l’uranium et de son entrée en contact avec l’acier du caisson. EDF propose de disposer une tôle de 10 mm pour tapisser le fond du caisson et une grille pour éviter l’obturation des canalisations de CO2.

35/ A la suite de ces échanges (très réduits dans mon récit), les experts d’EDF se retirent et la commission du CEA délibère puis valide la « montée en puissance » du réacteur EDF 1 par un avis envoyé à EDF. EDF 1 va pouvoir démarrer !

36/ Ce premier « grand oral » est à la base du fonctionnement de la sûreté nucléaire en France, même si à l’époque, les notions d’indépendance de l’expertise et du contrôle n’existent pas. Ce sont 2 industriels, EDF et le CEA qui discutent entre eux.

37/ Finalement, le réacteur, dont les travaux débutent en 1957, diverge avec un retard de 3 ans sur le planning initial, le 16 septembre 1962 et produit de l’électricité le 14 juin 1963. Alors que le réacteur EDF 1 démarre, les chantiers d’EDF 2 et 3 sont déjà bien lancés.

38/ La construction et le démarrage de la première centrale électronucléaire devient une forme de « spectacle » et la presse fait les gros titres sur ce « château du XXème siècle », signe du progrès technique et de l’entrée dans un monde nouveau.

39/ Véritable épopée, la construction et le démarrage du réacteur EDF 1 est vécue comme un apprentissage difficile par EDF. L’entreprise se retrouve un peu prisonnière d’enjeux politiques, stratégiques et militaires qui dépassent de loin son rôle d’électricien.

40/ En effet, le général de Gaulle au pouvoir donne la priorité à la bombe, soutient depuis toujours le CEA et considère EDF comme « dirigée par ses ingénieurs et les communistes ».

41/ Georges Pompidou, 1er ministre de de Gaulle, déclare en 1963 : « Monsieur Gaspard, vous êtes plus puissant que mes ministres ! Il faut vous en aller ». Le nouveau directeur général d’EDF sera Pierre Guillaumat, ancien administrateur général du CEA…
lemonde.fr/archives/artic…

42/ EDF 1, qui prend le nom de Chinon A1 sera donc la « tête de série » de la filière UNGG. La séparation du nucléaire militaire et civil est actée avec l’annonce de la fin de la filière UNGG en 1969.

43/ Chinon A1 est définitivement arrêté le 16 avril 1973, l’année de lancement du plan Messmer du « tout nucléaire » et de l’avènement de l’ère des réacteurs à eau pressurisée (REP) EDF. Le site de Chinon comptera 3 réacteurs UNGG et 4 REP (en construction sur la photo).

44/ Avant les célèbres des REP, la « boule de Chinon » devient un symbole de promotion du territoire (et de ses produits !) mais aussi de lutte antinucléaire.

45/ Après avoir été partiellement démantelé, le réacteur de Chinon est reconverti en musée de l’atome et la « Boule de Chinon » accueille aujourd’hui des visiteurs.

edf.fr/edf/accueil-ma…

Fin du thread !

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