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Blog de diffusion de la recherche en histoire médiévale. Compte Twitter tenu principalement par Florian Besson

Aug 28, 2021, 20 tweets

Des femmes enterrées avec des épées ⚔️ ?
Dans un article récemment paru, des chercheurs et chercheuses reviennent sur une tombe finlandaise datée du XIIe-XIIIe siècle. L’analyse ADN permet des conclusions… étonnantes. Un thread ⬇️ ! #histoire #medievaltwitter

En 1968, des archéologues trouvent une tombe à Suontaka Vesitorninmäki, Hattula, en Finlande. La tombe, datée de 1050-1300, abrite un squelette très dégradé, portant un habit féminin (deux broches ouvragées = mode typique de l'époque), et deux épées elles aussi abîmées

En réalité, seule une de ces épées a été placée dans la tombe. L’autre a été enterrée au-dessus quelques années après : une pratique bien attestée par les sources, liée à des rituels magiques. Ce qui veut dire que la tombe était célèbre à l’époque…

L’analyse des fibres textiles retrouvées dans le sol permet de savoir que le corps était enveloppé dans un manteau de laine teint en bleu, avec de la fourrure (renard et lapin) teinte en pourpre, ce qui est exceptionnel

On a également retrouvé des plumes, qui a priori étaient placées en grande quantité sous le corps. Bref, vous avez compris : le défunt n’était pas une personne lambda, mais quelqu’un de très respecté par sa communauté, qui avait sûrement un statut social élevé.

Bon. Une femme, donc, a priori, enterrée dans un manteau précieux et avec son épée. Une idée qui a dérangé certains chercheurs, qui ont fait l’hypothèse qu’il y avait deux corps enterrés dans la même tombe… mais ça ne marche pas (pas la place)

Le squelette ne se compose que de deux fragments de fémur – et oui, 800 ans dans le sol, ça fait des dégâts. Juste assez pour une analyse ADN, conduite récemment dans un laboratoire allemand

La donnée recherchée était le sexe de l’individu enterré. Et là, surprise : les résultats ne correspondaient ni à un mâle (chromosomes XY) ni à une femelle (chromosomes XX) !

Les chercheurs ont donc affiné leur modèle, fait de nouvelles analyses et concluent (à 99,96% de probabilité - c'est plutôt pas mal...) que l’individu enterré était doté d’un caryotype XXY.

Cette configuration est connue sous le nom de « syndrome de Klinefelter ». Il s’agit d’une anomalie chromosomique assez répandue (1 homme sur 576), qui se manifeste de manières très différentes

Parfois c’est invisible. Parfois, l’anomalie entraîne des transformations physiques : un tout petit pénis, des seins plus développés, une puberté tardive ou absente, une pilosité peu fournie, etc

Parmi les gens célèbres ayant souffert de ce syndrome, on peut citer le roi Charles II d’Espagne ou encore Lili Elbe (une artiste danoise, l’une des premières personnes à transitionner avec une opération chirurgicale)

Les chercheurs qui conduisent l’enquête rappellent avec prudence qu’on ne peut rien déduire à coup sûr de cette analyse ADN. Le sexe n’est pas le genre : la personne enterrée dans cette tombe a pu se définir comme homme, femme ou non-binaire, peu importe ses chromosomes

Néanmoins, c’est très intrigant de noter que cette personne, souffrant de cette anomalie en particulier, est enterrée avec des objets renvoyant à la fois aux univers féminin et masculin. Peut-être que ce mélange s’explique par une apparence physique différente.

Si cette personne a grandi comme un garçon, puis à la puberté a commencé à avoir des seins, pas de barbe, elle a dû être considérée comme inclassable : ni homme ni femme. Dans une société fortement genrée comme l’était la Finlande médiévale, cela a dû interroger.

Et c’est là qu’il est important de rappeler les objets luxueux avec lesquels il/elle est enterrée (fourrure teinte, lit de plumes, etc) : il s’agissait visiblement de quelqu’un de très respecté.

Ce qui entraîne deux hypothèses :
- Soit l’individu a été accepté en dépit de sa non-binarité parce qu’il appartenait déjà à une famille riche/noble
- Soit il a obtenu cette position sociale en raison de sa non-binarité
Impossible de trancher. Les deux hypothèses sont fécondes.

Bref, il est possible que cette personne (je cite et traduis la conclusion de l’article) « ait été acceptée et autorisée à exprimer son identité de genre librement, en en tirant peut-être même un statut relativement élevé dans sa société »

Pour conclure : ces analyses invitent à penser que même dans la Finlande médiévale, les identités genrées pouvaient être assez fluides, et que cela n’entraînait pas toujours un rejet social, au contraire… !

L’article, paru dans European Journal of Archeology en 2021, est accessible ici.
Il est signé par U. Moilanen, T. Kirkinen, N.J. Saarin, A. Rohrlach, J. Krausel, P. Onkamo et E. Salmela.
cambridge.org/core/journals/…

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