Moins que la description de la « Nuit » à proprement parler, je voudrais m’intéresser à sa signification historico-philosophique.
Au fond, deux historiographies s’affrontent.
La première célèbre la « Nuit » dans la perspective du « roman national ». Semblable à une grande bataille militaire, elle est présentée comme consacrant la victoire de la « coalition » Représentants du Tiers-Etat/peuple des campagnes contre l’ordre monarchique.
La seconde, plus récente, se veut davantage dubitative sinon moqueuse sur l’événement car la disparition effective des privilèges et sans rachat n’a eu lieu qu’en... 1793. Pour cette historiographie, le 4 août ne serait donc qu’un faux-semblant, une chimère.
J’aurais tendance pour ma part à considérer qu’il faut dépasser l’une et l’autre. La première parce que l’Histoire ne doit pas être un roman qu’on raconte pour se divertir mais aussi la seconde car elle ne prend pas en compte la charge symbolique du 4 août in situ.
Il importe de voir en effet comment la chose est vécue par les contemporains. Si on prend un acteur majeur de l’époque - Camille Desmoulins -, on peut voir par exemple comme il s’agit d’un événement porteur d’une véritable onde de choc en cet été 1789.
Dans son Discours de la Lanterne aux Parisiens, il écrit : « Hoec nox est... C’est cette nuit, devez-vous dire, bien mieux que de celle du samedi saint, que nous sommes sortis de la misérable servitude d’Egypte [...]
Ô nuit heureuse pour le négociant à qui la liberté de commerce est assurée ! [...] Heureuse enfin pour tous, puisque les barrières qui fermaient [...] les chemins des honneurs et des emplois, sont forcées et arrachées pour jamais
et qu’il n’existe plus entre les Français d’autres distinctions que celle des vertus et des talents. »
A partir de ces lignes, je défendrais
que le 4 août est un événement bel et bien crucial, moins pour sa valeur juridique que pour sa place dans le processus révolutionnaire.
La « Nuit du 4 août » porte en effet en son sein 3 facteurs essentiels de la dynamique révolutionnaire : 1/ la liberté, 2/ l’idée de table rase et 3/ le pouvoir de la Volonté
1. La liberté
La liberté est un des maîtres mots du « moment 1789 ». Elle est la force motrice de ces premiers mois aux côtés des idées de souveraineté nationale et d’un projet de Constitution.
Or, le 4 août répond à cet élan de liberté. Il installe le couple liberté/libération cher à Hannah Arendt. La souveraineté nationale devient « effective » car elle libère la Nation des chaînes de la monarchie d’Ancien Régime.
2. La Tabula rasa
La RF se caractérise par l’ambition de créer un monde nouveau. Pour cela il faut détruire l’ancien. C’est le principe de la « table rase ». Le 4 août participe pleinement à ce mouvement de destruction/recomposition.
L’historien marxiste G. Lefebvre l’avait bien noté en parlant du 4 août comme « l’acte de décès de l’Ancien régime ». Il y a en effet dans cette date une fragmentation de la trame historique, un point d’arrêt net vis-à-vis du continuum monarchique.
Le roi cesse d’être le créateur unique du droit et par là la monarchie perd sa fonction de force agissante de l’Histoire.
3. Le pouvoir de la Volonté
Le point saillant de l’événement révolutionnaire réside dans le pouvoir de la Volonté. Ici commence le combat entre la Volonté des Hommes et l’ordre des choses.
Abolir un ordre de plusieurs siècles (le complexum féodale), ce 4 août, c’est prendre conscience que l’Homme « peut ». Et s’il peut, il doit.
On peut dire par là que désormais la Révolution est entraînée par elle-même. Elle y trouve toute la force de son inertie.
Par ailleurs, tout le volontarisme jacobin-républicain-révolutionnaire puise son origine dans l’audace de ces dates (17, 20, 23 juin ; 14 juillet ; 4 août). Il y entrevoit la marche à suivre pour extirper les Hommes et les Femmes de l’ordre injuste des choses.
Comme le dira Saint-Just : « Osez : ce mot renferme toute la politique de notre révolution ».
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"Oblomov" est une figure en Russie aussi évocatrice qu'un "Faust" ou qu'un "Dom Juan".
Retour sur une oeuvre fondamentale de la littérature qui a fascinée aussi bien Pontalis que Levinas, et dont Dobrolioubov dans un article fameux en a fait une doctrine : "l'oblomovisme".
1. "Oblomov" (1859) est l'oeuvre majeure de l'écrivain russe Ivan Gontcharov (1812-1891). Il a été considéré comme un livre essentiel dès sa parution par ses contemporains parmi lesquels on trouve Tolstoï ou Dostoïeveski qui ont chacun fait part de leur admiration.
2. L'histoire du roman est bien connue: c'est l'histoire d'un homme qui ne veut pas quitter son divan.
Ce court résumé ne laisse pourtant pas imaginer la richesse de cet ouvrage en tt point extraordinaire. Car derrière cette apparente simplicité se cache un roman philosophique
On se demande toujours si cela vaut la peine de gaspiller du temps à critiquer les choix éditoriaux de Stéphane Bern ou la propagande contre-révolutionnaire d'un L. Deutsch, mais puisque beaucoup me demandent mon avis sur la série Netxflix "La Révolution", je vais en dire un mot.
1. En réalité, je ne devrais rien rajouter à ce qu'a dit @jcbuttier : c'est un navet.
Et comme pour tout navet, le seul commentaire à y ajouter devrait être d'encourager à passer son chemin et d'aller ouvrir un livre de Michelet, Quinet, Mathiez, Walter ou Soboul.
2. Mais il y a une chose qui peut et doit susciter plus que ce désintérêt. C'est l'effet délétère que peut produire cette série.
J'ai tendance en effet à considérer que toutes nos analyses doivent partir du réel, des conditions matérielles de vie, de l'ethos populaire
L’automne rôde à nos portes et le mois nouveau appelle à relire (ou lire) cette nouvelle souvent délaissée de Flaubert (« Novembre », 1842),
écrit de jeunesse qu’il a un peu renié et qui éclaire pourtant si bien toute son œuvre. #VendrediLecture#Thread#litterature
1. Il y a « plusieurs » Flaubert.
Le jeune Flaubert, le Flaubert de la maturité et le Flaubert au soir de sa vie.
Le dernier est réactionnaire en atteste ses commentaires sur la Commune,
Celui du milieu - le plus connu - a quelque chose d’un « anar’ de droite », détestant
2. les conventions bourgeoises sans chercher à y substituer une société nouvelle.
Il y a chez ce Flaubert une sorte de refus de ce Monde qui n’investit pas pour autant le souffle socialiste/marxiste de son temps que d’aucuns croient alors régénérateur.
Pour les amoureux d'Histoire des idées politiques, un petit thread sur un livre peu connu mais à l'influence pourtant majeure sur l'histoire révolutionnaire :
"Que faire" (1863), de Nikolaï Tchernychevski,
ce roman qui a bouleversé Dostoïevski, Lénine, Emma Goldman, Nabokov...
1. "Que faire ?" n'est pas un traité politique mais un roman à première vue assez inoffensif et dont on peine au commencement à comprendre pourquoi il a tenu une place si importante dans la littérature révolutionnaire.
2. Quelque part entre Goethe, Balzac et Dostoïevski, il narre les problématiques amoureuses & sociales de différents protagonistes (Vera Pavlovna, Lopoukhov, Kirsanov) dans un style un peu ampoulé et pas toujours simple à suivre (le problème de traduction est palpable).
Ici et là, on interroge sur ce que la politique peut et doit répondre à la situation de désolation que nous traversons. Nous ratons, je crois, une étape.
Nous intimons la politique pour masquer que nous avons en grande majorité abandonné son préalable fondateur : le politique.
Nous avons oublié les enseignements de la philosophie politique, nous avons oublié que nous sommes enfants d'une tragédie : nous sommes animal social, condamné à devoir vivre avec les autres.
La création de la Cité découle de cette fatalité, le nomos grec, le jus romain aussi.
La récente gestion de cette donnée par la démocratie est "un accident" comme le dit Moses Finley dans L'Invention de la politique. C'est à dire qu'elle est une nouveauté de l'Histoire, un bien précieux que nous sommes en train de perdre faute de ne plus "penser le commun".
La Nation est un mot qui pose question. Je le comprends car je ne l’ai pas reçu en héritage et j’appartiens à une génération pour laquelle il est un mot chargé négativement. Je sais bien ce qu’il charrie.
J’ai toutefois décidé de le questionner pour @RevueGerminal
Explications.
1. J’essaie de comprendre d’abord pourquoi ce mot est tant rejeté.
J’y vois 2 raisons principales. D’une part, il est lesté des horreurs du XXe s : les 2 guerres mondiales, le colonialisme, le fascisme, la Shoah. Il est perçu comme le premier domino qui entraîne les autres dans
une réaction en chaîne funeste. Il faudrait dc veiller à ne jamais le remettre debout
D’autre part, l’extrême-drte, qui traditionnellement mobilisait plutôt la monarchie & le catholicisme, use désormais du vocable depuis que la gauche l’a abandonné, créant ainsi un cercle vicieux