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Chapitre 7 thread sur les derniers jours de l’Ancien Régime :
30 tweets pour comprendre comment les états généraux ont fermenté, devenant un surréaliste sketch, pour aboutir plus tard sur la Révolution.
Comme d’habitude, voici les liens pour s’y retrouver :
Le chapitre 1 a commencé ici —>
Et le chapitre précédent (6) est ici —>
Pour bien montrer aux députés qu’il les laisse libres, le roi ne s’occupe pas de définir les règles de vérification des pouvoirs.
Pour ceux qui l’ont loupé, la vérification des pouvoirs consiste à s’assurer que chaque député a bien été élu légalement, selon la procédure.
Le 6 mai, le clergé et la noblesse se réunissent dans leurs locaux respectifs. Le tiers n’en a pas : comme il a deux fois plus de députés que les autres, on lui a attribué l’Hôtel des menus plaisirs, et plus exactement la salle principale des états généraux.
Cette économie d’État, qui consiste à « rentabiliser » les gros travaux des Menus plaisirs en y casant le tiers, a probablement coûté a posteriori « des milliards à la France », selon le Marquis de la Maisonfort (un noble conservateur qui fut plus tard général, et écrivain).
En effet, les Menus plaisirs ont une salle splendide (celle du 5 mai), le coeur des EG, où le public peut venir : « les deux ordres se retirèrent dans leurs chambres, le troisième resta sur le champ de bataille, et par cela même, la bataille fut gagnée » (La Maisonfort).
Le pouvoir a donc laissé le tiers occuper la place centrale de l’échiquier… pour économiser l’aménagement d’une salle propre à l’ordre en question. Cette occupation du coeur des EG (salle des délibérations communes) renforce chez le tiers l’idée de représentation de la Nation.
Et cette idée ne tarde pas à porter ses premiers fruits : le jour même, le Tiers se proclame « assemblée des communes », référence à la House of Commons britannique (= leur parlement), façon d’affirmer qu’en effet, ils représentent la Nation.
Le Tiers continue sa provoc habituelle, en appelant les députés du clergé « Messieurs », au lieu de « Messeigneurs », comme s’ils n’étaient que des citoyens parmi d’autres, et pas des prêtres. Le clergé, qui veut être le médiateur angélique, ne bronche pas.
La question préoccupant tous les Etats généraux consiste désormais à savoir comment vérifier les pouvoirs : doit-on le faire en commun ? Par ordre ?
Contrairement aux EG de 1614, aucune règle n’a été fixée, et les députés doivent choisir eux-mêmes le procédé.
Le clergé (de peu), décide de vérifier ses pouvoirs lui-même, et non en commun.
La noblesse décide, malgré l'écart considérable de son vote, d’ajourner la discussion en attendant l'arrivée des députés de Paris, toujours pas élus, attendus pour le 10 mai...
Le 8 mai, un député du tiers meurt. Les funérailles, réunissant des ordres devenus tous semblables, en noir et en silence, à la lueur des torches, donnent des élans d’humilité à certains, décidés à oublier leurs querelles, et à travailler ensemble. L’effet fut de courte durée.
Le 11 mai, messe de Requiem pour Louis XV, grand-père du roi : celui-ci demande 12 députés des deux ordres majeurs, et 24 du tiers, pour un service cérémonial. Le tiers n’apprécie pas cette distinction entre les ordres et décide d’envoyer un nombre hasardeux de députés…
Tant que les pouvoirs ne sont pas vérifiés, les états généraux ne peuvent pas réellement commencer : pour prendre des décisions, il faut être sûr que chacun est bien à sa place, bien élu comme il faut.
La noblesse confirme son rejet de la vérification des pouvoirs en commun.
Un espoir naît toutefois : le clergé propose la constitution de groupes de 8 médiateurs issus de chaque ordre pour discuter ensemble sur la façon de vérifier ces (fichus) pouvoirs. La noblesse est d’accord, mais pèche par orgueil :
Venu annoncer tout cela au tiers, un duc, député de la noblesse, indique en revanche que quelle que soit la façon de vérifier les pouvoirs, les nobles le feront « seuls ». La façon hautaine de prononcer ce dernier mot remonte les députés du tiers comme des cocottes-minutes.
On se demande ce qu’en pense le roi, à qui celui-ci donnera raison. « Si c’est pour le tiers, la noblesse est anéantie. Si c’est pour la noblesse, le tiers ne se rendra en Bretagne, en Provence, en Comté, en Dauphiné, etc. qu’après avoir versé des flots de sang » (Duquesnoy). 😳
Le silence du souverain encourage un député du tiers : « Si on reste assemblé,(…) le tiers va déclarer qu’il est la nation, que les autres ordres ne sont que des exceptions. Cet événement (…) ne manquera pas d’arriver, grâce à la hauteur et à la précipitation de la noblesse ».
Les débats des jours suivants s'animent. Un député du tiers (breton….....) ose même : « Une nation peut exister sans classe privilégiée. Quand Louis XIV a chassé les protestants, la nation n’a pas cessé d’exister. Il y avait plus de protestants qu’il n’y a de privilégiés »...
Le tiers s’excite jour après jour contre la noblesse, et contre la neutralité du clergé. « Qu’attendez-vous de la noblesse ? Rien. Qu’attendez-vous du clergé ? Rien. » La tension monte. Les bretons (tiens !) du tiers veulent rejeter l’idée des médiateurs proposée par le clergé.
Mirabeau, moins dingue que les Bretons, parvient à calmer le jeu par son premier grand discours.
Le tiers vote donc largement la validation de l’idée des médiateurs de chaque ordre, devant trouver un procédé de vérification des pouvoirs.
Le Chapelier, pourtant opposé à ce projet, intègre le groupe de travail envoyé par le tiers.
Duquesnoy décrit certains des membres de la délégation en ces termes : « assez dangereux », « fou très violent » (pour Le Chapelier), « décidé à tout », ou encore « Breton excessif ».
Le clergé, voulant montrer son attitude conciliatrice, vote l’abolition de son privilège fiscal, un prérequis aux débats demandé par le tiers et le roi.
Le lendemain du vote, le haut clergé essaie de relancer le débat et de retourner l’opinion de l’ordre sur le sujet, en vain.
Le pouvoir, qui pourrait facilement faire travailler les délégations de 8 députés des trois ordres, non seulement se tait, mais trouve cet exercice de démocratie-fiasco assez amusant : « La Cour, les grands, les ministres voient avec une joie secrète les discussions »(Ferrières).
Le 23 mai, les délégations de chaque ordre parviennent enfin à se réunir, bien sûr en terrain neutre, pour ne vexer personne. Les discours introductifs de chaque ordre laisse (un peu) espérer : chacun rappelle qu’il est présent pour concourir à une saine et productive entente.
Mais patatras : Lorsqu’un député du tiers dit que les EG sont réunis pour « créer » quelque chose de nouveau, un noble lui rétorque : « Parce qu’il pouvait se trouver un mur lézardé dans un vaste et bel édifice, ce n’était pas suffisant pour le culbuter de fond en comble ».
La délégation du tiers s’emballe :
« La noblesse cause la corruption de la nation parce qu’elle décourage la vertu et les talents, elle étouffe l’émulation, elle corrompt la justice, elle dispose des places et des grâces et en fait faire ces distributions indignes ! »
L’enjeu de la conférence : savoir si les pouvoirs seront vérifiés par ordre (séparément) ou en commun.
La noblesse rejette le fait que le tiers puisse vérifier ses pouvoirs (ce serait une humiliation), en rappelant qu’en 1614, les pouvoirs furent vérifiés séparément.
À l’issue de la cette joute verbale, le tiers a anéanti l’argument historique de la noblesse sur 1614 en rappelant qu’aux EG de 1483, les pouvoirs ont été vérifiés en commun.
Les jours suivants, la lutte (et le blocage) se poursuit : la noblesse ne lâche pas le morceau.
Pendant ce temps, le clergé se déchire entre haut et bas clergé. Le neveu du cardinal de La Rochefoucauld, l’abbé de Panat, essaie d’interrompre un curé en pleine argumentation ; ce dernier lance : « Taisez-vous ! » ; tous les hauts clercs réclament alors le renvoi de l’insolent.
Sur ces entrefaites, la noblesse débarque, notifie le clergé qu’elle refuse la vérification en commun ; le clergé se laisse tenter ; le tiers apprenant cela, essaie de ramener le clergé de son côté en arrivant à son tour avec une petite délégation de 100 députés.
L’ordre religieux hésite, et se prend désormais le chou non pas pour trancher, mais pour savoir à quelle date trancher. Les deux camps du clergé se déchirent pendant des heures, pendant que se succèdent ragots, huées, et révélations de députés espions : le sketch bat son plein.
Le tiers vient aux nouvelles à 15 heures, le clergé botte en touche, mais les députés du tiers disent pouvoir attendre jusqu’à 2h du matin s’il le faut. 16h30, après de nouveaux discours, huées et tergiversations, les clercs concluent leur journée sans avoir pris de décision.
Le clergé est à deux doigts de la scission, le pouvoir s’inquiète (enfin !). Tout le monde a finalement reculé d’une case : plus personne veut entendre parler de conférences de conciliation…
Comme vous pouvez le constater, les traits principaux des EG se dessinent : les députés ne se déchirent même pas sur ce qu’il faut faire du pays, mais sur la façon de vérifier les pouvoirs, ce préalable qui aurait dû être fait bien auparavant !..
Fin de ce 7e chapitre ! La situation est verrouillée, les ordres se crispent, et le clergé est au bord de la scission...
Nous parlerons la prochaine fois du moteur de cet enchaînement explosif, le tiers état, qui fait tourner une réunion fiscale en crise politique majeure.
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