Thread by @SouchonPhilipp1

Suite de notre thread sur la chute de la monarchie, avec ce chapitre 8 consacré au tiers état !
30 tweets pour comprendre comment les députés du tiers sont le casting idéal - et explosif - pour que les états généraux tournent vinaigre.

Pour ceux qui arrivent, voici le chapitre 1 du thread :

https://twitter.com/souchonphilipp1/status/1163113434441031681?s=21

Le chapitre précédent, sur le blocage total des états généraux, est ici :

https://twitter.com/souchonphilipp1/status/1174684213255315456?s=21

En un mois, les EG de 1789 sont devenus une scène pour la nouvelle star Mirabeau, et le petit nouveau Robespierre, théâtre où les divisions, les diatribes, les rumeurs, et même l’espionnage laissent présager le pire.

Malgré la cacophonie des EG, un ensemble reste cohérent : le Club des Bretons, qui se réunissait déjà avant les EG à Versailles pour prévoir les sujets à aborder aux EG, et qui continue ses entrevues régulièrement pour organiser l’insertion de leurs idées dans le débat.

Inutile de rentrer dans le détail, mais les Bretons, futur club des Jacobins, discutent avec de nombreux francs-maçons des sujets les plus révolutionnaires : égalité fiscale, liberté de la presse, doit de légiférer pour des élus, abolition de la féodalité, pouvoir constituant.

Vous l’avez lu récemment, ou vous le saviez déjà : il n’y a qu’un paysan parmi les députés du tiers. Or, comme le laissait entendre le titre de mon chapitre 1, la bonne moitié de l’ordre est en réalité composée d’avocats, qui aiment naturellement prendre la parole en public...

Les débats du tiers tournent donc au concours d’éloquence : les EG sont une occasion unique dans une vie d'avocat anonyme.
Mirabeau, snobé par ses propres collègues à cause de sa réputation de coureur le 5 mai, brille à l’oral et devient « l'orateur du peuple » à la fin du mois.

Tout le monde n’a pas le talent de ce petit jeu, mais tout le monde croit l’avoir. Duquesnoy appelle les députés du tiers des « mâchoires », il les sens mus par leur intérêt personnel : « les gens qui parlent ne le font que dans l’espérance d’établir leur réputation ».

Qu’importe les opinions pour beaucoup, ce qui compte, c’est de se montrer. Target, député du tiers, symbolise parfaitement ce phénomène : « Son amour-propre se replie de mille manières, il change d’avis à tout moment, il veut jouer un rôle » (Duquesnoy).

Dès le 9 mai, le député Devisme en est déjà au « devinez sa filière » chaque fois qu’un orateur prend fièrement la parole ⤵️

Vous aurez constaté qu’au bout de cinq jours, les vexations de certains députés du tiers (Bretons, sans blague) sont déjà considérées comme franchement exagérées par un de leur propres collègues. 😬

Pour revenir à nos avocats en manque de reconnaissance, Devisme les voit défiler, et la plupart du temps, disparaître de l’opinion générale aussi vite qu’ils étaient apparu à la tribune : « Ils semblent des papillons qui viennent se brûler à la chandelle ».

En revanche, Devisme donne pour exemple de député sans avenir… le « jeune Robespierre ». Pas visionnaire là-dessus, mais on peut le comprendre :

Vous noterez au passage le « parturient montes etc. », qui sous-entend « les montagnes accouchent de souris », à la façon dont on dirait aujourd’hui : « l’hôpital, la charité, toussa ».

L’espoir de tirer qlq chose de ces débats s’amenuise : « Nos EG ne font rien. Nous nous assemblons tous les jours à 9h. Il est 4h et demie quand nous sortons. Tout le temps passe en bavardages inutiles, à crier, à ne point s’entendre. Chacun veut briller et faire des phrases ».

Les séances devenant des purges, l’absentéisme grandit.
Le 23 mai, les députés du tiers rejettent massivement le projet de publication régulière de leurs débats, pensant - à raison, sans doute - que cela répandrait une image négative de leur (non) action et des états généraux...

Le 6 mai, on s’accorde (!) sur la façon de voter les décisions de l’ordre : cela se fera individuellement, par appel. Ainsi, le vendredi 8 mai, la lettre C n’est abordée qu’à 14h, après 6h d’une séance consacrée à délibérer sur la manière de délibérer.

Eh oui, pour savoir comment vérifier les pouvoirs, il faut se mettre d’accord sur une procédure de vérification et procéder à un vote, mais d’abord, il faut se mettre d’accord sur la procédure à suivre pour voter 🤪

Le 18 mai, des députés du tiers s’inquiètent de l’immobilisme des EG, à cause de leurs loyers versaillais à payer, sans date de fin prévue… Ils demandent donc au gouvernement du roi un coup de pouce financier. 1/2

2/2 Le gouvernement leur répond que leur demande est reçue favorablement, à condition… qu’on augmente les impôts pour financer le coup de pouce. Dans ce contexte où la populace place ses espoirs d’allègements fiscaux dans le tiers, le troll est littéralement royal. 👑

Les avocats bavards continuent de sévir : « L’assemblée est composée d’une foule de gens de robe qui, ayant joui d’une petite réputation dans le petit barreau de leurs petites villes, ont cru qu’ils allaient jouer un rôle considérable et se faire remarquer » (Dusquenoy).

Le tumulte verbal et la longueur des discussions empirent : « Il résulte que 630 personnes parlant, ayant des avis différents, on ne sait pas à quelle idée s’arrêter.(...) Quand la discussion est finie et qu’il s’agit d’aller aux voix, on ne sait plus sur quoi on aura à opiner ».

Chaque jour, une foule vient réagir aux discours du tiers, puisque celui-ci se réunit dans la salle principale, capable d’accueillir un public.
Dans ce public, se trouvent de nombreuses femmes, ce qui dérange certains.

Dusquenoy explique : « Les vestibules sont remplis, et des femmes, jeunes, très belles, faites pour d’autres plaisirs, animent par leur discours et leurs regards le patriotisme de ceux qui pourraient avoir besoin d’être excités par autre chose que par l’importance de l’objet ».

La présence du public donne au tiers l’impression que le peuple est à ses côtés, que l’ordre peut presque s’adresser à lui directement, et entendre ses demandes ; cela donne évidemment des idées à certains, se rêvant déjà en assemblée représentative et législative.

Le pouvoir saisit la revue de Mirabeau, qui faisait publier des comptes-rendus des discussions jugés injurieux.
Il s’y plaignait dans la revue des distinctions protocolaires faites entre les ordres le jour de l’ouverture des EG, incendiait Necker, l’évêque de Nancy, etc.

Notons que ces plaintes envers les distinctions protocolaires étaient, nous l’avons vu, d’une susceptibilité hallucinante et probablement surjouée, à des fins conflictuelles sans doute (cf Chapitre 5 du thread —>

https://twitter.com/souchonphilipp1/status/1168920978577133568?s=

Cette politique gouvernementale de censure se révèle inefficace : Versailles est littéralement inondée de revues, caricatures et pamphlets en tous genres, favorables aux idées révolutionnaires.
On s’en procure même à la Cour (comme sous Louis XV !) :

Le roi jouit encore d’une bonne image auprès de la « populace ». Cependant, ce tsunami subversif d’images et de moqueries anonymes commence à écorner son image :

Le pouvoir essaie de calmer les aspirations des excités par une opération séduction du tiers qu’un Machiavel, ou même un Louis XIV auraient sans doute jugé sévèrement, tant ce petit jeu semble insuffisant face à la détermination de certains (z’avez compris).

Nous verrons donc cette opération séduction dans le prochain chapitre de ce (gros) thread, qui se penchera sur l’onde de choc des états généraux à la Cour, Cour dans laquelle les députés du tiers commenceront à mettre les pieds... Le loup, la bergerie, toussa.

Fin, donc, de ce chapitre 8 !
Le prochain s’intitule « Comment le tiers a tué le respect ». Hâte de vous montrer.