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Chapitre V de notre thread sur les états généraux !
La cérémonie d’ouverture des EG, un surréaliste concentré de XVIIIe siècle français : vexations, invectives, jalousies, insultes en prose poétique, en deux mots, des Gaulois à talons et perruques.
Ce qui suit montre un tiers état vexé et outré de n’importe quel détail de la cérémonie, à un point si étonnant qu’on finit par se demander si certains députés ne sont pas là pour rendre volontairement les ordres inconciliables. D’où viennent-ils ? Je vous laisse deviner.
Une procession des ordres et de la famille royale est prévue le matin du 2 mai entre Notre-Dame et Saint Louis (à Versailles, bien sûr). Seulement, les préparatifs prennent du retard, et la cérémonie est repoussée au 4. Malheureusement, tout le monde n’est pas mis au courant...😬
Cela fait les choux gras d’indignation d’un journal hostile à la couronne : des députés s’amènent en effet tout apprêtés le 2, à l’aube, et ne trouvent personne.
Parlant du même jour, un autre journal préfère s’enthousiasmer sur les « Vive le roi ! » à la sortie de la messe le matin, si nourris que le chant de sortie a été interrompu.
Les premières jalousies concernent l’habillement que doivent porter les députés. Une toque de velours noir est prévue pour le tiers, qui la juge ridicule et dégradante.
Un chapeau bien plus courant remplace finalement la toque ; malgré cela, le tiers se sent toujours humilié d’avoir une tenue bien moins élégante que la noblesse (mais bien moins coûteuse —> 1300 livres pour le baron de Gauville).
Chaque ordre rend visite au roi le 2 mai : « un troupeau d’humbles moutons défile à la hâte sous les yeux d’un pasteur bienfaisant, forcé de précipiter sa course sous les aboiements des chiens de bergers qui les pressent, les entourent et les épouvantent » (Delandine).
Les jérémiades continuent : le tiers se plaint qu’on ait ouvert qu’un seul battant de la porte du roi au lieu de deux pour les autres ordres, et que le souverain ait bavardé avec ses frères pendant le défilé des députés.
J-1. Tout au long de la procession des ordres, 302 grandes tapisseries et tapis ont été tendus.
40 000 personnes viennent admirer le défilé ; certains sont prêts à payer 60 livres (= plus de 600 euros actuels) la location d’une chambre avec vue sur le parcours.
JOUR J ! 6h30/7h : On installe dans l’église d’où partira la procession la plupart des députés.
Ceux du tiers pestent qu’on les ait assis dans l’ordre des bailliages et des sénéchaussées, eux qui pensent relever non d’un bailliage, mais de la nation.
Les carrosses de la famille royale, éblouissants, partent pour l’église de départ à 9h. Les « vive le roi ! » lancés au passage du roi laissent ce dernier tout de même chagrin : pas un seul « vive la reine ! ». L’Affaire du collier est encore dans tous les esprits.
Il faut dire que quelques mois auparavant, l’arnaqueuse qui monta cette fameuse affaire, Jeanne de Valois-St-Rémy (exilée en Angleterre), a publié un livre dans lequel elle maintient sa version, faisant porter le chapeau du scandale à la reine.
Marie-Antoinette partage sa voiture avec, entre autres, Madame Adélaïde, une tante du roi. Cette dernière ne peut pas voir la reine en peinture : pas assez française, réputée dépensière, pas assez conservatrice.
À leur descente de carrosse, le couple royal reçoit très distinctement des traitements différents. La reine est ulcérée : « Ces indignes Français ! » dit-elle. Madame Adélaïde lui assène : « Dites indignés, Madame ». #Ambiance
L’ordre de procession entre les deux églises versaillaises suit une logique de degrés de dignité, avec les personnages les plus importants en dernier :
- Tiers état en tête,
- puis noblesse,
- clergé,
- et enfin famille royale (précédée de la musique du roi).
10h30, le cortège démarre enfin.
1er problème : les clercs veulent marcher par ordre de bailliage, et prennent donc du retard sur le tiers et la noblesse, déjà #EnMarche. Un vide est donc créé fortuitement entre d’un côté, tiers et noblesse, et de l’autre, clergé et souverains.
Ainsi, le clergé et le roi sont séparés du tiers et de la noblesse pendant quelques instants. Cet écart malheureux et vite corrigé vexe une partie du public, qui prend cela pour une provocation. Moi lisant cela dans le livre :
Petite parenthèse : contrairement à une idée reçue, le dauphin ne regarde pas la scène depuis une fenêtre de la Grande écurie : il demeure alité à Meudon, dans un état toujours aussi inquiétant.
Madame de Staël, fille de Necker (qui s’illustra littérairement plus tard, il s’agit bien de LA Mme de Staël) se réjouit : « je me livrais à la plus vive espérance en voyant (...) les représentants de la nation ».
Madame de Montmorin, plus prophétique, jette un froid : « Vous avez tord de vous réjouir, il arrivera de ceci de grands désastres à la France et à nous ». Mme de Staël :
Tout le défilé prend place dans l’église Saint Louis. Le tiers entre en premier, on lui demande de laisser les trois premiers rangs vides pour la noblesse.
Les élus s’exécutent, mais on leur demande finalement de reculer davantage ...1/2
2/2... « Les députés placés et assis, incertains jusqu’alors du lieu qui leur était attribué, se sont décidés à garder celui qu’ils occupaient ».
Le roi attend que ça se remue, pendant une demi-heure, dehors.
Un député breton proteste, mécontent que le clergé et la noblesse s’installent aux premiers rangs plutôt que de prendre les côtés. Le grand maître des cérémonies lui répond « c’est l’ordre de 1614 » (référence aux derniers états généraux tenus dans le royaume) ;
Le député, rompu - on l’a vu - aux techniques d’agitation réthorique, s’exclame : « Monsieur, nous ne sommes plus en 1614, il y a bien loin de nous aux gens de ce temps-là ! ». Il finit par céder en maugréant encore.
Le marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies, parvient enfin à faire reculer le tiers, sauf un député qui fait de la résistance. Resté seul au milieu de bancs vides, il finit par rejoindre les siens.
L’évêque de Nancy se charge du sermon de la messe, et en fait un discours politique.
Étonnant pour l’image qu’on se fait de la spiritualité de l’époque : les uns et les autres applaudissent les passages qui leurs plaisent.
Le prêcheur jette de l’huile sur le feu des vexations du tiers, en demandant en conclusion à Dieu de recevoir « les prières du clergé, les vœux de la noblesse, et les *très humbles supplications du tiers état* ». Murmure agacé dans les bancs du tiers...
Des députés du tiers s’étonnent à la sortie que l’évêque ait fait l’éloge de Saint Louis, ce roi qui n’a jamais réuni les états généraux, et pas de Philippe le Bel, qui « appela les communes aux délibérations nationales » ; Philippe le Bel, héros de la démocratie
À la sortie de la messe, les « vive le roi ! » se multiplient, les « vive la reine ! » demeurent toujours rares et étouffés.
16h : La journée est terminée ; elle a coûté 21 000 livres à l’Etat 💸💸💸
Fin de ce 5e fil !
Cette journée du 4 mai fut assez symbolique de la zizanie à venir.
Plutôt qu’une grande réunion de travail, les états généraux furent l’arène des forces politiques majeures du pays.
Nous verrons l’entame de ce combat mortel avec le prochain fil !
*sa, mille pardons
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