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Le Makhzen est-il cet Etat-magasin qui stocke nourritures et vivres pour les redistribuer aux pauvres en temps d’épidémies et de famines ?
La réponse est : pas tout à fait…

Complément d’histoire :
A l’origine, le terme Makhzen désigne dans le domaine d’influence abbasside (750-1258) à partir des 9e/10e siècle un local où est entreposée toute sorte de choses précieuses appartenant au calife (donc pas vraiment des graines pour les démunis).
Progressivement, la notion évolue pour se substituer à celle de bayt al-mâl (l’institution qui collecte les impôts), elle est reprise par plusieurs entités autonomes dont celles qui émergent au Maroc.
Sous les Almohades (1130-1269), le terme Makhzen fait pour la première son apparition dans le corpus local pour clairement désigner à la fois le trésor califal et celui des principales provinces de l’empire.
La signification du terme n’évolue que très peu sous les Mérinides (1269-1465) et les Wattassides (1470-1553).
Ce n’est qu’au 16e siècle que le concept de Makhzen connaît un changement paradigmatique.
Pour faire face à différents défis, notamment les convoitises ibériques et ottomanes, les souverains zaydanides (saadiens de l’histoire officielle, 1510-1659) et particulièrement Ahmad al-Mansour, veulent mettre en place un système de légitimation cohérent,
une administration efficace et une politique étrangère dynamique. Autrement dit, la création d’un outil de domination fort avec des revenus stables.
C’est dans ce contexte de volonté monopoliste et centralisatrice, notamment dans le domaine financier, que le terme Makhzen connaît un glissement de sens.
De trésor, il désigne désormais, par effet métonymique, le pouvoir central dans son intégralité (et non l’Etat, concept moderne né en Europe).
Historiquement donc, il n’y a pas de lien de causalité direct à faire entre l’émergence du Makhzen et une quelconque épidémie ou famine ; ce serait même plutôt l’inverse, le lien est à établir entre épidémies et famines et effondrement du Makhzen.
D’ailleurs entre le 16e et le 20e siècle, les dépositaires successifs du Makhzen n’ont pas tiré la leçon des nombreuses épidémies et famines qui ont frappé pourtant durement le Maroc, en emportant parfois jusqu’à 50% de sa population :
ils n’ont pas créé de système de prévention et de redistribution plus ou moins efficace.
Il y a certes eu quelques souverains qui ont « mis la main au grenier » (grenier = Hri, pl. ahra’ sous les Zayadanides et les Alaouites) durant ou au lendemain de ces grandes calamités en distribuant des vivres, des dons, en accordant des crédits,
en luttant contre les monopoles, et en dispensant d’impôt leurs sujets. Mais on peut compter ces actes charitables sur les doigts des deux mains.
En revanche, l’indifférence et l’opportunisme ont le + souvent caractérisé l’action du Makhzen à l’égard de ses sujets, dans une logique patrimoniale. Pour rappel, le patrimonialisme résulte d’une confusion entre le public et le privé et de l’interpénétration entre le politique,
l’économique et le social. Il engendre des phénomènes comme l’arbitraire, la prédation, le clientélisme et la corruption. Une partie de la population abusée profite de toute occasion pour se soustraire à cette emprise, d’où le concept bien connu de Siba, la dissidence.
Au début du 20e siècle, pour conquérir les territoires marocains à moindre coût, les autorités françaises décident de maintenir les structures traditionnelles locales. Mais pour plus d’efficacité, elles mettent en place des structures de pouvoir modernes.
Ainsi, l’outil de domination au Maroc se compose entre 1912 et 1956 de deux strates distinctes : le Makhzen et l’Etat.
Ce régime autoritaire hybride, toujours d’actualité, réussit à contrôler la plus grande partie du territoire marocain et à unifier les procédures et les lois de manière inédite malgré les résistances locales.
Après l’indépendance, le vocable Makhzen devient polysémique. Il est parfois employé comme synonyme de gouvernement, de pouvoir central, de forces de l’ordre ou même d’État.
D’autres fois, il fait référence à la coalition dirigeante qui s’accapare pouvoir et richesse en dehors des cadres institutionnels. Ce type de système est qualifié de néo-patrimonial.
La situation de crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui et la communion nationale qui semble en découler aujourd’hui ne doivent en aucun cas faire oublier la nature réelle du système politique marocain.
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