My Authors
Read all threads
[Thread Final Fantasy VI]
Je profite de l’interview que j’ai donné à @RadioClassique dans le cadre de @RVClassique pour vous parler la musique de #FinalFantasyVI, qui fête ses 26 ans aujourd'hui !
#FinalFantasy #FFVI #VGM #NobuoUematsu #SNES #RPG #JRPG
radioclassique.fr/magazine/artic…
Tout ce qui suit provient de L’Histoire de Final Fantasy VI que j'ai écrit pour @Pixnlove en 2017, préfacé par A. Ueda @A8quattro, illustré par K. Arai @Akaiie. Petit clin d’œil à @DenysFR pour son aide estimable à l’époque et à ma "script doctor" sur ce thread, @Cactuceratops !
À l'époque, le ton de la saga change. Nobuo Uematsu, compositeur, l’explique à propos de son travail sur FFVII, dont l’identité vient en réalité tout droit de FFVI – sur de nombreux points, les deux titres sont en effet étonnamment similaires.
Ce changement de formule se ressent alors dans le scénario ainsi que dans l’esthétique, graphique comme musicale, de ce sixième opus. Les contraintes sont souvent mères de créativité, mais le bond technologique de la NES à la SNES permet quelques souplesses.
La musique, comme le reste, prend de la place mémoire. La capacité de la cartouche SNES passe de 2 à 48 Mbits au cours de son évolution. FFIV tient sur 8 Mbits, FFV sur 16 Mbits, et FFVI culmine à 24 Mbits. En comparaison, Chrono Trigger et Bahamut Lagoon tiennent sur 32 Mbits.
Oui, FFVI tient bien sur environ 3Mo, quand FFVII s’étend sur trois disques de plus de 80Mo chacun (principalement pour les besoins des scènes en images de synthèse). Difficile d’imaginer faire tenir un jeu pareil en si peu de place. Et la musique, dans tout ça ?
La musique, elle, n’est pas enregistrée directement. En fait, elle n’existe pas « réellement » : sur la cartouche, vous y trouvez principalement des informations, qui sont « converties » par la puce sonore de la console. Le tout est généré par le processeur.
Cela veut dire que le son n’est pas *dans* la cartouche, il est directement créé, « généré » en live par le processeur de la console, et transmis aux enceintes du système. Toutes les SNES étant configurées pareil, cela ne posait pas de problèmes (contrairement au support PC).
Cela vous parait peut-être évident. Mais j’ai parfois lu des personnes s’étonnant qu’une OST comme FFVI tient sur 3 CD alors que le jeu n’occupe que 24 Mbits. Tout simplement car sur CD, la musique est enregistrée, ce n’est plus une « simple » information.
Par « information », nous parlons d’une commande textuelle (un code), qui indique comment deux éléments du système doivent « collaborer » ; au bout du protocole d’échange, la musique se génère électriquement via un convertisseur audio.
Un CD contient aussi des informations mais figées, il s’agit des sons enregistrés déjà convertis en signaux électriques que le lecteur n’a plus qu’à restituer. Une heure de musique de FFVI prendra autant de place qu’une heure de symphonie de Mahler. En plus digeste, certes.
Soyons honnête : l’augmentation de la capacité de la cartouche d’un jeu à l’autre ne change pas la façon de composer d’Uematsu sur SNES, console n’évoluant pas ou peu depuis sa sortie. On préfère alors plutôt faire évoluer les graphismes et les effets visuels.
Le système sonore SNES est à ce titre un bijou de technologie, conçu par Sony et son ingénieur phare, un certain Ken Kutaragi. Ce véritable génie devient, quelques années plus tard, le concepteur de la PlayStation et président de Sony Computer Entertainment.
Ce système est baptisé S-SMP (Sony Sound & Music Processor) et a la particularité d’être presque indépendant du CPU, le processeur central de la console. Le système est donc à la fois puissant et d’une efficacité redoutable.
Ce système inclut quatre éléments principaux : le processeur sonore central dédié (CPU) modèle SPC700, couplé au processeur de signal numérique (DSP), le tout cadencé avec une RAM (mémoire vive) dédiée et enfin le convertisseur audio.
Concrètement, avoir un système indépendant le rend plus puissant. Le son et la musique des jeux SNES sont donc distribués sur 8 voix différentes, contre 10 pour la Mega Drive de SEGA ; mais la quantité importe peu, la qualité du système sonore de la SNES est bien plus élevée.
Ainsi, les données sonores du jeu sont chargées en mémoire dans le système son, indépendamment du reste. Le jeu reste cadencé par le CPU de la console, qui communique avec le S-SMP uniquement pour les besoins en son et musique.
Comme sur NES, la génération de bruit blanc (la pluie, le vent, les vagues…) est possible et développée, et la capacité supérieure de la cartouche alliée au S-SMP permet l’utilisation de samples (échantillons) de façon bien plus efficace qu’avant… on y revient vite.
Uematsu l’affirme lui-même, cette révolution technique est notable, et elle s’inscrit par ailleurs dans un contexte où la création des jeux étaient encore à taille humaine :
En effet, les créateurs ont plus de possibilités techniques et en profitent expressément pour amener plus de profondeur à la narration. La musique doit s'adapter : pour la 1ère fois, nous avons des morceaux TRÈS longs dans un FF, ce qui n’avait été qu’esquissé dans le IV et le V.
Et par longueur, nous ne parlons pas moins de construction que de durée : c’est dans la structure des morceaux, parfois très complexe, que l'émancipation de FFVI se fait ressentir. Il souligne aussi la façon qu’a Uematsu de rendre hommage à l’un de ses genres de prédilection.
Ce genre qu’il apprécie tant, qui se retrouve dans l’esprit de Dancing Mad (presque 18 minutes sur l’OST), c’est le rock progressif. Je vous renvoie au podcast que nous avons réalisé avec @ThirdEditions et @WayoRecords pour en savoir plus à ce sujet : soundcloud.com/thirdeditions/…
Mieux que narratif, Dancing Mad suit l’évolution du gameplay. On n’est certes pas dans l’ingénieuse interaction de la musique de Mario (même si cela sonne aujourd’hui comme un lieu commun), mais la prouesse reste considérable pour le jeu vidéo.
open.spotify.com/track/6spcQoZf…
Il ne s’agit alors pas de juste battre un boss sur fond de musique super cool ; la narration (les métamorphoses de Kefka comme figure divine et diabolique), le gameplay (l’évolution du combat) et la musique ne font plus qu’un. Il y a clairement un avant/après Dancing Mad.
La construction de Dancing Mad, et par conséquent sa durée, en fait de lui un représentant assez éloquent du genre rock progressif.
Ce qui est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre d’Uematsu, au moins au même titre que Dancing Mad mais avec un renvoi direct à la musique « classique », c’est bien la scène de l’opéra qui est au cœur de l’interview de @RadioClassique.
En quatre mouvements, ce qui rappelle la forme classique des symphonies, l’opéra de Final Fantasy VI met en scène un stratagème des héros pour faire capturer Tina par Setzer, qui la confond avec la cantatrice dont il est amoureux, Maria. Leur but est d’utiliser son aéronef.
À ce titre, l’opéra composé par Uematsu reprend cette dimension romantique de l’intrigue, avec ses coups d’éclat, ses rebondissements, ses méchants hauts en couleur et des héros shakespeariens. La musique de ce tableau est un condensé de toutes ses notions.
L’ouverture (« 序曲 / Jokyoku ») dévoile une orchestration et une structure très étudiées. S’enchaînent trois mouvements évocateurs. Tout d’abord l’Aria, pièce pour vocaliste solo, comme à l’opéra : ici, c’est Tina sous les traits de Maria.
open.spotify.com/track/4c28kygV…
Vient le morceau charnière, autant pour l’opéra que pour la narration du jeu, qui enchaîne la valse du mariage et le duel (« 婚礼のワルツ~決闘 » / Konrei no Waltz~Keddô). La mélodie s’inscrit dans un rythme à 3 temps, interrompue par les antagonistes.
open.spotify.com/track/6wfjEG1Q…
Le quatrième mouvement allegro, le grand final (« 大団円 / Daidan’en »), s’inscrit comme l’un des morceaux les plus virtuoses et splendides du jeu, et bien sûr un sacré exploit car, rappelez-vous : nous sommes sur SNES.
open.spotify.com/track/4Q3nQ2sM…
Plusieurs méthodes sont ici utilisées. La musique est composée classiquement et respecte pour chaque sonorité les canaux attribués au son : attention, ils doivent aussi permettre les effets sonores, pas uniquement la musique !
Mais il aurait été dommage d’en rester là. Les samples vont jouer un rôle très important : il s’agit de jouer de vrais sons par le processeur sonore, et non des informations converties en sons. Et les samples prennent beaucoup, beaucoup de place.
Il convient alors de comprendre que le rôle d’Uematsu n’est pas juste de pianoter sur un clavier pour créer des mélodies. Les contraintes techniques l’amènent à travailler avec des collaborateurs indispensables qui feront aussi le « son » Final Fantasy.
Minoru Akao est programmeur sonore. Il est un peu le « double » de Nobuo Uematsu, crédité depuis FFIV jusqu’au X et avec d’autres compositeurs comme sur FFXII, Vagrant Story, Chrono Trigger, Chrono Cross, Xenoblade Chronicles X…
En l’occurrence, Akao développe à l’époque un outil original en interne pour permettre au sound designer et au compositeur de concevoir l’univers sonore du jeu. Le sound designer sur FFVI est Eiji Nakamura, entré chez Square en 1994.
Ce collaborateur de l’ombre, vous le connaissez aussi : le son du clic de FF, c’est lui. Tout comme celui de Minoru Akao, le rôle du sound designer est « invisible », mais absolument essentiel, il apporte la « couleur » au son et à la musique, son identité.
Eiji Nakamura nous explique :
Concrètement, nous pouvons considérer Nakamura comme le « compositeur » des sons de FF, et cela n’est pas moins important que la musique. Les effets spéciaux des combats, les interactions dans le jeu, mais *aussi* le son des instruments pour la musique !
Il nous précise sa façon de faire :
Les « échantillons et les sons enregistrés » sont ce que l’on appelle les samples. Les plus célèbres dans Final Fantasy VI sont évidemment les voix dans l’Opéra : Drago et Maria ont, à juste titre, marqué les joueurs notamment pour cette raison !
Mais les voix sont, comment dire… un peu étranges, non ? En fait, beaucoup pensent que ces voix sont fausses, tout comme une sonorité conçue de toutes pièces. Elles sont pourtant tout à fait réelles. Mais particulièrement travaillées.
Nakamura rajoute :
Au-delà des voix, de nombreux instruments sont ainsi échantillonnés, à coup de dixièmes de secondes de samples en boucle. Anecdote intéressante : les sons étaient manipulés avec une manette SNES, chose courante à l’époque.
Selon Nakamura, ce qui a pris le plus de place mémoire n’a pas été les voix, mais plutôt sur les cordes, dont les harmoniques sont difficiles à reproduire. En effet, l’aspect très symphonique de certains morceaux est impressionnant déjà dans FFVI bien avant FFVII.
Cela mène naturellement à l’évolution de la musique, qui va vivre d’elle-même après la sortie du jeu : presque instantanément, deux albums sont produits en parallèle au lancement du titre de Square, en 1994. Piano Collections et Grand Finale.
Les deux albums sont notamment arrangés par l’immense Shirô Sagisu, compositeur, arrangeur et orchestrateur très actif dans le milieu de l’animation, et compositeur de Nadia, Kimagure Orange Road, Macross, et plus tard Neon Genesis Evangelion et Bleach.
open.spotify.com/artist/5k3NfhE…
L’album orchestral, Grand Finale, est enregistré en Italie un mois avant la sortie du jeu. Il se compose de deux ensembles distincts, l’Orchestra Sinfonica di Milano sous la direction de Roberto Politi et l’Ensemble Archi Della Scala.
Le ton de l’album est cependant étrange : de la musique classique peu contemporaine dans son approche, voire baroque, avec parfois une dimension « musique de chambre », aux sonorités un peu vieillottes. On s’interroge sur la motivation réelle des arrangeurs.
En effet, le résultat est finalement très loin de la musique originale de Final Fantasy VI : d’une part, l’essentiel des morceaux est « brodé », comportant des parties entières qui n’existent tout bonnement pas dans les originaux.
Kids Run Through The City Corner, paisible thème de village sans particularité notable sinon une mélodie simple et lisible propre à Nobuo Uematsu, se verra affublé d’un subtil dialogue entre le clavecin et le violon solo. Joli, mais hors de propos.
La charmante composition du personnage sauvage de Gau, à l’origine douce, simple et très courte, est ici transformée en une composition baroque plutôt enjouée, que l’on aurait davantage vu illustrer la noblesse d’un château royal dans Dragon Quest.
Ainsi, c’est en conférant une nouvelle dimension aux morceaux avec des parties totalement inédites (comme l’introduction de The Mystic Forest et la seconde partie de Mystery Train) que les arrangeurs élèvent l’album à un niveau de lecture assez complexe pour les fans.
Et pas seulement les fans. Le plus étonnant dans cet album reste le commentaire de Nobuo Uematsu qui se trouve dans le livret. Il livre sans concession son désaccord avec la direction artistique… chose étonnante, dans un endroit plutôt destiné à louer le travail accompli.
Mais il ne blâme qu’une seule personne : lui-même. Ce témoignage est aussi celui d’un homme d’une humilité exemplaire.
Dans l’un des entretiens que nous avions réalisés chez lui en 2016, il nous précise aussi ne pas vraiment aimer Symphonic Suite Final Fantasy. Cela peut paraitre surprenant une fois de plus : je suis, personnellement, un fondu de cet album.
Grand Finale propose également, en conclusion, l’Aria de l’opéra de FFVI avec, cette fois, une véritable soprano du nom de Svetla Krasteva accompagnée par l’orchestre de Milan qui ne se départit pas pour autant de ses inflexions baroques.
Inexistante dans sa version in-game, l’Aria propose ici des paroles en italien, écrite par Yoshinori Kitase, scénariste et co-réalisateur du jeu. On aurait aimé entendre les quatre mouvements selon cette formule, qui malgré l’avis d’Uematsu, possède un certain charme.
Véritable exercice de style portant plutôt sur le thème de la variation que de l’arrangement, l’album figure malgré tout parmi les plus flamboyantes œuvres originales *basées* sur de la musique de jeu : la liberté accordée aux arrangeurs et le parti pris global font date.
La postérité de l’œuvre musicale qu’est FFVI est alors rythmé par plusieurs travaux très notables. Le premier en fin d’année 1994 sera une édition de Game Music Concert, série de représentations et d’albums créée sous l’impulsion de Kôichi Sugiyama, compositeur de Dragon Quest.
Elle comprend alors vingt-trois minutes arrangées et dirigées par Kosuke Onozaki et interprétées par la mezzo-soprano Michiko Aoki, le ténor Tetsuya Ono, et le baryton Hiroshi Kuroda avec le Tokyo Symphony Orchestra, le tout en japonais.
C’est, à ce jour, la version la plus remarquable de l’opéra de FFVI par son orchestration et sa durée – elle est aussi, contrairement à l’album Grand Finale, très proche de l’original. Ce qui permet, une nouvelle fois, de saluer la précision du travail d’Uematsu !
La tournée Distant Worlds: music from FINAL FANTASY propose également sa version, plus courte (environ 14 minutes), orchestrée par deux des plus importants collaborateurs d’Uematsu : Shirô Hamaguchi et Tsutomu Narita.
open.spotify.com/track/1poJjoke…
Enfin, l’autre album indispensable est sans aucun doute Final Symphony, édité en 2015, avec la suite Born with the Gift of Magic arrangée par Roger Wanamo, déjà actif auprès d’Uematsu sur les concerts/albums Symphonic Fantasies et Symphonic Odysseys.
open.spotify.com/track/1xFb4qc8…
Parmi toutes ces versions, laquelle serait la plus proche de ce qu’aspire réellement Nobuo Uematsu en tant que musicien et compositeur ? Vous vous rappelez, sa passion pour le rock progressif ? Pour la retrouver telle quelle, il faut aller voir ailleurs.
L’album The Black Mages III en 2008, avec son groupe de l’époque (qui, désormais, officie sous le nom Earthbound Papas), contient des reprises rock / rock progressif / metal des musiques de Final Fantasy. Parmi les morceaux, vous retrouvons Darkness and Starlight.
Avec ces flamboyantes 15 minutes, cette version de l’histoire d’amour entre Drago et Maria est au final un véritable OVNI dans la pléthore de versions symphoniques existantes. Nous y retrouvons tout ce qui faisait déjà le « génie » de Nobuo Uematsu dans FFVI.
Ce talent pour la mélodie bien sûr, mais surtout cette fameuse structure passant par des phases très rythmées, très mélodieuses et très narratives. S’il y a une sorte d’avant/après FFVI pour Uematsu, ce morceau version rock progressif en est la plus belle symbolisation.
Deux choses pour finir. La première est de vous inviter à lire la biographie officielle que nous avons co-éditée en tant que @WayoRecords avec @Pixnlove, écrite par mes camarades @DenysFR et @Jkermarrec. Je vous l’assure : c’est une lecture indispensable !
editionspixnlove.com/les-grands-nom…
La seconde est de laisser la conclusion à Nobuo Uematsu. Nous avons la chance de le connaître, de travailler avec lui, mais nous n’exprimerons jamais assez à quel point cet homme est extraordinaire de gentillesse et d’humilité. Merci à lui !
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Enjoying this thread?

Keep Current with Romain Dasnoy (ローマン・ダスノア)

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!