Thread by @qffwffq

Bon pour la forme même si je ne me fais pas d'illusions sur l'intérêt que vous aurez pour ce thread, je vais vous parler de neurologie avec un de mes sujets favoris : les trucs sous nos yeux depuis toujours mais qu'on a refusé de voir.

#ThreadNeuro

Nous sommes en l'an 18 avant notre ère (soit en 1842, 18 ans avant que Charcot ne devienne médecin).

Le monde et par conséquent la France sont ravagés par une épidémie qui à éradiqué 20000 personnes à Paris, 100000 en France... Le choléra.

Les médecins, incapables de trouver un traitement, s'étripent sur les mesures à prendre, certains audacieux allemands prônant un confinement tandis que des français prônent la consommation d'eau de source de Vichy.

Parmis ces derniers se trouve Maxime Durand-Fardel. Touche à tout (surtout aquatique) il décrit un jour, un peu par hasard, sur une coupe de cerveau frais, des trous, qui ne sont ni du cerveau, ni des vaisseaux, ni rien de connu, et surtout qui semblent quelque chose de normal.

Mais comme il s'intéresse surtout au pouvoir de l'eau de Vichy sur le diabète, sa publication tombe rapidement dans l'oubli.

Plus tard en 1851, Rudolf Virchow fait la même découverte. Mais comme Rudolf est surtout obsédé par le négation de la préhistoire, là encore, ça s'oublie.

Enfin en 1859, Charles Phillipe Robin refait la même découverte et cette fois-ci il poursuit l'enquête. Il pense que ces trous, qui sont proches mais distincts des vaisseaux, sont une sorte d'espace entre les neurones, à l'utilité mystèrieuse.

Depuis cette époque ces trous sont nommés espaces de Virchow-Robin. Et pendant très très tréeeees longtemps, leur rôle est resté mystérieux.

Quand j'écris très longtemps, cela signifie qu'en avril 2020, on ne sait toujours pas vraiment.

Alors si il y a un truc qui est constant en médecine, c'est que si un truc ne sert à rien, on l'oublie.

Et pendant presque un siècle, tout le monde a oublié des trous. Ça ne veut pas dire qu'on ne les voyait pas.

C'est même ce qui est le plus drôle.

En fait ils étaient bien visibles sur toutes les coupes anatomiques, mais en l'absence d'explication sur leur nature, soit on disait qu'ils étaient des artefacts (des trous apparus après le décès par un phénomène de rétractation tissulaire autour des vaisseaux)

Soit on n'en parlait tout simplement pas, en les effaçant des dessins anatomiques.

Malheureusement, avec l'invention de l'imagerie, ce consensus de ne pas les voir n'était plus tenable.

En effet sur les scans et surtout sur les IRM, ces trous sont bien visibles.

Et parfois plus que visibles parce que dans certaines pathologies ils sont encore plus visibles qu'ailleurs.

Mais sans que personne ne comprenne pourquoi. Et surtout sans aucune idée sur leur utilité.

Alors ici le mot "utilité" est important parce que la seule chose dont on soit sûr, c'est que c'est espaces de Virchow-Robin ne sont pas en eux-mêmes des marqueurs d'une maladie. C'est juste que ces trous sont plus gros chez certaines personnes qui parfois ont des troubles neuro.

Et c'est là que ça commence à se compliquer. Ces trous/espaces ne sont en fait ni l'un ni l'autre. Ce sont plutôt des vides qui entourent les vaisseaux. C'est un vide qui entoure les artérioles. Mais pas partout. Ni tout le temps.

En fait ils ressemblent énormément à des vaisseaux lymphatiques sauf que :
1/ ils n'ont pas réellement de paroi
2/ il n'y a pas de lymphe à l'intérieur
3/ le cerveau n'a pas de système lymphatique.

Et comme si ce n'était pas assez compliqué, on sait que dans ces espaces il y a un liquide identique au liquide pericellulaire neuronal, que ce liquide s'écoule dans un sens très précis, sans que l'on ne sache vers où.

Bref, c'est un système circulatoire qui par de nulle part vers ailleurs et qui augmente son débit dans certaines pathologies. Ou qui augmente son volume comme si le drainage était défectueux, dans....quand ça veut pas.

Bref, autant dire qu'on en connait plus sur la géologie de mars ou l'intelligence des concombres que sur ces trucs.

Pour vous illustrer ceci plus concrètement, voici une image (Wardlow, Nature Reviews Neurologue, vol 16, page 148).

On va détailler cette image.

Cette image est prise sur un rat vivant. Ce que vous voyez en blanc ce sont des vaisseaux. En noir c'est du cerveau. Entre les deux deux, en couleur, vous avez les trajectoires de microspheres injectées dans le LCR de ces bestioles.

Vous voyez que ces microspheres se déplacent. Qu'elles se déplacent de façon précise et ordonnée le long des vaisseaux, entre les vaisseaux et le parenchyme sans jamais pénétrer ni dans l'un, ni dans l'autre.

Bref elles suivent un canal.

Avec beaucoup de patience, les auteurs de cette photo ont mis en évidence d'autres propriétés de ces espaces de Virchow-Robin et voilà ce qu'on pense en comprendre.

Il s'agit d'un système éboueur spécifique du cerveau, très différent du système lymphatique qui permet cependant d'emmener les déchets du métabolisme cérébral ailleurs.

Et là où ça devient intéressant c'est la suite.

Parce que ce système n'ayant pas de pompe mécanique propre (il est insensible en soi au flux vasculaire puisque dans le cerveau, le flux vasculaire n'est pas pulsatile mais linéaire) les mouvements n'y sont possibles que grace aux... Mouvements respiratoires du corps humain.

Et les mouvements respiratoires sont plus amples et plus efficaces sur la durée pendant le sommeil. Bref, plus vous dormez, plus ce système d'ébouage est efficace.

Bon j'ai un peu caricaturé parce que d'autres mécanismes sont à l'œuvre, mais celui-ci est un des plus importants.

Dans les autres mécanismes il y a aussi des pompes à eau, que l'on nomme aquaporines, et qui semblent permettre à ce liquide d'être extrait vers la circulation générale (peut-être).

En tout cas si ce(s) systèmes dysfonctionnent, les égouts ne fonctionnent plus et le sale reste.

Et si le sale reste, non seulement c'est...sale, mais en plus il abîme ce qui l'entoure.

Pour le dire autrement, si ces systèmes ne fonctionnent plus, on fini par tomber malade.

Et ça tombe bien parce que justement on voit ces espaces augmenter de volume dans pas mal de....

... pathologie neurodegeneratives.

Bien évidemment ce n'est pour l'instant qu'une corrélation mais on constate que dans des maladies comme la démence de type Alzheimer, ces espaces sont plus important, même en tenant compte de l'atrophie. Il est donc tentant (mais non prouvé)..

...de penser que faute d'un débit adéquat, les déchets qui s'accumulent finissent par engorger les espaces de Virchow-Robin et par conséquent par empêcher l'évacuation des protéines anormales ou abîmées hors des neurones.

Il est donc tentant (mais non prouvé) de faire un lien entre cet accroissement de protéines anormales dans les neurones et le déclenchement de réactions en cascades de mort neuronal.

Pour étayer cette hypothèse (qui est qu'une hypothèse [j'espère que vous notez tous les conditionnels que j'emploie dans mes explications]) on peut aussi constater que les sommeils de mauvaise qualité, sont des facteurs de risques de démence.

Et ce que soit dans le cas du syndrome d'apnée du sommeil, mais aussi dans de nombreuses pathologies liées à l'obésité (avec diminution des amplitudes respiratoires) par exemple, même lorsque le problème oxygénation semble réglé

Autre exemple, celui des hypertension intracrânienne à.... pression normal des jeunes femmes obèse (dont je rappelle que c'est un facteur de cécité majeur et que depuis quelques années c'est une cause de cécité en augmentation devant la baisse de le sensibilisation des obèses)...

Dont le mécanisme semble également en lien avec cet engorgement des espaces de Virchow-Robin à la fois mécanique (baisse de l'amplitude respiratoire et mauvais sommeil secondaire à l'obésité) et à la fois par un dysfonctionnement des pompes

Bon bref avant de vous perdre complétement je vais arrêter là.

Retenez simplement que depuis 170 ans on sait qu'il existe un système de fluides dans le cerveau dont on ne comprend ni l'anatomie, ni la physiologie, ni la pathologie, mais qu'on a refusé de voir pendant 160 ans.