Idée reçue : la boxe et l'usage du poing en combat disparaît, à la fin de l'Antiquité, pour réapparaître au XIXe siècle, grâce aux anglais, entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
Comme d'habitude, c'est beaucoup plus compliqué que ça. Et partiellement faux.
Comme d'habitude, c'est beaucoup plus compliqué que ça. Et partiellement faux.
Il est assez clair, voire évident, que le combat à mains nues est vieux. Genre vraiment vieux.
Mais l'évidence ne suffit pas, surtout quand on commence à parler d'arguments et de science.
Mais l'évidence ne suffit pas, surtout quand on commence à parler d'arguments et de science.
On trouve dans le site funéraire de Kherouef, à Louxor, daté du XVe siècle avant JC (il y a 3500 ans, donc), des représentations de boxe au sein d'un grand grand grand corpus de représentations de jeux et d'arts martiaux. 
Pour situer, 3500 ans, c'est en très gros résumé trois fois ce qui nous sépare des carolingiens.
Peut être plus ancienne, la fresque des boxeurs à Santorin, sur le site d'Akrotiri, daté du XVIe siècle avant JC, montre clairement des jeunes pugilistes en action.
Petit aparté, mais on trouve des représentations de lutte (pas de boxe à ma connaissance) bien plus ancienne à Sumer. Genre des représentations comme sur le vase de Tell Agrab, à l'est de l'Irak. 2600 av. J.-C. Il y a 4000 ans.
J'ai dit vieux, à dessein.
J'ai dit vieux, à dessein.
Hypothèse en cours d'étude : un bas relief de Khafadje, situé près de Bakouba en Irak, datant aussi des dynasties archaïques, au IIIe millénaire avant JC, représenterait même des combattants, possiblement des boxeurs.
Revenons à la boxe, et au pugilat en général. Si Homère décrit, dans l'Illiade, des scènes de combat possiblement assimilables à de la boxe, notamment pendant les funérailles de Patrocle. ⏬
Chant XXIII :
" Atrides, et vous, Grecs valeureux, ordonnons que, parmi les plus braves, deux hommes vigoureux s’avancent, et qu’avec le poing tous deux se frappent en élevant les bras. "
" Atrides, et vous, Grecs valeureux, ordonnons que, parmi les plus braves, deux hommes vigoureux s’avancent, et qu’avec le poing tous deux se frappent en élevant les bras. "
Le pugilat est présent au sein des jeux grecs durant la période classique, et fournit une belle brochette de compétiteurs. Onomaste règne ainsi pendant plus d'une décennie sur la discipline, ne perdant que.... lorsqu'il ne vient pas.
Un peu comme Martin Fourcade.
Un peu comme Martin Fourcade.
La team Rome, comme d'habitude, récupère, raffine et perpétue la pratique.
Puis, en 394, patatras, Théodose Ier interdit le pugilat.
Enfin non. Théodose interdit TOUS les jeux païens. Parce que oui, c'est l'époque de l'établissement du christianisme nicéen comme religion d'état.
Puis, en 394, patatras, Théodose Ier interdit le pugilat.
Enfin non. Théodose interdit TOUS les jeux païens. Parce que oui, c'est l'époque de l'établissement du christianisme nicéen comme religion d'état.
Les palestres continuent d'être utilisées et contrairement à une idée reçue, les combats ou le fait de fermer le poing pour frapper autrui ne disparaît pas.
Ah, rdv boulot, la suite plus tard.
La suite... où en étais-je ?
Ah oui, la fin de l'Antiquité et du pugilat, tout ça.
Ah oui, la fin de l'Antiquité et du pugilat, tout ça.
Bon, j'aurais pu parler de la forte présence du pugilat et du corps à corps dans la représentation des jeux étrusques, car tout ne se transmet pas des grecs aux romains comme un COVID culturel.
Au lieu de ça, comme je suis un gros faignant, on va sauter directement au Moyen Age. Parce que.
Comme d'habitude, gardez bien à l'esprit que "Moyen Age", c'est un outil de pensée, pas une réalité bornée et délimitant un espace temporel homogène. 1000 ans c'est pas aussi long que l'histoire du cunéiforme, mais c'est très long quand même.
On en sait peu sur la survivance du pugilat et du combat au poing durant la première partie du Moyen Age. Il faut être honnête. Pas vraiment de descriptions techniques, pas vraiment de descriptions picturales.
Les palestres, comme tous les bâtiments antiques, sont peu à peu réutilisées pour devenir autre chose. Des églises, comme Saint Pierre aux Nonnains, en Moselle. Plus vieille église de France, SVP.
Et on arrive à la période de production des livres d'arts martiaux, soit, grosso merdo au cours des XIIIe et surtout XIVe siècles.
Il faut dire qu'on voit des prémices de narration technique et de conservation du geste dans certains courants littéraires, comme par exemple dans le Roman de Jaufré, étudié par mon très compétent camarade Gilles Martinez.
theses.fr/2018MON30006
theses.fr/2018MON30006
Dans ces manuels, beaucoup de choses. Des chapitres dédiés à la lutte, à l'escrime avec les épées à une ou deux mains, à la dague, des chapitres sur le bâton, les armes d'hast, la joute, la lutte à cheval (no joke).
La lutte équestre est toujours pratiquées dans certains pays, d'ailleurs. C'est comme de la lutte, mais sur une chaise à roulette très énervée et qui bouge.
Cette dernière est toujours pratiquée dans certains pays.
Cette dernière est toujours pratiquée dans certains pays.
Aucun de ces chapitres (et là, pas d'interprétations possible, pas de pugilat, pas de boxe, pas de pratiques assimilable). Pouf, disparu.
Théodose Ier aurait il réussi ?
Théodose Ier aurait il réussi ?
Comme dit dans le tweet chapeau ( un twipeau ?) c'est en fait beaucoup plus compliqué que ça.
Dans l'état actuel de nos connaissances, oui, la pratique institutionnalisée de la boxe, du pugilat ou du pancrace (boxe + lutte), où Platon excellait soit dit en passant, et bien ces pratiques publiques, sportives, réglées, elles disparaissent des sources.
Alors que la lutte, les combats de bâton, l'escrime, les compétitions équestres, les jeux de balle (qui tuent beaucoup), tout ça survit et se porte relativement bien.
Par contre, et je sais que je vais emmerder deux trois boxeurs sur cette affirmation, les coups de poing, eux, ni disparaissent pas.
Je relève les défis, mais après les sources SVP.
Je relève les défis, mais après les sources SVP.
D'abord, on voit, dans la narration du combat, tout au long des chansons de gestes, que le combat au poing existe. Littéralement, "avec les poings".
Je cite, par facilité, Chrétien de Troyes et notamment l'échange entre Gornemand et Perceval, quand ce grand con n'est encore qu'un innocent naïf non éduqué :
" Et se vostre lance perçoie ?"
" Aprés ce li corroie sus a mon poig, n'en feroie plus"
" Et se vostre lance perçoie ?"
" Aprés ce li corroie sus a mon poig, n'en feroie plus"
Dans une autre version, il répond "" As point lui corroie sus"
Littéralement, au XIIe, on voit une concordance fréquente entre "combat au corps à corps = combat avec les poings"
Littéralement, au XIIe, on voit une concordance fréquente entre "combat au corps à corps = combat avec les poings"
Mais imaginons une extrapolation et continuons :
Dans un chapitre de lutte niché dans un manuel de 1452, on trouve une sous-partie dédiée à des techniques "interdites", des "mortstös" ou "coups meurtriers".
J'en ai causé ici, bcp plus en détail
Dans un chapitre de lutte niché dans un manuel de 1452, on trouve une sous-partie dédiée à des techniques "interdites", des "mortstös" ou "coups meurtriers".
J'en ai causé ici, bcp plus en détail
Je vous traduit le premier
" Le premier coup meurtrier : Attrape l'adversaire où tu veux au dessus de la ceinture. Avec cela, frappe très fort au niveau de son cœur avec ta main droite, tout en resserrant ton poing pendant ta frappe."
" Le premier coup meurtrier : Attrape l'adversaire où tu veux au dessus de la ceinture. Avec cela, frappe très fort au niveau de son cœur avec ta main droite, tout en resserrant ton poing pendant ta frappe."
Littéralement : "Zugesschlossen faust". C'est une frappe avec le poing sur la zone cardiaque.
Accessoirement, cela peut provoquer des arythmies voire des arrêts cardiaques. NE LE FAITES PAS.
Accessoirement, cela peut provoquer des arythmies voire des arrêts cardiaques. NE LE FAITES PAS.
Un autre ?
" Le troisième coup meurtrier : Attrape l'adversaire où tu veux au dessus de la ceinture. Avec cela, frappe très fort sa tempe avec ta main droite, tout en resserrant ton poing pendant ta frappe."
" Le troisième coup meurtrier : Attrape l'adversaire où tu veux au dessus de la ceinture. Avec cela, frappe très fort sa tempe avec ta main droite, tout en resserrant ton poing pendant ta frappe."
Bon, ca va pas chercher midi à quatorze heure, mais on tient quelque chose. Si on continue dans le domaine pictural, cette fois, on rigole d'avantage.
Le Codex I.6.4º.2 conservé à Augsbourg et daté de la seconde moitié du XVe siècle nous livre ainsi des planches techniques étonnantes.
Comme ce coup direct, copié dans l'Hoplodidaskalia d'Albrecht Dürer.
Comme ce coup direct, copié dans l'Hoplodidaskalia d'Albrecht Dürer.
Encore une ? Dacodac. Percussion avec le poing au diaphragme, tout en tirant le bras adverse.
Croyez moi, ça calme.
Croyez moi, ça calme.
De fait, on voit, peu à peu, à très petite dose, mais à dose notable tout de même, une représentation timide des coups de poing reprendre sa place dans les images du corps en combat.
Sans avoir de réel manuel de boxe, jusqu'au XVIIIe, on voit de plus en plus de poings fermés et de parades de coups directs.
Comme chez Nicolaes Petter.
Comme chez Nicolaes Petter.
Et si vous ne savez pas qui est Nicolaes Petter, voici un peu de lecture
C'est d'ailleurs fin XVIIIe et surtout au XIXe qu'on voit cette pratique gagner une grande visibilité en Angleterre. Les rumeurs disent que des combats clandestins se faisaient entre français et britanniques pendant les guerres napoléoniennes, mais j'ai pas trop d'infos sur ça.
Ce qui est certain, c'est que les historiens britanniques trichent un peu ( comme d'hab, hein). Ils n'ont pas inventés le pugilat moderne, ou la boxe, ou réinventé quoi que ce soit.
Tout comme Lars Andersen n'a pas réinventé l'archerie performante. Poke @Hycarius
Tout comme Lars Andersen n'a pas réinventé l'archerie performante. Poke @Hycarius
Les britanniques ont surtout réinventés, et ça c'est indéniable, un cadre pour pratiquer le pugilat simplement, avec les mêmes règles.
Celles de la boxe moderne.
Qui s’accommodera vite des gants, qui ont ancré la technique moderne dans les visuels et les films.
Celles de la boxe moderne.
Qui s’accommodera vite des gants, qui ont ancré la technique moderne dans les visuels et les films.
Mais les gens n'ont jamais cessé de se battre avec leurs poings, où même de penser technique avec ces mêmes poings.
Le pugilat n'a jamais réellement disparu, il est passé sous le radar de la source écrite et du registre du public.
C'est très différent.
Le pugilat n'a jamais réellement disparu, il est passé sous le radar de la source écrite et du registre du public.
C'est très différent.
Petites lectures sur la figure des jeux et du sport antiques.
persee.fr/doc/efr_0000-0…
persee.fr/doc/befar_0257…
persee.fr/doc/efr_0000-0…
persee.fr/doc/befar_0257…
That's all.
Si vous avez aimé, n'hésitez pas à partager et à vous abonner. C'est bon pour l'ego.
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