Vitellion, également appelé Witelo, est le fils d'un petit noble polonais. Né vers 1230, il fait ses études à l'université de Padoue. Il est notamment l'auteur d'un important traité sur l'optique, qui influencera beaucoup Kepler plus tard
Vitellion rédige également un Traité sur les démons, daté de 1286, dans lequel il adopte une position étonnante. À ses yeux, les démons ne sont pas des créatures maléfiques : oubliez les cornes et les fourches...
Au contraire, il soutient que les démons sont des êtres naturels, placés entre les hommes et les anges : ils sont plus intelligents que les hommes, donc meilleurs, et ne passent pas leur temps à tenter les hommes.
Surtout, Vitellion livre tout un discours critique au sujet des phénomènes « surnaturels » qu'on dit causés par des démons ou par des anges. Selon lui, la plupart de ces phénomènes sont en réalité... des illusions.
Comment expliquer ces illusions ? Il avance plusieurs thèses : les hommes, naturellement crédules, se laissent abuser par des effets de lumière, par la suggestion, par une mauvaise vue. Dans le pire des cas, c'est tout simplement qu'ils sont fous
Il s'agit d'une explication à la pointe de la science de son temps, qui reprend la théorie d'Avicenne, célèbre médecin arabe traduit en Occident. Selon celui-ci, l'âme peut en effet influencer le corps, voire même celui des autres.
Les savants occidentaux nomment cette faculté phantasia ou encore imaginatio. Quand elle fonctionne bien, elle contribue à la bonne santé du corps ; dès qu'elle est déréglée, catastrophe... !
Mais comment expliquer que ces illusions se ressemblent ? Vitellion reprend la vieille théorie des humeurs : quand le cerveau est perturbé par la bile noire, le malade voit des créatures noires ; quand il est dérangé par un trop-plein de flegme, on voit des créatures blanches...
C'est à ce stade de sa réflexion que Vitellion propose une perspective relativiste. Parmi les « hommes du nord », dont il fait partie, les visions blanches sont interprétées comme des anges et les illusions noires comme des démons. Alors que « chez les Maures »... c'est l'inverse
Comme le note Vitellion, « chaque peuple se croit le meilleur » et projette dès lors son apparence physique, mais aussi ses coutumes, sur le monde surnaturel. Pour le dire plus simplement : les Blancs pensent que les anges sont blancs, les Noirs pensent l'inverse
Vitellion est l'un des esprits les plus originaux du temps, mais on trouve des perspectives proches dans d'autres textes. Au début du XIIIe siècle, Jacques de Vitry, évêque d'Acre, note également que parmi les « Éthiopiens », plus on est noir de peau, plus on est beau.
Jean de Mandeville, dans son Voyage autour de la terre, reprend les mêmes idées : les « Numides » pensent que le noir est plus beau que le blanc et font tout pour se noircir la peau. Dans leurs églises ou leurs manuscrits, ils peignent les anges en noir et les démons en blanc.. !
Cette idée culmine, notamment chez Jean de Mandeville, dans sa description de sociétés où tout est inversé : à l'autre bout du monde, dans les îles fabuleuses de l'Océan Indien, on ne connaît pas la propriété privée, on mange des hommes, les animaux parlent, etc.
Deux siècles plus tard, les philosophes du XVIe siècle, comme Montaigne ou Jean de Léry, utilisent la diversité des coutumes rencontrées dans le Nouveau Monde pour montrer l'artificialité des pratiques européennes
Si ailleurs on fait autrement, c'est qu'il n'y a pas en soi de raison – à part la coutume – de faire ainsi chez nous. Ce qui ne veut pas dire qu'on a tort de faire ainsi : simplement qu'il faut réaliser que rien, dans les pratiques sociales, n'est « naturel »
Vitellion ne pousse pas sa réflexion jusque-là : son relativisme s'arrête à constater que la perception des couleurs est une construction sociale et culturelle, dépendant de la façon dont chaque communauté se perçoit elle-même.
Le jugement incisif de ce philosophe médiéval reste une belle leçon, à deux niveaux. D'abord, il rappelle que non, les médiévaux ne sont pas des imbéciles superstitieux : on a ici un auteur tout à fait capable d’apporter un jugement critique sur des phénomènes surnaturels.
Surtout, il souligne avec force que si chaque peuple peut bien croire qu'il est « le meilleur », au point de draper les anges dans sa couleur, cela n'a aucune réalité. L’homme « intelligent », selon Witellion, sait que le blanc n’est pas meilleur que le noir – et vice-versa
La réflexion originale de Witellion rappelle ainsi qu'on n'a jamais cessé de s'interroger sur la diversité des pratiques humaines, et sur la relativité des valeurs culturelles et sociales. Retrouvez notre article sur @libe : actuelmoyenage.blogs.liberation.fr/2020/06/15/un-…
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
A l'heure de faire l'appel et de découvrir les prénoms de nos élèves, saviez-vous que le Moyen Âge est une période marquée par un changement complet dans la manière de nommer les gens ?
On parle de "double révolution anthroponymique", et c'est passionnant. Un thread ⬇️
Première révolution : la fin des noms romains/romanisés et, notamment, du système des tria nomina (Marcus Tullius Cicero). Avec l'arrivée en Occident de peuples germaniques, ces noms passent peu à peu de mode, même si certains survivent (Marcus, Julius, Felix, etc).
A leur place, on voit apparaître des prénoms... germaniques ! Clovis, Sigebert, Dagobert, Galswinthe, Brunehaut... Ou, moins connus, Leutgarde, Fryshilde, Gansbold, Hildevoud, Protline, Framberte... (oui je sais ça fait rêver hein ?)
Un soldat africain pendant la bataille d'Hastings (1066) ? Réponse de médiéviste : 1/ c'est possible ; 2/ c'est très improbable ; 3/ on s'en fiche car c'est de la fiction ; 4/ ces réactions outrées sont très signifiantes.
1/ C'est possible. Les sociétés anciennes sont plus connectées qu'on ne le pense souvent, et l'Afrique, y compris l'Afrique subsaharienne, n'est pas coupée de la Méditerranée. Il y a des flux de biens et de personnes (marchands, soldats, esclaves, pèlerins, etc).
1/ Ces flux ont d'ailleurs laissé des traces archéologiques, y compris en Grande-Bretagne : dans cet article, des fouilles dans un cimetière anglais du VIIe siècle ap JC où on a retrouvé une personne ayant un ancêtre récent originaire d'Afrique de l'Ouest
On a pris notre courage à deux mains avec @HMedievale et on a regardé « Saint Louis raconté par Philippe de Villiers » diffusé dimanche soir sur CNews. On n’a pas été déçu du voyage, car comme toujours de Villiers propose une vision très personnelle...
Un fil à dérouler ⬇️!
Tout d’abord, deux éléments de contexte. 1/ Philippe de Villiers s’est sans doute appuyé pour cette émission sur son livre « le Roman de saint Louis » publié en 2014, qu'on a lu. 2/ L'émission est sortie dimanche 24 août, veille du 25, jour de la Saint-Louis.
Dès le début, Villiers annonce la couleur : « la vie de saint Louis est un trésor. Les enseignements que j’en ai tiré sont des lumières pour aujourd’hui ». Saint Louis « incarne le beau, le grand, le bien [et] notre civilisation, qui est la civilisation chrétienne »
Quand on pense à la Muraille de Chine, on imagine souvent un édifice comme le Mur dans Game of Thrones...
Mais de nouvelles fouilles archéologiques montrent que ces fortifications médiévales avaient des buts variés, et souvent plus civils que militaires. Un thread ⬇️
Ici, on n'est pas dans la partie la plus célèbre de la Muraille de Chine, mais dans ce qu'on appelle le Medieval Wall System, un ensemble de fortifications de 4000km de long construit entre le Xe et le XIIe siècle, essentiellement par la dynastie Jin
Les archéologues ont fouillé une partie du mur et un fortin situés sur la partie mongole de cet ensemble. Or, la surprise, c'est que le mur en lui-même est un simple fossé accompagné d'une petite pile de terre. Aucune efficacité contre une armée d'envahisseurs... !
Au début de l'année 1195, Lothaire de Segni, un clerc qui va ensuite devenir pape sous le nom d'Innocent III, écrit un petit traité intitulé "Misère de la condition humaine". Il est ici traduit et commenté par O. Hanne (@BellesLettresEd). Un thread (déprimant 😅)⬇️!
Ce texte s'inscrit dans le contexte des traités du type "Mépris du monde", souvent écrits par des moines, qui listent les raisons de détester et de se détacher du "monde", càd du siècle, de la vie laïque avec ses tentations et ses péchés.
Classiquement, le futur pape explique ainsi que l'être humain est bien malheureux. Fabriqué par Dieu dans la terre, la moins noble des substances, conçu dans "le vil sperme", il vient au monde au milieu du sang, des larmes et des cris.
Vous avez (trop) chaud ?
Et si je vous disais que durant les croisades, les croisés ont eux aussi souffert de la chaleur, au point parfois... de mourir ? Je ne sais pas si ce thread va vous rafraîchir, mais ça vous cultivera... Un thread ⬇️!
La chaleur frappe violemment les croisés quand ils arrivent en Orient. Les chroniques de la croisade le répètent tout le temps, preuve que ça a marqué les contemporains : "les nôtres étaient brûlés par la chaleur dévorante", "la chaleur avait grandement affaibli l'armée"
Les mois d’été sont les plus redoutables. Les auteurs mettent en garde contre le « redoutable mois d’août » ou encore contre « juillet, mois insupportable à cause de l’ardeur du soleil ». Autant que possible, on décale les opérations militaires pour éviter d'agir en plein été.