My Authors
Read all threads
Vous l’attendiez !

Le 8e thread sur l’histoire de l’immigration portugaise en France est consacré aux bidonvilles dans lesquels vécurent de nombreux immigrants à leur arrivée en France dans les années 1960-1970.

1
Ceux qui ont lu les threads précédents se souviennent que dès 1916, immigration portugaise rime le plus souvent avec mal-logement.
Les travailleurs portugais vivent dans des baraquements, des garnis, des meublés. La promiscuité et le manque d’hygiène sont fréquents.

2
De plus, dès les années 1920, des Portugais vivent dans la zone, ces constructions hétéroclites (faites de bois, de tôle, etc.) qui entourent Paris (à l’emplacement de l’actuel périphérique).

3
Donc le mal-logement n’apparaît pas avec les bidonvilles au cours des années 1960.
Et ceux qui viennent en France étaient souvent mal-logés au Portugal, dans des maisons rudimentaires à la campagne ou des bidonvilles à Lisbonne et Porto. (Ici à Lisbonne en 1968)

4
Les arrivées de Portugais reprennent à la fin des années 1950. Mais comme elles sont irrégulières, hors procédures mises en place par l’Office national d'immigration, les patrons n’ont pas à fournir de logements à leurs travailleurs portugais.

5
Pour les patrons c’est tout bénef’ : les travailleurs portugais coûtent peu chers, ils sont dociles car ils ont besoin de régulariser leur situation, de rembourser les passeurs. En plus, ils n'ont pas à les loger !

6
Les Portugais doivent donc se débrouiller pour se loger et dès la fin des années 1950 des bidonvilles peuplés principalement de Portugais apparaissent. Les solidarités familiales et villageoises fonctionnent à plein. On vient souvent en France rejoindre un proche ou un ami

7
Souvent, les passeurs amènent les migrants clandestins jusqu’au bidonville de Champigny sur-Marne qui fait alors office de plaque tournante de l’immigration portugaise. C’est là qu’on retrouve des proches, des personnes qui pourront vous aider.

8
Le terme de bidonville, né au Maghreb dans les années 1930, est importé pour désigner les logements dans lesquels vivent une partie des travailleurs algériens en France dans les années 1950 .
Avec ce mot il s’agit de souligner l'altérité et l'inadaptation de ces derniers

9
Le premier bidonville « portugais » est celui qui sera le plus connu et le plus peuplé (jusqu'à 14 000 personnes): celui de Champigny-sur-Marne.
Dans les années 1950, Champigny a encore des aspects campagnards et les Portugais s’établissent sur un plateau.

10
Quelques Portugais venus auparavant y ont acheté des terres et y ont construit des maisons dans les années 1950.

Certains d’entre eux accueillent des compatriotes récemment venus et le bidonville commence à s’étendre avec des baraques.

11
Les autorités prêtent peu d’attention à l’extension du bidonville jusqu’en 1964, date à laquelle éclate le scandale des bidonvilles et est promulguée la loi Debré

Jusqu'alors on parle parfois de "village portugais" et non pas de bidonville
12
Ce qui choque alors c’est que des travailleurs européens qui viennent participer à la construction des routes, d’immeubles, qui viennent travailler dans les usines soient contraints de vivre dans des baraques à quelques kilomètres de Paris

13
On distingue clairement ces bidonvilles où vivent des Portugais et ceux où vivent principalement des Algériens. Pour ces derniers, on met plutôt en avant leur dangerosité (notamment dans le cadre de la guerre d’Algérie) et leur inadaptation à la société française.

14
Il y a dès lors un traitement différencié des populations vivant dans les bidonvilles. Dans les bidonvilles où vivent les Algériens, les contrôles policiers sont fréquents et on empêche les habitants d’améliorer leur habitat sans leur offrir d’autres logements

15
A Champigny, par contre, à partir de 1964 on cherche à améliorer les conditions de vie de la population, on installe des fontaines, un centre administratif se situe près du bidonville, on essaie de reloger les habitants dans des foyers et des HLM.

16
Cependant, une partie des habitants résiste à ces relogements. Une forte incompréhension existe entre une partie de l’administration et les habitants.

L’administration ne comprend pas que certains rechignent à être relogés, qu’ils refusent de vivre en foyer.

17
Cet article de 1967 décrivant la destruction d’une partie du bidonville de Champigny illustre cette incompréhension. « Monsieur Bidonvilles », Marc Roberrini, doit « piquer une gueulante » pour convaincre les Portugais à accepter les relogements.

18
Pourquoi ces résistances ?
Dès les années 1960, Colette Pétonnet a étudié les habitants des bidonvilles et a essayé de comprendre leur manière de voir.
Pour de nombreux Portugais qui ont quitté la campagne et ne parlent pas le français, le bidonville se révèle protecteur.

19
On y est entouré de compatriotes qui vous aident à trouver un emploi, à régulariser vos papiers, à se repérer dans une vaste agglomération inconnue.
Au bidonville, vous pouvez garder vos habitudes alimentaires – faire sécher la morue -, on y trouve des coiffeurs

20
On peut laisser les enfants à la garde des voisins; des bus vous amènent directement au Portugal, etc.
Pétonnet tend à présenter le bidonville comme un sas d’adaptation.
Si les habitants rechignent au relogement, c’est qu’ils craignent d’être dispersés, de perdre leurs repères
21
Pour beaucoup c’est la reconstitution du village d’origine et de l’entraide qui y existe. Les photos prises par les propres habitants des bidonvilles diffèrent souvent de celles prises par la presse française et portugaise.

22
La presse met en avant la saleté, l’inhumanité des bidonvilles pour choquer l’opinion publique. Les photos prises par les habitants, elles, mettent en avant les jardins, les sociabilités (manger, jouer entre amis le dimanche, etc).

23
Le bidonville n’est pas le lieu de l’isolement et de l’anomie comment peuvent l’être les HLM.
Pétonnet ne néglige cependant pas les nombreux inconvénients du bidonville : l’inconfort, la boue, le danger permanent d’incendie, le froid, le sentiment de honte des habitants.

24
La plupart des fonctionnaires chargés de la « résorption » des bidonvilles ne partagent pas la sensibilité de C. Pétonnet.
Ils veulent reloger les habitants sans leur demander leur avis, en les dispersant en fonction des disponibilités de logement.

25
Pour la plupart des agents français, les Portugais qui refusent le relogement sont inadaptés, sont sous la domination des propriétaires de baraques qui veulent continuer leur affaire lucrative, veulent à tout prix économiser pour envoyer le maximum d’argent.

26
Si les résorptions sont lentes c’est aussi que les propositions de relogements ne sont pas assez nombreuses. D’une part, l’immigration portugaise ne cesse d’augmenter et toujours irrégulièrement. 350 000 entre 1969 et 1971.

27
D’autre part, on ne construit pas assez de logements accessibles aux travailleurs immigrés. Les HLM sont, à l'époque, des logements prisés par la population française. Vivre en HLM est une "promotion" dans un pays qui manque de logements pour les classes populaires

28
Au cours des années 1960-1970, un long bras de fer oppose les municipalités de la région parisienne – souvent communistes – et le gouvernement à propos des bidonvilles. Les municipalités PCF qui ont des bidonvilles ne veulent pas garder tous les immigrés sur leur commune

29
Elles plaident pour une dispersion de la population dans les communes avoisinantes et notamment les villes de droite (c’est le début de l’idée du seuil de tolérance…).

30
Pour les municipalités communistes, le pouvoir gaulliste dirige les immigrés vers leurs communes pour se débarrasser d’eux et abuser de la solidarité des communistes qui défendent tous les travailleurs, français et étrangers

31
Les municipalités pcf veulent obtenir le financement de HLM, HLM qui leur permettront de loger des travailleurs français, le socle de leur pouvoir municipal.

Quand elles acceptent des logements pour les immigrés, ils sont souvent en périphérie, mal situés, isolés.

32
Le bras de fer dure ainsi longtemps et ralentit la construction de logements accessibles pour les immigrés

Entre temps, plusieurs incendies ravagent des bidonvilles.

C'est le cas à bidonville de Villeneuve-le-Roi où 5 Portugais (dont 3 enfants) meurent en janvier 1972

33
Les bidonvilles ne sont pas limités à la région parisienne : il y en dans les grandes villes – Lyon, Nice, Bordeaux – mais aussi dans des villes plus réduites comme Oyonnax dans l’Ain comme on le voit dans ce reportage de 1973

34

fresques.ina.fr/rhone-alpes/fi…
La destruction du bidonville de Champigny à partir de 1966 favorise la dispersion des Portugais vers d’autres bidonvilles : Massy, Saint-Denis (au Franc-Moisin qui devient le plus grand bidonville), Villeneuve-Le-Roi



35
A Massy, les habitants du bidonville se mobilisent contre les relogements que veut mener la mairie et qui les dispersera et éloignera de leur lieu de travail.

Leur porte-parole – Lorette da Fonseca – est alors menacée d’expulsion et une lutte

leparisien.fr/video/lorette-…
36
La résorption est ainsi très longue et ne se termine qu’au milieu des années 1970.

Les Portugais vont alors vivre en HLM et certains, notamment en province, restaurent de vieilles maisons - grâce à l'aide de la famille et des amis

37
Mais une partie de ceux qui quittent les bidonvilles vont s’entasser dans des pavillons transformés en garnis clandestins .
Par exemple, en 1972, un pavillon d’Aubervilliers loge (mal) huit familles (32 personnes, dont 12 enfants)

38
Aujourd'hui, ces années des bidonvilles sont parfois évoquées comme les "années de boue".

Marie-Christine Volovitch-Tavares a consacré un livre à Champigny dès 1995 et José Vieira a consacré plusieurs documentaires aux bidonvilles, notamment à celui de Massy où il a vécu

39
Un monument en hommage à Louis Talamoni, ancien maire PCF de Champigny, a été inauguré en 2016 sur l'ancien emplacement du bidonville
Le monument est constitué de briques signées par d'anciens habitants du bidonville.

40
Il a été inauguré en 2016, en présidence du président de la République et du premier ministre portugais qui en ont profité pour rendre hommage au photographe Gérald Bloncourt (dont j'ai utilisé plusieurs photos pour ce thread)

41
Lors de cette inauguration, les discours politiques n'étaient pas dénués d'ambiguïtés : les anciens habitants du bidonville étaient transformés en héros, ce qui tendait à cacher les difficultés qu'ils ont traversées (je l'explique plus longuement ici :
42
academia.edu/34604829/La_m%…
C'est terminé pour ce 8e thread.
Si vous voulez voir les premiers, ils sont ici

Dans un article récent, Margot Delon publie la lettre d'une riveraine du bidonville de Champigny qui a des mots peu agréables pour ses habitants

cairn.info/revue-actes-de…
En 1970, Robert Bozzi a consacré un film au logement des immigrés (et notamment au bidonville d'Argenteuil) que vous pouvez retrouver ici :
cinearchives.org/Films-447-269-…
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Keep Current with Victor Pereira

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!