Savez-vous qu’en 1967, le général de Gaulle inaugure le Redoutable, premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins français ?
Mais avant cela, il y a eu de nombreux échecs et apprentissages, dans un contexte géopolitique très tendu.
Thread : La genèse du Redoutable.
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1/ Après la 2nde Guerre mondiale, les #USA lancent un programme de sous-marins à propulsion nucléaire. Le 17 janvier 1955, l’USS Nautilus, 1er sous-marin avec un réacteur #nucléaire à son bord prend la mer dans le Connecticut.
2/ Equipé d’un réacteur à eau pressurisée (REP) « Westinghouse » à uranium enrichi (S2W 10 MW), ce sous-marin est une révolution : il peut vivre et combattre sous l’eau pendant plusieurs semaines.
3/ Ce sous-marin (et le réacteur électronucléaire de Shippingport qui démarre en 1957 (Cuve en photo)) sont des œuvres de l’Amiral Rickover, pionnier du programme nucléaire US. Néanmoins, le sous-marin à « propulsion atomique » ne lance pas encore d’engins nucléaires.
4/ En France, l’idée de réaliser un sous-marin nucléaire existe dès la fin des 40’s mais les obstacles techniques et géopolitiques sont encore trop importants au début des 50’s.
5/ Après la 2nde Guerre mondiale et la création de l’OTAN, la présence militaire américaine est très forte en France, suscitant la méfiance d’une partie de la population et de la classe politique. Une aide financière massive est également apportée via le plan Marshall (1947).
6/ Intégrée dans l’OTAN, la Marine française est donc dépendante des USA et de ses aides financières. Par exemple, en 1952, sur un budget total de la Marine de 152 milliards de Francs (anciens), l’aide américaine est de 93 milliards !
7/ Les USA ne souhaitent clairement pas que la France développe un programme nucléaire militaire et ne veulent donc pas fournir d’uranium enrichi, ou alors seulement pour des réacteurs civils et « américains », notamment avec le programme « Atoms for peace ».
8/ La France dispose d’uranium naturel sur son sol (photo du puit « Henriette », Limousin) mais pas encore d’usine pour l’enrichir. Les filières françaises du milieu des 50’s (réacteur eau lourde (Photo EL2) et graphite gaz notamment (Photo G2)) utilisent de l’uranium naturel.
9/ Au milieu des 50’s, la France retrouve peu à peu un peu d’indépendance financière. Alors que les conférences de Genève lèvent quelques « secrets atomiques », la France se lance, seule, dans la construction de son réacteur #nucléaire pour sous-marin.
10/ En mai 1955, de manière discrète et devant le succès international du lancement de l’USS Nautilus, le CEA et la Marine nationale débutent la construction d’un sous-marin nucléaire équipé d’un réacteur (« ZIRCONE ») à l’uranium naturel modéré à l’eau lourde : le Q-244.
11/ Rapidement, des difficultés énormes compliquent le projet. Le poids et la taille du réacteur sont trop importants et les quantités d’eau lourde nécessaire (35 tonnes) difficiles à obtenir. De plus, les relations nouvelles entre le CEA et la Marine ne sont pas simples.
12/ L’intérêt du projet devient contesté mais certains ne souhaitent pas abandonner, question d’indépendance et de fierté nationale, comme l’explique le haut-commissaire du @CEA_Officiel Francis Perrin en 1957 (photo : Francis Perrin serrant la main du général de Gaulle, 1960) :
13/ « Interrompre maintenant l’œuvre commune serait une erreur funeste : on a eu raison de l’entreprendre, il faut la continuer avec ardeur et persévérance ». Le projet, moqué par les amiraux US, continue, mais on commence sérieusement à envisager d’autres options techniques.
14/ Certains imaginent garder la coque, déjà construite (photo de 1958) du Q-244 pour y mettre un réacteur américain à uranium enrichi et à eau pressurisée. D’autres envisagent d’acheter « clés en main » un sous-marin aux USA…
15/ Les USA laissent entrevoir une offre de coopération pour des sous-marins nucléaires via l’OTAN. La France tente même de troquer du plutonium contre de l’uranium enrichi venant des USA. Pour les américains, la France n’en aura pas « for any other military purpose ».
16/ Pour le civil cependant, pas de problème ! Un REP de licence US Westinghouse est vendu via l’Euratom à un consortium franco-belge : le réacteur @EDFChooz A. Le chantier démarre en 1960 (extrait vidéo EDF) et Chooz A sera le premier REP de l’histoire du nucléaire français !
17/ En 1958-1959 les relations franco-américaines se tendent. Les français cherchent à savoir quels réacteurs pouvaient leur vendre les américains. Ceux-ci répondent en demandant aux français la taille de leurs sous-marins… Dialogue de sourds !
18/ Finalement un accord minimal est conclu. Les USA proposent « seulement » la vente de 440 kg d’uranium 235 pour un réacteur de recherche « construit à terre ». C’est un début, mais on est donc encore loin du sous-marin #nucléaire français…
19/ Les américains et notamment le pionnier du programme nucléaire, l’Amiral Rickover, pensent que la France est de toute façon incapable de construire seule un véritable sous-marin nucléaire.
20/ Pendant ce temps, les USA prennent une avance considérable. L’USS Nautilus traverse le pôle nord…sous la banquise en 1958. En 1959, l’USS George Washington est le premier sous-marin à propulsion nucléaire à emporter des missiles nucléaires.
21/ Dans le même temps, britanniques et américains signent de nombreux contrats… Le premier sous-marin britannique à propulsion nucléaire (HMS Dreadnought (S101)) est lancé en 1960 par la @RoyalNavy. Il est équipé d’un réacteur américain conçu par Westinghouse.
22/ En France, suite à l’accord avec les USA, la construction d’un prototype à terre de propulsion nucléaire (PAT) est lancée au @CEACadarache en 1960. Pour se passer rapidement des USA, une usine d’enrichissement de l’uranium est mise en chantier à Pierrelatte.
23/ Avec ce nouveau projet, la construction du sous-marin Q-244 tombe à l’eau … mais sa coque est déjà construite ! Pour la petite histoire, elle deviendra celle du Gymnote, un sous-marin expérimental lance-missiles à propulsion classique, mis en service en 1966.
24/ Revenons sur le réacteur PAT. Les Français ne disposent que de peu d’informations sur les sous-marins et réacteurs américains. Les USA et le très influent Rickover restent très méfiants sur la politique du général de Gaulle (discours en 1963).
25/ La légende raconte que les ingénieurs français tentent alors de récupérer un maximum de renseignements allant d’une simple brochure du réacteur Shippingport glanée dans un congrès à une maquette en plastique de l’USS Nautilus vendu 3 dollars aux USA…
26/ La réalisation d’un réacteur REP « miniature » n’est pas simple mais le CEA commence à disposer de pas mal d’expérience avec ses réacteurs de recherche. Le PAT est accompagné de la pile Azur, son modèle réduit, qui démarre dès le 9 avril 1962 et permet de réaliser des essais.
27/ Le PAT est donc un véritable réacteur de sous-marin dans une piscine avec « 2 boucles » pour le refroidissement (en cas d’avaries). Des brèches sont conçues dans la coque pour recharger/décharger le cœur du réacteur et le matériel pour entretiens et remplacements.
28/ En février 1963 la cuve du réacteur PAT est installée et celui-ci démarre le 14 aout 1964 (photo du pont roulant d’Azur, du bâtiment abritant les réacteurs, des réacteurs et de la salle de commande).
29/ Pour la petite histoire, l’ensemble du projet de sous-marin nucléaire prend le nom de « Cœlacanthe » : un animal dont on pensait autrefois qu'il s'agissait d'un chaînon manquant entre les poissons et les animaux terrestres. Encore un mythe !
30/ Entre le 19 octobre et le 18 décembre 1964, le réacteur PAT réalise, pour des essais, un « tour du monde » fictif (mais moins que celui de Jules Verne) dans sa piscine (le tout sans bouger !). Il est temps de passer à la construction d’un véritable sous-marin nucléaire !
31/ Et petit bonus en prime, on décide la même année que le sous-marin à propulsion nucléaire devra également être capable de lancer des engins nucléaires et donc d’intégrer la force de frappe stratégique.
32/ Le CEA et la Direction centrale des constructions et armes navales se lancent dans ce nouveau projet de sous-marin : le Q 252. Il va prendre le nom de « Redoutable » et est mis sur cale en novembre 1964 à Cherbourg. L'arsenal d'Indret (Nantes) se charge de la propulsion.
33/ Les ingénieurs choisissent une coque de 128 mètres de long, 10.6 mètres de diamètre et 9000 tonnes en plongée. Le sous-marin est énorme, notamment en comparaison aux 1000 à 1500 tonnes en plongée des sous-marins réalisés jusque-là à Cherbourg.
34/ Se basant sur l’expérience acquise avec le PAT, la propulsion principale est assurée par un réacteur à eau pressurisée (cuve en photo), deux turbines à vapeur et un groupe turbo-réducteur, l'ensemble de l'appareil propulsif développant 16.000 CV.
35/ je vous laisse avec l’ingénieur général décrire le design du sous-marin et je reviens !
36/ Évidemment, les USA s’inquiètent de ces projets français. Pour preuve, le 16 juillet 1965, des chasseurs français interceptent et forcent à atterrir un avion militaire américain qui photographiait les installations nucléaires de Cadarache…
37/ L’indépendance de la France, fer de lance du général de Gaulle va prendre une nouvelle ampleur. Alors que le Redoutable est en cours d’achèvement, le 7 mars 1966, de Gaulle informe son homologue américain Johnson que la France se retire du Commandement intégré de l’OTAN…
38/ Le 20 mars 1967, devant une foule importante, le général de Gaulle « libère » le Redoutable en appuyant sur un bouton vert. Le Redoutable prend la mer, enfin, pas tout à fait…
39/ Il s’agit simplement de la cérémonie d’inauguration. Le 26 avril 1968 intervient la prise « d'armement » et en février 1969 la divergence du réacteur. Le 25 septembre 1970, il est transféré à la nouvelle base de l'Île Longue.
40/ Sous la direction du Commandant Bernard Louzeau, le Redoutable comprend 2 équipages de 135 hommes.
41/ Le sous-marin dispose de 16 missiles mer-sol balistiques M1 (450 kt sur 2 000 km) et fonctionne avec de l’uranium enrichi (faiblement pour son réacteur et hautement pour ses ogives nucléaires) dans l’usine de Pierrelatte (photo de 1968).
42/ Le Redoutable, pionnier des sous-marin nucléaires français est donc le fruit de nombreuses années d’échecs, d’apprentissages et de collaborations entre le CEA et la Marine Nationale.
43/ Après 20 ans de service pour la marine nationale, le Redoutable revient à Cherbourg en 1991 pour être démantelé par Naval Group. On peut aujourd’hui le visiter à la cité de la Mer de Cherbourg.
Savez-vous que cette superbe tour aéroréfrigérante accueille un manège ? Qu’elle est située sur le site d’une ancienne centrale #nucléaire allemande devenue un parc d’attraction ?
Fil : Kalkar, une histoire de neutrons rapides et de sensations fortes…
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1/ Avant-propos : Merci @Kako_line pour l’invitation à travailler sur le sujet des tours aéroréfrigérantes décorées.
Celle de la centrale nucléaire de Kalkar en Allemagne a sans doute l’histoire (thread non exhaustif) la plus incroyable !
C’est parti.
2/ Dès le début de l’ère nucléaire, l’idée de surgénération (capacité d'un réacteur nucléaire à produire plus d'isotopes fissiles qu'il n'en consomme) est en vogue et les projets de piles couveuses (breeder) se multiplient (Experimental Breeder Reactor I dans l’Idaho, USA, 1951).
Point de situation au 5 septembre 2023 concernant la situation à la centrale #nucléaire de #Zaporijjia.
🇺🇦🇷🇺☢️Un fil à dérouler🧵🔽
1/ Sur la situation générale de la centrale #nucléaire : 5 réacteurs sur 6 sont en arrêt à froid. Le réacteur 6 est en arrêt à chaud et produit de la vapeur pour des besoins de sûreté depuis le 13 août 2023 (notamment pour le traitement des déchets radioactifs liquides).
2/ Le réacteur 4 a été transféré d’arrêt à chaud vers arrêt à froid en raison d’une fuite d'eau depuis le circuit primaire vers le circuit secondaire au niveau d’un des générateurs de vapeur (GV) du réacteur survenue le 10 août.
Point de situation au 20 juin 2023, avec un éclairage historique, concernant la sûreté de la centrale #nucléaire de Zaporijia depuis la destruction du barrage hydroélectrique de #Kakhovka.
Un fil à dérouler 🔽🇺🇦🇷🇺🧵
1/ Dans la nuit du 6 juin 2023, le barrage hydroélectrique de #Kakhovka, sur le Dniepr (Nova Kakhovka, oblast de Kherson) est détruit entrainant en aval de fortes inondations aux conséquences humaines, sanitaires et environnementales dramatiques.
2/ Construit dans les années 1950, le barrage (photos) a créé en amont le réservoir de Kakhovka sur le Dniepr, long de 240 km et jusqu'à 23 km de large. L’ensemble barrage/réservoir permet notamment l'irrigation de terres agricoles du sud de l'Ukraine et du nord de la Crimée.
Le Plan particulier d'intervention (PPI) présente une cartographie des communes impactées par des mesures en cas d’accident #nucléaire dans un rayon de 0-20km autour d’une centrale.
Thread : Tour d’horizon des cartes des PPI pour les 18 centrales nucléaires en exploitation.
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1/ Avant-propos : Un PPI propose une représentation cartographique du risque et est dimensionné sur un accident et des conditions météos donnés.
Les conséquences/mesures d’un accident « réel » peuvent bien entendu déborder ou non de la cartographie du PPI.
C’est parti. ⬇️🧵
2/ Cartographie du PPI de la centrale nucléaire de Belleville (Cher).
On en parle moins donc c’est le moment de faire un point sur la situation de la centrale #nucléaire de #Zaporijjia.
Point de situation au 6 mai 2023
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1/ Tout d’abord, les 6 réacteurs ne produisent plus d’électricité. Au moins 5 sur 6 sont même en « arrêt à froid ». Jusqu’alors, un ou deux des réacteurs étaient maintenus en « arrêt à chaud » pour alimenter en chaleur le site et la ville voisine d’Enerhodar.
2/ Si les réacteurs ne produisent pas d’électricité, ils ont toutefois besoin d’être refroidis pour des raisons de sûreté et donc d’être alimentés en électricité. Une seule ligne électrique de 750 kV fonctionne actuellement sur les 4 disponibles avant le conflit.
19 octobre au 18 décembre 1964 : Le réacteur #nucléaire PAT (prototype à terre) du CEA Cadarache) « prend la mer » pour une croisière fictive autour du monde.
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Tous les jours, sur la base d'un rendement de propulsion supposé, l'énergie produite est transformée en milles marins et la position du « bateau » reportée sur la carte.
En réalité, le réacteur ne bouge pas, au fond de sa « piscine ».
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Ce type de réacteur sera installé à partir de 1971 sur les sous marin nucléaires lanceurs d'engin français (SNLE), dont le premier sera le Redoutable.