Allez, maintenant que l’hommage à #SamuelPaty est passé, qu’on s’est fait accuser de complotisme par le ministre JM #Blanquer, je vous raconte ma petite investigation dominicale dont vous avez probablement entendu parler aujourd'hui ?
"Pourquoi ont-ils coupé #Jaurès : a Thread!
Tout commence samedi vers 17h30, je reçois un message fb d’une connaissance prof qui m’envoie cette photo en me disant "ça t’intéresse une lettre dont une partie a été amputée ?". Bonne pioche, j’aime pas Halloween (déso) et j’ai rien de prévu pour la soirée. Chouette, au boulot.
Première étape : trouver la source originale. Facile : on me la donne sur un plateau : un article de la Dépêche du 15 janvier 1888. On vérifie sur le site de la BNF et sur Gallica. Et rapidement, il apparait très clair qu’il y a des coupes dans le document reçu par ma source.
Mais une source de ne fait pas (ou rarement) une histoire. Un petit tour sur twitter m’apprend rapidement que d’autres profs s’interrogent également sur les coupes dans un doc qu’ils ont reçu. Dans mon cas, un pdf d’un peu plus d’une page, avec un titre en bleu, police calibri.
Là encore, assez facilement, je retrouve le document par une recherche Google. pour une raison simple, c’est le premier lien qui sort, un pdf hébergé sur un serveur de l’Académie de Poitiers.
Bon, ils se sont trompés de fichier, ça arrive me dis-je. ww2.ac-poitiers.fr/dsden79-pedago…
Sauf que ce doc semble avoir fait le tour des Académies et a été envoyé au moins dans 3 autres au moins vois-je en lisant plusieurs tweets (leurs autrices contactées pour vérifier leurs dires). Puis direction le site Eduscol où se trouvent les ressources pédagogiques des profs.
Sur lequel se trouve 2 versions du texte, une courte, une longue. Là encore, pas trop inquiet, je jette un œil à la version longue qui ne porte aucune marque de coupe.
Sauf que cette version n'a été publiée que dans la nuit, elle n'y était pas la veille. Encore une erreur ?
Entre temps, j’ai eu ma rédac qui m’a validé un court papier de 2 feuillets (3000 signes). Je lance donc des demandes d’interview au Ministère, à l'Acc. de Poitiers et je cherche un-e historien-ne spécialiste de Jaurès pouvant me répondre sous 24h. Un samedi à 22h, oui oui.
Dimanche matin, c'est l'heure d'entrer dans le texte et de comparer ligne à ligne les versions. Dans celui de l’Académie de Poitiers se confirment les multiples coupes auxquelles s'y ajoutent quelques modifs comme "fierté alliée à la tendresse" >>"fermeté alliée à la tendresse"
Je vois aussi que la version courte sur le site Educnet ressemble bien à une version pédagogique avec juste quelques paragraphes essentiels. Soit. Et puis je compare la version longue, juste par acquis de conscience. Et si elle est bien fidèle et sans modification du texte ...
... Il manque encore un paragraphe ! Justement le même qu'il m'avait été envoyé au départ. Et il est clair que le sens du passage change nettement avant ou sans ces quelques lignes contre les examens et l'évaluation excessive, pour la liberté et l'autonomie des enseignants.
Sentiment confirmé quand je découvre le résumé envoyé par un rectorat où le texte de Jaurès en vue comme un hymne à la patrie et à la citoyenneté. Là où Jean Jaurès, encore républicain, parle déjà d'émancipation, précurseur de son engagement socialiste.
Puis viens l’heure de passer les coups de fil. Et pour un dimanche, ça réagit vite. Poitiers me confirme que leur pdf date 2016, dans le cadre de la semaine de la laïcité. une version « édulcorée pour le premier degré », sans lien avec l'actualité, et qu'il va être retirée.
Puis m’appelle la conseillère du ministère. Sans qui le papier n’aurait pas eu tant de succès, merci à elle.
Car plutôt que de reconnaître une erreur ou un impair quelconque, elles assure que c’est tout à fait normal de couper des textes pour des raisons pédagogiques. Soit.
Mais la version longue n'est pas complète. -Si.
Je lui lis alors les trois lignes qui manquent et demande : "Pourquoi couper juste ça ?" Et de me répondre tranquillement que :
-l’exhaustivité s’opposerait au caractère solennel du texte. -On veut donner qq chose de clé en main.
-est-ce que ces lignes qui manquent tronquent le message global ?
-Moi je trouve ça très daté, ça parle du certificat d’études. -la liberté pédagogique est très présente dans le reste du texte.
Oui mais répète-je, "pourquoi ces trois lignes ? Et pourquoi ne pas l'indiquer ?"
"Ah, des crochets ? Je peux voir ça". Oui mais pourquoi ne pas juste mettre les trois lignes ? "C’est une version longue, pas intégrale, donc c’est correct". Je raccroche, partagé entre la consternation et une envie de rire devant une telle incapacité à reconnaître son erreur.
Rire qui se dissipe vite en échangeant avec les profs contactés : "oui le ministère, nous prend pour des idiots, non ce n’est pas la première fois, oui il entrave notre autonomie, surtout avec les réformes en cours, oui bien sûr que ce passage coupé est d'actualité pour nous".
15 h : vient enfin l’écriture. Et là, pas question d’en faire des caisses. L’histoire est suffisamment parlante pour ne pas caser des « censure ! » « Orwell 1984 » a tout bout de champs. D’une part, parce que ça ne convainc personne. Et surtout parce que même si ça semble gros...
...je n'ai en fait aucune preuve explicite de l’intentionnalité de cette coupe, juste qu'ils la maintiennent. Le reste, je le suppose, donc je ne peux pas l'écrire, c'est la règle du métier, parfois frustrante, mais qui garantit que l'information est fiable et sourcée.
La suite c'est la boule de neige de tweets hier soir, merci @edwyplenel, Blanquer interrogé ce matin sur F.Inter et ENFIN un lien vers le texte intégral mis en ligne ce matin, juste avant l'hommage. avant de faire l'actu dans la journée. Ce que ma laisse quand même un regret.
C'est que l'incapacité à reconnaître une erreur manifeste a mobilisé un dimanche de travail, 6 interlocuteurs, des centaines de tweets, 2 minutes d'antenne nationale, ... juste pour arriver à remettre trois lignes de texte. Mais trois lignes essentielles dans la pensée de Jaurès.
Tout ce que je souhaite, c'est que grâce à cette histoire, en plus de gagner en vigilance sur les tripatouillages des textes historiques, vous vous appropriez le sens profond de la pensée de Jaurès en matière d'éducation, de laïcité, qui n'a pas pris une ride, au contraire.
Lisez sur le contexte de la IIIe République, sur comment "l'école républicaine" était un sujet de débat qui reste d'actualité. Et rappelez-vous : “Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots.”
Tiens mais d'où vient cette phrase ?
A vous de jouer ! FIN
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#NDDL La bourde du JDD qui voulait publier sur reportage exclusif et les photos qui inquiètent les forces de l'ordre me fait repenser à ce qui s'est passé à #Sivens. petit thread.
1/ Quand on fait en 2016 avec @MarineVlahovic notre enquête pour @Reporterre sur les circonstances de la mort de Rémi Fraisse (tué par une grenade offensive lancée par un gendarme), on a toujours été frappé par la manière dt les gendarmes décrivaient les occupants, "zadistes"
2/ Que ce soit un discours construit et répété ou un réel sentiment humain, ils disaient avoir eu "peur", face au déferlement de "violence", des gens "armés" là où nous qui travaillions sur la zone et connaissant ce qui s'y passait, on voyions presque rien de tout ça. Aveugles ?