🌍👑🗺️ Aujourd'hui, on va parler de l'homme le plus riche de l'Histoire, dont la seule venue dans une ville pouvait dévaluer le cours de l'or.
Mais aussi de sirènes, de caravanes et de fleuves d'or.
Comme d'habitude, tout commence par une carte : l'Atlas Catalan ⬇️
L'Atlas catalan est, comme son nom ne l'indique pas, un portulan portugais réalisé à la fin du XIIe siècle par Abraham Cresques, un cartographe majorquin, maître des cartes du roi d'Aragon
L’atlas a été réalisé entre 1375, date apparaissant à plusieurs reprises sur l’œuvre, et 1380, date de son entrée dans les collections royales françaises.
Il a probablement été offert au roi de France Charles V par le roi d'Aragon Pierre IV (dit le Cérémonieux)
A l'époque, s'offrir des cartes c'est pas rien : c'est à la fois prouver sa connaissance du monde, des côtes, des routes commerciales, et la rendre possible pour la personne à qui on offre la carte.
Un gros move de souverain si vous voulez mon avis
En plus l'atlas Catalan n'est pas juste « une carte »
C'est un ensemble de six parchemins de 70x20cm : 2 avec des infos d'ordre cosmographique/spatial et les 4 autres avec la carte à proprement parler.
C'est un ouvrage qui ne consigne pas QUE de l'information géographique mais aussi pas mal d'informations nautiques, commerciales, démographiques, politiques...
Il se veut une image du monde connu à l'époque, dans une logique parfois plus proche de l'encyclopédie que de la carte géographique au final
En ce qui concerne la carte en elle-même, elle représente toutes les terres bien connues à l'époque (et depuis longtemps) : le bassin méditerranéen donc, mais aussi l'Afrique et l'Asie
De la Scandinavie à l'Afrique, et de l'Europe à la Chine, mais avec un lourd gradient de connaissances : plus on avance vers l'Est, plus la connaissance géographique baisse, et plus la carte devient mythologique et/ou fantaisiste
Rien d'extraordinaire là-dedans, ça s'inscrit dans la tradition de l'histoire de la cartographie occidentale, centrée autour de la Méditerranée
Du coup c'est assez golri de voir qu'on a sur la même carte des trucs très précis et exacts (l'Atlantique, les côtes de la Méditerranée et de la mer Noire) ET des trucs totalement délirants (non, les côtes orientales de l'Asie ne forment pas un cercle)
Ca reste globalement très exact car je vous rappelle qu'on est en 1375 ! Par exemple, la péninsule indienne est très bien figurée, on reconnaît bien le triangle.
Je vous ai légendé tout ça pour que vous puissiez voir la puissance du truc quand même.
Regardez la précision de la France par exemple. On voit Paris et Avignon ! Et pas mal d'autres villes en France d'ailleurs. Dommage que je maîtrise assez mal le catalan
L'originalité de cette carte, c'est qu'en plus des vents, des côtes, des villes et des frontières, elle présente une donnée capitales : les routes commerciales
Et, originalité au carré, on trouve les routes commerciales africaines transahariennes. A la manière des routes maritimes des portulans, elles convergent vers un point appelé le Rio del Oro (le fleuve de l'or), quelque part en Afrique de l'Ouest
Près du Mali on voit un roi noir. Il est écrit qu'il s'appelle Moussa, est le roi du Mali et exporte de l'or en direction de l'Afrique du Nord
Pas évident DU TOUT de trouver à l'époque des représentations cartographiques européennes qui évoquent des souverains africains ! L'atlas catalan en serait le seul exemple que j'en serais pas plus étonné que ça
A mon avis ça tient au fait que le cartographe a voulu donner une image complète des réseaux commerciaux de l'époque et, bien sûr, ça incluait le commerce africain et/ou transaharien
Pour que ce soit clair pour le roi de France qu'il s'agit bel et bien d'un roi, on l'a paré des symboles de la monarchie pour les européens : couronne et sceptre
Mansa Moussa régnait à l'époque sur l'empire du Mali, et sur le commerce mondial de l'or (en toute simplicité).
Des marchands d'Afrique du Nord traversaient le désert en caravane, et échangeaient marchandises et esclaves contre de l'or qu'ils remontaient ensuite vers le nord
Ca faisait de Mansa Moussa un souverain plutôt à l'aise financièrement. Disons le tout net, c'était L'HOMME LE PLUS RICHE DU MONDE, à la tête de réserves d'or qui la feraient tourner (la tête)
Mansa Moussa n'est pas juste MAXI-RICHE, il est aussi musulman. Et en 1324, pas si longtemps que ça avant notre carte, il entreprend de faire le pèlerinage à la Mecque
Il part avec une petite suite toute simple, trois fois rien, pas de chichis : en gros 60 000 hommes et 10 000 esclaves, sans compter la nourriture, les chevaux et le bétail
Mais surtout, il part avec PAS MAL D'OR. Il a un standing à assurer, celui de l'homme qui contrôle tout l'or du monde connu. C'est pas rien, et pour ça il en faut de l'or : il en emporte en gros DOUZE TONNES
A chacune de ses étapes vers la Mecque, Mansa Moussa dépense sans compter. Il fait aussi construire une mosquée à chacune de ses étapes le vendredi, car il est comme ça Moussa.
On sait qu'il arrive en 324 en Egypte et qu'il rencontre le sultan An-Nâsir Muhammad ben Qalâ'ûn. On le sait car les égyptiens tenaient des annales où ils consignaient les évènements importants de l'année
ET FIGUREZ VOUS QUE L'ARRIVEE D'UN ROI NOIR AVEC DOUZE TONNES D'OR ET UNE SUITE DE 70 000 PERSONNES, ILS ONT CONSIDÉRÉ QUE C'ÉTAIT IMPORTANT
On sait donc que le sultan a été soufflé par la richesse de Mansa Moussa. On sait aussi qu'il a tellement dépensé, qu'il a dévalué à lui tout seul le cours de l'or dans le bassin Méditerranée
Cet afflux soudain de métal prévieux a complètement dévalué son cours, qui a mis environ dix ans à s'en remettre, faisant de Mansa Moussa le seul homme de l'histoire a avoir influé seul sur le cours de l'or
Pas la moitié d'un roi, ce sacré Mansa Moussa. Si l'histoire vous intéresse, regardez lépisode de « Quand l'histoire fait date » dessu, il est hyper bien arte.tv/fr/videos/0861…
Mais sur cette carte, il n'y a pas que Mansa Moussa, mais plein d'autres souverains ! Cet atlas se veut une image du monde de son époque et représente donc les souverains en exercice (rois d'Afrique, Khân mongols, souverains des Indes et de l'Asie)
Près du Nil, assis en tailleur, on voit le sultan d'Egypte qui garde la route des épices/mer Rouge et à qui les caravanes de Mansa Moussa viennent probablement de livrer pas mal d'or
A toutes ces informations se mêlent les légendes antiques : pygmés luttant contre des grues, pêcheurs de perles du Golfe persique, une sirène...
Mais aussi des personnages bibliques comme les rois Mages à cheval, ou des lieux saints comme les îles Fortunées, lieu mythique du Paradis terrestre (représenté sur les îles Canaries)
A l'extrême Est de la carte, l'ambiance se darkise un peu : on y voit clairement le démon, mais aussi les persos de Gog et Magog
Cette dichotomie entre info tangible et réelle d'un côté, et mythologie de l'autre fait que cette carte se situe au carrefour de deux traditions cartographiques
La première consiste à représenter le monde connu centré sur la Méditerranée et l'autre, plus ancienne, à représenter l'ensemble du monde comme un tout qui engloberait l'ensemble des savoirs connus, sous la forme de textes et d'image.
C'est un mélange de géographie réelle et de mythologie, comme dans les mappa mundi médiévales. On sent bien qu'on est à un turning point de la cartographie : faut-il représenter le monde tel qu'il est ou le monde tel qu'on se le représente (avec mythes et légendes) ?
Bref, l'atlas catalan, c'est vraiment 😍😍😍
C'est tout pour moi, à bientôt pour de nouvelles aventures 🌍
🗺️🇮🇹🎡 En 1502, Léonard de Vinci réalise cette carte d'Imola, en Italie
Non seulement elle est superbe et *très* exacte, mais elle témoigne de l'émergence de la cartographie moderne, et je vous explique pourquoi en 11 (onze) tweets
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Au tout début du XVIe siècle, Léonard de Vinci entre au service de César Borgia. Une de ses premières commandes est la réalisation d'une carte de la ville d'Imola
A l'époque, quand on fait un plan de ville, c'est surtout en perspective cavalière (du point de vue d'un oiseau, ou d'une montgolfière) et ça donne quelque chose comme ça
Là c'est une vue de Venise par Jacopo de Barbari qui date de 1500.
« Quand on arrive en ville, on arrive de nulle part » nous dit Daniel Balavoine
MAIS DU COUP, ce qui n'est pas la ville, c'est le « nulle part » ?
Vous me voyez venir avec mes gros sabots :
QU'EST-CE
QU'UNE
VILLE ?
(c'est à la fois très simple et très compliqué)
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Quand quelqu'un dit qu'il « va en ville », quel est le projet ? Aller acheter des trucs, aller boire des coups (en gros). Du coup, la ville, c'est l'endroit où il y a des cafés et des magasins. Allez, fin du fil.
(aha, non)
Déjà, je ne crois pas qu'il existe de définition internationale de la ville. Et pourtant il y en a partout, et tout le monde croit savoir ce que c'est. La ville en Chine, est-ce la même chose que la ville en Islande ou en France ?
Donc voilà Paris à l'époque, on voit que la rive gauche s'arrête au niveau de l'observatoire, à la limite entre le Ve et le XIVe arrondissement actuels
C'est tout bonnement le projet cartographique le plus ambitieux jamais lancé.
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Il y a quatre Cassini, numérotés de I à IV COMME LES ROIS DE LA CARTOGRAPHIE QU'ILS SONT 👑
Et ils ne sont pas tous cartographes ! Cassini I par exemple, tu l'appelles cartographe il te répond « Cheh », lui son truc c'est l'astronomie
On parle de LA carte mais en réalité il y en a plus de 180, réparties en deux projets : une carte générale de la France, et plein de cartes de plus petits territoires, à une échelle constante.
Exactement comme l'IGN aujourd'hui, oui messieurs-dames