Fil sur un concept du sociologue Max Weber qui est souvent compris (et utilisé) de manière erronée : celui de "neutralité axiologique", qu'on comprend souvent de manière suivante: l'intellectuel (ou le prof) ne doit pas s'engager.
Or ce n'est pas ça que dit Weber. Explications ⬇️ Image
Ce qui est vrai:Weber est rétif à l’engagement des profs parce qu’il considère qu’il ne faut pas faire de la "politique en chaire" et profiter d'un monopole de la parole de manière problématique (en gros profiter de son cours pour déverser ses idées politiques sans contradicteur) Image
Weber dit qu’il y a deux domaines complètement séparés d’un point de vue logique : les jugements de faits et jugements de valeur. (Il reprend ça à Kant et aux néo-kantiens type Rickert cc @Uneheuredepeine 😉)
Les jugements de faits consistent à parler de l’existant (le constater, l'expliquer) et les jugements de valeur à évaluer l'existant. Et que dans le domaine scientifique, il faut s'en tenir autant que possible aux premiers, c'est ça la "Wertfreiheit" (la neutralité axiologique)
MAIS attention ça ne veut pas dire qu'il ne faudrait avoir dans la science que des gens qui n'ont pas de valeurs. Pour Weber les valeurs peuvent orienter leur regard et permettre de déceler de faits et de trouver des explications à des faits tout à fait pertinentes.
Weber donne l'exemple de l'intérêt d'un universitaire anarchiste très bon juriste, dont les valeurs lui permettent précisément de penser l'existant, d'interroger ce qui pour d'autres irait comme allait de soi, par exemple l'Etat.
Pour Weber, dire que l'Etat est un système de domination ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un jugement de fait. La question de savoir ce qu’on en pense, c’est un jugement de valeur.
En fait pour résumer, Weber pense qu'il faut suspendre les jugements de valeur dans l'ENONCE de la parole scientifique tout en ayant conscience que ces jugements de valeur peuvent jouer (de manière très pertinente) dans la GENESE de la parole scientifique.
On peut compliquer tout ça (un des problèmes des néo-kantiens c'est savoir si le vrai est une valeur ou pas, parce que les jugements de faits sont soumis à ce critère de la vérité) mais ce qu'il faut retenir c'est que pour Weber le critère important est celui de lucidité. ⬇️
La plus grande vertu intellectuelle selon Weber c’est la lucidité : on ne doit pas contester des jugements de faits sous prétexte qu’ils pourrait être porteurs de jugements de valeur. Par ex encore une fois pour lui est un système de domination, quoi qu'on pense. Image
Pour Weber le/la prof a bien une tâche politique. Mais cette tâche est de soumettre les discours à un critère de cohérence, à leurs conséquences logiques et morales. Concrètement qu'est-ce que ça veut dire dans l'enseignement?
Il y a une pluralité de visions mondes possibles qui peuvent être liées à des valeurs (arbitraires selon Weber). Le rôle du ou de la prof n'est pas de discuter de ces valeurs mais de confronter les élèves aux conséquences logiques (et aux présupposés) de leurs visions du monde.
En gros pour Weber le ou la prof doit faire voir à son élève les conséquences logiques de sa position pour lui faire prendre conscience de s'il ou elle est vraiment prête à les assumer (et donc à assumer cette vision du monde).
Le chercheur/la chercheuse peut également avoir un rôle politique. Selon Weber, la science doit éclairer la politique en donnant à voir ses conséquences : quel type d’humain est produit par quel système et inversement (donc les conséquence du choix de tel ou tel modèle politique)
Donc pour résumer
Weber ne dit pas que le chercheur ou le prof ne doit pas s'engager politiquement sous peine de perdre sa scientificité.
Il considère que le prof ou le chercheur peut bien avoir un rôle politique, mais qu'il ne faut pas confondre ce rôle avec le prêche politique.
Sources : certaines éditions et appareils de notes des textes de Werber :
-l'édition d'Isabelle Kalinowski "La science, profession et vocation" @EditionsAgone
-la traduction et l'édition par Catherine Colliot-Thélène de "Le Savant et Le Politique" @Ed_LaDecouverte ImageImage
-la retraduction et l'explication de certains textes de Weber par G. Fondu aux @Ed_Sociales (collection "Découvrir (tel auteur"). C'est un petit livre qui permet de découvrir les grands textes de Weber et met en perspective leur intérêt dans le débat politique (je l'ai relu!) Image
Autres fils sur les concepts (souvent déformés de Max Weber) : 1) l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité
2) bien sûr la fameuse phrase "l'Etat a le monopole de la violence légitime" qui est très souvent utilisée à tort et à travers...
Pour comprendre ce que Max Weber veut vraiment dire sur la violence légitime :
Sur la théorie des 3 autorités de Weber (traditionnelle, charismatique et légale-rationnelle) j'avais fait deux petits fils si ça vous intéresse!

Voilà c'est terminé, je suis contente si ces fils sur Weber vous plaisent! N'hésitez pas à consulter les sources (Kalinowski et Colliot-Thélène ce sont des éditions intégrales d'un ou deux textes, Fondu c'est une introduction à la pensée de Weber via une anthologie commentée) ImageImageImage
Et une question qui reste ouverte: pourquoi Weber est-il autant cité à tort? 😐(pcque c'est un passage obligé -vite fait- dans le cursus scolaire des personnalités politiques?) Alors que ce sont des concepts qui ont un réel intérêt dans toute réflexion politique...
oups "pour Weber, *l'Etat est un système de domination, quoi qu'on en pense
Le problème n'est pas de faire des erreurs (tout le monde peut en faire et Weber est difficile), le problème est de systématiquement déformer les concepts de Weber comme faux argument d'autorité: de parler de "neutralité axiologique" pour cracher sur l'engagement politique...
Ou sortir la citation sur le "monopole de la violence légitime" pour en faire un faux argument d'autorité et de légitimation (en l'occurrence de la violence d'Etat) ce qui est bien loin de la démarche de Weber
Réponse à une question:"Wertfreiheit" c'est littéralement la liberté vis-à-vis des valeurs. Encore une fois ça ne veut pas dire ne pas avoir de valeurs, mais savoir suspendre, dans certaines conditions, dans le domaine scientifique ou professoral, les jugements de valeur.

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23 Jan
Très bonne surprise que la lecture de cet ouvrage de Gisèle Sapiro "Peut-on dissocier l'oeuvre de l'auteur" @EditionsduSeuil Sapiro commence par une vraie réflexion conceptuelle qui permet d'aborder de manière éclairée et renseignée de nombreux cas (Céline, Maurras, Matzneff,etc) Image
Vraiment, ce livre a un équilibre bien pensé: il est à la fois très renseigné et nuancé (Sapiro est spécialise de la question des rapports entre littérature et politique, elle a beaucoup écrit sur le sujet) et très lisible (il est court, écrit dans une langue très claire). Image
J'avais écouté certaines émissions radios qui m'avaient fait craindre que ce soit purement descriptif (on passe en revue une série de cas et finalement on ne sait pas trop quoi en penser). Ce n'est vraiment pas le cas. Je le conseille vraiment.
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