Twitter devait-il supprimer le compte de Trump ? Il se trouve que j’ai écrit un livre qui sort bientôt et qui parle beaucoup de cette question. Alors mes deux centimes sur le sujet, à dérouler comme on dit ⤵️
Depuis sa création, Twitter a séduit deux publics plus que tous les autres sans doute : les journalistes et les politiques. Pour ces deux populations, Twitter, c’est du crack. Ni plus ni moins.
Nous sommes accros à ce réseau. Prisonniers. Dépendants. On y est collés toute la journée, on y réagit à tout ce qui s’y passe, on en a fait un canal privilégié d’expression. Et d’indignation. Surtout d’indignation.
Twitter ne vit que de ça, d’indignation, de condamnation, chacun y exhibe sa supériorité morale en condamnant et en jugeant des tweets qu’on cite et dont on propage par la même le message.
C’est particulièrement vrai pour Trump. Trump est né ici. Sa campagne primaire, il l’a faite ici. Il a usé à plein de l’effet de levier offert par notre indignation collective et permanente. Toute son expression comme président est passée par ici.
Trump est une créature de Twitter, qui a tout compris de ce mécanisme indignation / condamnation / attention. Durant des années il a capté chaque jour l’attention médiatique par ses outrances.
Cette attention, ces condamnations morales, lui ont valu le soutien croissant d’une communauté de fans radicalisée, prisonnière d’une bulle de filtre faisant des médias et des démocrates des ennemis du peuple
Une autre partie de cette base a vu en lui le combattant de l’ombre luttant contre une conspiration pedo-sataniste multiforme. Tout cela sous nos yeux. Et sans modération.
Pourquoi ? Car on a tous collectivement accepté l’illusion que les réseaux sociaux pouvaient être des espaces auto-modérés, affranchis des contraintes des éditeurs de contenus. Des tuyaux.
On a tous voulu croire que ces tuyaux étaient neutres. Qu’ils ne créaient pas une grammaire propre à la manière dont ils sont conçus. C’est faux. Twitter est conçu pour créer des camps qui s’opposent.
Comme Facebook est conçu pour créer des bulles de filtre, des espaces de surenchère où l’on se coupe peu à peu du réel au profit de son groupe d’appartenance.
Tout cela est connu. Mais journalistes et politiques ont-ils conscience qu’ils sont les premières victimes de cet effet de filtre ? Les premiers à tomber dans ce piège ?
Combien de polémiques nationales ont pour base un tweet ? Combien de réactions ministérielles suite à un truc qui a trendé ici ? Et à l’inverse, pas un journaliste ni un politique n’a vu venir les gilets jaunes.
Pourquoi ? Car ils ne sont pas sur Twitter. Et que Twitter c’est l’alpha et l’oméga du politico-médiatique. Au point qu’on finit par le prendre pour une sorte d’agora publique.
C’est pas une agora, c’est un service. Commercial. Qui a force de refuser d’être un éditeur se retrouve dans un piège, obligé de prendre des décisions brutales.
Mais dire comme certains politique que c’est scandaleux, c’est hypocrite. Tous les partis ont leurs réseaux partisans ici. Tous usent d’armées de trolls organisés pour tenter d’influer ces espaces dont ils font le cœur de la vie publique.
Twitter c’est 4,2 millions d’utilisateurs quotidiens en France. C’est nous qui en faisons le centre de tout. Parce que nous en sommes drogués. Parce que nous en sommes dépendants.
Ce n’est une agora publique que parce qu’on choisit de lui donner ce statut. Ce n’est un espace toxique que parce que nous refusons de comprendre sa grammaire et de la contrer.
Cessons de réagir à tout et n’importe quoi, cessons de nous indigner à tout bout de champ, d’offrir de la visibilité au pire en le pointant du doigt, de se focaliser sur ce seul réseau au détriment de tout ce qui se passe ailleurs.
Et si vous voulez, je raconte tout cela et bien plus dans mon petit bouquin. Qui sort le 11 février. Sur ce je retourne à mon voeu de relatif silence. À bientôt.
Un peu de réclame en post-scriptum. Il est disponible en pré-commande
Quelques précisions suite à vos réactions : déjà, évidemment Twitter n'est pas que cela, je parle ici de son effet sur le champ politico-médiatique. Comme outil d'information, il est particulièrement efficace, honnêtement j'aurais du mal à faire sans.
Ensuite, "Trump est né ici" était une figure de style. Evidemment il était très célèbre depuis des décennies. Mais la parole politique et idéologique du candidat puis du président s'est développée avant tout sur Twitter, ça me semble assez évident.
Autre point que je n'ai pas développé: les réseaux sociaux créent avant tout de l'émotion, positive ou négative, indignation ou émerveillement. Mais l'émotion ne favorise pas vraiment la réflexion, la prise de recul, l'analyse, ni surtout la nuance. Chatons, chloroquine ou Trump.
Enfin sur Trump : il a fait le choix de confier l'essentiel de sa communication publique à une plateforme privée. Elle l'a banni, il n'en reste pas moins président des USA pour quelques jours, avec tous les moyens de communication afférents, et ils sont légion.
Ce qui n'exonère en rien de leur responsabilité des plateformes qui se sont inventé une légende bien pratique de modestes start-up, alors qu'elles devenaient l'axe central de la communication mondiale, refusant de fait d'assumer la responsabilité éditoriale que cela impliquait.
Et dont les motivations ont toujours été dictées avant tout par la maximisation de "l'engagement", érigée en valeur cardinale, sans jamais s'interroger sur les effets de cette ingénierie de l'engagement ni sur ses conséquences sociales, politiques et idéologiques.

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21 Jul 20
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