La marine française et la lutte contre l’esclavage et la traite pendant la Révolution. Partie 2 ! #Thread

La partie 1 est là :
Nous en étions restés à l’expédition réussie du navire l’Experiment en 1794 sur la côte d’Afrique. A noter que ce genre de petit succès, anonymes et peu connus contrairement à une grande bataille, constituent l’essence de la stratégie française, et finissent par peser lourdement.
Dans les histoires traditionnelles, on dit que le gouvernement révolutionnaire ne comprenait rien à la marine, mais partagez vous cette opinion maintenant que vous savez que les escadres françaises frappent durement les intérêts anglais, en plus au nom de l’émancipation ?
En 1795, l’attention se porte sur les Antilles ; l’hyperactif Victor Hugues emploie les forces de la marine en Guadeloupe pour répandre l’annonce de l’abolition de l’esclavage en France. De très petites unités, notamment des goélettes doublées en cuivre,
déposent de nuit des agents français, des armes, dans les colonies anglaises, où sont fomentées pas moins de neuf révoltes serviles pour cette seule année.
Néanmoins à partir de l’été/automne 1795 ce mouvement tend à diminuer, du fait des contre-offensives anglaises,
mais aussi comme l’a montré Anne Pérotin Dumon, par la volonté de la République, en passe de s’allier à l’Espagne de montrer un visage de respectabilité, c’est-à-dire éloigner le spectre de la révolte de Saint Domingue. L’abolitionnisme militant trouve donc vite ses limites,
celles de la Realpolitik. Les Espagnols ne cessent de se plaindre auprès de Victor Hugues du mauvais exemple donné par les marins français noirs « bien habillés et gonflés du titre de citoyens » ! Si la République limite son prosélytisme, les envoyés en mission s’indignent
systématiquement lorsque les marins français de couleur capturés par les Anglais sont réduits en esclavage.

Pour l’année 1796, nous disposons de belles sources en ce qui concerne la Guyane. Les agents du Directoire organisent là comme ailleurs la chasse au commerce ennemi,
en l’occurrence portugais, pays toujours en guerre avec la France. Le but est avant tout de satisfaire les équipages et les besoins de la colonie en faisant de riches prises ;
les visées humanitaires sont secondaires ; mais elles ne sont pas oubliées. Voici le récit que fait l’envoyé en du Directoire le 26 octobre 1796 : « L’aimable demoiselle, venant de Guinée, allant à Maragnon [Maranhao], chargé de cire, de quelques dents d’éléphant, et de 180 noirs
amarinés dans la passe même de maragnon, par la Goëlette de la République la Volante. Cette cargaison devenue bien précieuse aux yeux de l’humanité, en changeant de destination, est entrée dans notre port, le 19 vendémiaire dernier. Je dois ici des éloges à la bonne conduite
du citoyen Reybaud, commandant la Volante. Tous les soins qui ont dépendu de lui, ont été prodigués pendant le trajet a ses intéressants passagers, qu’il n’a point cessé d’escorter.»
Le ministre de la marine Truguet, particulièrement opposé à l’esclavage, lui répond avec satisfaction : « J’ai vu avec plaisir que les 180 noirs pris sur le navire portugais l’aimable demoiselle ont été appellés à jouir des bienfaits de la liberté ;»
(On notera l’emploi tout à la fois des termes nègres, noirs ou citoyens de couleur. Le premier était-il déjà plus connoté négativement ? C’est possible, les spécialistes doivent le savoir.)
Evidemment, tous les officiers de marine ne partagent pas son point de vue. Certains sur les escadres qui parcourent l’atlantique, prenant acte de l’interdiction de l’esclavage en France, proposent simplement de vendre à l’étranger les « « cargaisons » » d’esclaves capturés.
Le manque à gagner pour eux en part de prises est en effet majeur. Vers la fin de la période, avant même le retour officiel de l’esclavage, la marine nuance de plus en plus son application de la loi.
En 1799, une division des côtes d’Afrique est montée par la marine française, avec les frégates Concorde et Franchise.
. Celle-ci est commandée par le capitaine Landolphe, qui a eu la bonne idée d’écrire des mémoires. Cette division s’empare de l’île de Principe (comme dans Sao Tomé et Principe), prenant au passage six négriers anglais. Mais les esclaves ne sont pas libérés mais offerts
aux autorités portugaises de l’île pour se les concilier.. Pendant son séjour, Landolphe utilise la loi comme outil de chantage ; il demande une rançon de guerre sous peine d’appliquer « les lois françaises », c’est-à-dire l’abolition de l’esclavage. La rançon est donc payée...
Sans idéalisation il paraît donc important de souligner cette période et la capacité qu’a eu la marine française à être un outil d’émancipation. Cette mémoire pourrait être cultivée,
comme le font les Anglais qui insistent énormément sur la lutte contre la traite qu’a menée la Royal Navy au début du XIXème siècle, oubliant assez commodément la période antérieure… #FinduThread Toutes les questions sont les bienvenues !

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14 Mar
Thread des 1000 abonnés – Merci à tous !
La marine française et la lutte contre l’esclavage et la traite pendant la Révolution française. Partie 1 ! Image
Je précise que je ne suis pas à proprement parler historien du fait colonial américain et je vais donc me concentrer sur l’aspect proprement naval et opérationnel de la question. Certains pourront peut-être nuancer ou critiquer à bon droit certains éléments.
Néanmoins le rôle de la marine me semble intéressant car il se prête bien à une approche équilibrée de l’abolitionnisme républicain : sans triomphalisme tricolore, mais sans non plus relativiser à l’excès la radicalité émancipatrice de cet acte.
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