Comment peut-on analyser convenablement les rapports homme/femme quand on est un homme, donc un oppresseur ?
Un thread qui résume un article de Léo Thiers-Vidal sur le sujet. 👇
(Un article qui vous le verrez reste d’une grande actualité et permet de critiquer un certain nombre de discours sur les masculinités qui se veulent féministe. Je pense en particulier ici aux vidéos récentes de Cassandre et D.Caligula - j’y reviendrais brièvement à la toute fin.)
D'abord ce qu'il faut dire c'est que si la question se pose c'est que les chercheurs hommes du fait de leur position dans notre société patriarcale sont forcément confrontés à plusieurs obstacles quand il s'engage dans la recherche sur ses sujets.
Il faut d'un côté qu'ils arrivent à comprendre des analyses qui les désignent comme une source permanente d'oppression (et c'est pas gagné).
Et de l'autre qu'ils arrivent à gérer les conflits internes que produit cette compréhension pour pouvoir avoir un regard pertinent sur ce qu'ils font et sont en tant qu'homme (c'est pas gagné non plus).
Et pour que ça se produise il faut arriver à comprendre comment leur position dominante structure la manière qu'ils ont de concevoir (même scientifiquement) les rapports homme-femme ?
Et le premier truc que constate Léo Thiers-Vidal sur le sujet, c'est qu'on ne pense pas ces rapports pareil selon qu'on soit un homme ou une femme, contrairement à ce que voudrait faire croire l'idéal (masculiniste) du chercheur neutre et rationnel.
Il y a un décalage genré, et ce décalage il pose problème.
Parce que si les analyses féministes, en particulier matérialistes, ont bien réussi à penser le lien entre la position sociale des chercheurs et leur production scientifique, on ne peut pas en dire autant des chercheurs hommes.
Très peu l'ont fait, et certains quand ils ont essayé de le faire l'ont fait de manière très sélective (Bourdieu est un bon exemple de ça) voir manière différentialiste (typiquement Welzer-Lang qui estimaient que les hommes étaient mieux placer pour analyser la masculinité).
Léo Thiers-Vidal à travers sa pratique militante a pu observer que les hommes avaient tendance à refuser ce décalage quand il n'allait pas dans leur sens. Il donne notamment l'exemple précis d'un conflit dans un "camping anti-patriarcal".
Les hommes y avaient mal pris le fait qu'on leur fasse remarquer que si eux étaient content de parler de leurs émotions et de leur sexualité en réunion non mixtes, ce n'étaient pas le cas de tout le monde (les f parlant plutôt des violences subies et de leurs conséquences).
Mais du coup ce décalage genré une fois qu'on l'a constaté il faut se demander à quoi il tient ?
Et là c'est son deuxième point : ce décalage il tient d'un côté à l'androcentrisme masculin et de l’autre au champ d'expertise limité qu'est celui des hommes sur ces questions.
L'androcentrisme masculin c'est quoi ? C'est le fait que les hommes pour maintenir leur qualité de vie (matérielle, psychologique, sexuelle, etc.) ont intérêt à se cacher la teneur oppressive de leurs rapports avec les femmes.
C'est ce point de vue situé qui va faire qu'ils vont voir dans les réunions non mixtes l'occasion de parler des contraintes du rôle d'homme et vont avoir tendance à détourner la question des violences sexistes.
Bref, du coup le féminisme devient pour eux une sorte d'outil thérapeutique dans lequel le vécu des femmes a tendance à être évacué.
Et ce que ce point de vue situé implique aussi c'est que leur expérience particulière des rapports de genre font qu'il développe une expertise spécifique qui est bien différente de celles des femmes.
Les femmes vont accumuler des sentiments, des idées, des intuitions qui vont partir des oppressions qu'elles subissent et aller vers la source de ces oppressions. Autrement dit, elles vont développer une expertise qui porte sur la dynamique oppressive elle-même.
Là où les hommes vont accumuler tout un tas de savoirs sur comment bénéficier de ce rapport d'oppression (par exemple comment être à la fois suffisamment proche et suffisamment distant d'une meuf pour obtenir des services affectifs et sexuels).
Du coup, l'expertise des hommes ne porte pas sur la dynamique d'oppression mais sur les techniques et stratégies qui permettent de profiter de cette oppression.
Voilà donc les deux biais masculinistes qui font que les femmes ont un point de vue qui doit être privilégié sur les rapports de genre.
Pour autant, il n'est pas impossible pour un homme d'étudier sérieusement ces questions, mais la chose doit être très cadrée.
D'où la troisième chose que nous dit Léo Thiers-Vidal : pour lutter contre ces biais masculinistes les chercheurs hommes doivent 1° lire et comprendre en profondeur les analyses féministe et 2° participer à des mouvements militants féministes.
C'est en adoptant (non sans résistance c'est sûr) une grille de lecture féministe, que le chercheur peut commencer à se désolidariser de la classe des hommes. Chose qui peut être facilité par la plus grande empathie que peut susciter l'engagement militant.
Car c'est aussi en se confrontant longuement au vécu des femmes dans l'action militante qu'il sera susceptible affectivement et psychologiquement d'accorder une plus grande place à ce vécu.
C'est donc scientifiquement et politiquement qu'ils doivent opérer une "rupture féministe".
Mais du coup qu'est-ce que ça peut donner concrètement dans la recherche sur les rapports homme-femme ? C'est notre quatrième et dernier point.
Ca veut dire déjà qu'ils doivent éviter de s'intéresser en priorité au vécu masculin, puisque ça ne leur permet de faire rupture avec leur point de vue.
Il faut qu'ils se dé-familiarisent de leurs objets de recherche en se formant à l'expertise féministe et une fois cette rupture faite ils peuvent se réapproprier leur expertise de base qui porte sur les techniques d'oppression des femmes.
Et c'est seulement à ce moment là qu'ils peuvent commencer à développer un travail scientifique anti-masculiniste, quand ils utilisent les théories féministes pour comprendre les techniques masculines d'oppression des femmes.
Ils doivent donc être conscients de leur androcentrisme et de leur expertise spécifique limitée, qui tient au fait de pouvoir documenter de l'intérieur les techniques d'oppression masculines.
Mais pour ça ils doivent rendre des comptes constamment aux analyses féministes, pour éviter de céder aux nombreux écueils des chercheurs masculins qui se sont intéressés à ces questions (cf. Bourdieu et Welzer-Lang).
Voilà, c'est la fin du résumé proprement dit, je vous mets le lien pour choper l'article et j'enchaîne sur la critique promise sur le travail de D. Caligula et Cassandre. docdroid.net/6zcjAAw/thiers…
Mais pour ça ils doivent rendre des comptes constamment aux analyses féministes, pour éviter de céder aux nombreux écueils des chercheurs masculins qui se sont intéressés à ces questions (cf. Bourdieu et Welzer-Lang).
Voilà, c'est la fin du résumé proprement dit, je vous mets le lien pour choper l'article et j'enchaîne sur la critique promise sur le travail de D. Caligula et Cassandre. docdroid.net/6zcjAAw/thiers…
Aussi, si vous voulez vous pouvez télécharger la thèse de Léo Thiers-Vidal en recopiant ce lien : https: //mega.nz/file/z24gzZ4I#OdXgAUXnjqbLUX9lnRYwkRgKWqYVTdITon5rdJvti54
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Suite du thread sur l'article de Thiers-Vidal, avec pour finir un petit retour sur la série de vidéo faite par Dany Caligula et Cassandre, qui tombe sous le coup de nombre de problèmes mentionnés dans l'article.
Vous l’aurez sûrement compris à travers les quelques mentions faites dans ce thread mais la perspective de Thiers-Vidal s’oppose largement à celle de Daniel Welzer-Lang qui a voulu étudier les masculinités en se détachant des études féministes.
Et comme vous l'avez compris aussi une perspective pareille pose sérieusement problème et tend à reproduire les biais masculinistes. Eh bien, le travail de D. Caligula et Cassandre est tout à fait dans cette veine.
Comment comprendre la constance du vote à droite chez la bourgeoisie économique ? 🤔
Une évidence qui n'a rien de naturel et qu'on analyse dans ce thread/résumé d'article. ⬇️
Petit préambule : l'article de Geay et Agrikoliansky ne creuse pas tellement le pourquoi du vote bourgeois à droite (typiquement la défense des intérêts de classe).
Il s'intéresse plutôt au comment de ce vote, autrement dit, à la manière qu'ont les membres de la bourgeoisie éco de se mobiliser politiquement.