Un petit fil historique sur un sujet qui a (un peu) échauffé certains collègues enseignant(e)s sur les réseaux sociaux : les agrégés doivent-ils enseigner en collège ou ne serait-ce pas forcément leur place ?

#enseignants #collège #EducationNationale

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Ce fil est né d’un tweet d’un jeune collègue agrégé qui se plaignait d’être affecté en 6ème, suscitant des dizaines de réponses parfois assez dures. Revenons-en au fait : le statut et la fonction des agrégés devraient-ils leur éviter le collège ? (1)
Indéniablement, si on reprend un peu l’histoire du corps (conseillons d’emblée l’excellent ouvrage d’Yves Verneuil sur l’histoire des agrégés), l’agrégation et l’enseignement en lycée entretiennent des liens structurels. (2)

belin-editeur.com/les-agreges-hi…
Comme le souligne André Chervel, les agrégés, recréés en 1808 (il existait des agrégés sous l’Ancien régime), ont d’emblée été pensés comme des enseignants du nouveau lycée napoléonien (3)

rhe.ish-lyon.cnrs.fr/?q=agregsecond…
Cependant… le lycée recrutait plus tôt que les actuels lycées, et intégraient des « classes de grammaire » qui recouvraient l’actuel collège (4).
Pour bien enfoncer le clou, les agrégés pouvaient être mobilisés dans les classes élémentaires annexés au lycée, ouvertes aux plus de 9 ans (arrêté du 27 mars 1810). (5).

persee.fr/doc/inrp_0000-…
En 1821, l’agrégation est instituée comme un concours. Elle devient, comme le note Philippe Savoie, la voie royale pour enseigner en collège royal, c’est-à-dire en lycée (tous âges confondus) (6)

persee.fr/issue/inrp_000…
Bref… les agrégés étaient très loin de se retrouver uniquement devant les actuels lycéens en termes d’âge. Cependant, trois choses différaient par rapport aux lycées (et plus encore, les collèges) actuels (6)
1er élément : l’étroitesse du nombre de lycéens dans une génération, 2ème élément : l’élitisme forcené de l’établissement (latin dès 9 ans !), 3ème élément : l’origine sociale très favorisée dans les lycées. (7)
Pour les collèges dits « municipaux » (appellation là aussi trompeuse car ils s’adressent aux mêmes âges que le lycée), les cours sont confiés à des enseignants licenciés ou bacheliers, moins prestigieux (8).

clionautes.org/une-histoire-d…
Le « post-élémentaire », plus populaire, (École primaire supérieure ou EPS depuis 1833, Cours complémentaires ou CC depuis 1886, Écoles professionnelles ou EPCI depuis 1892) est assuré par des maitres issus du premier degré. (9)

books.openedition.org/pur/118788?lan…
En 1902, la distinction du premier cycle du second degré (actuel collège) et du second cycle du second degré (actuel lycée) confirme le lien agrégé-lycée (10).
La situation était plus complexe dans l’enseignement secondaire féminin, avec un certificat d’aptitude (1882) et une agrégation (1883) qui coexistent (11).
Le régime de Vichy, en supprimant les Écoles primaires supérieures (devenues collèges), ouvre le dossier brutalement : qui doit enseigner en collège ? Il crée en 1941 le CAEC… ancêtre de l’actuel CAPES (fondé en 1950). (12).

cairn.info/revue-carrefou…
Idem, en 1959, la transformation par le décret Berthoin des Cours complémentaires en collèges d’enseignement généraux (CEG) ne permet plus d’y faire simplement enseigner des instituteurs comme jusque-là (13).
En 1960, on crée un certificat pour les maîtres de CEG, puis en 1969, les PEGC (professeurs d’enseignement général de collège, bivalents et faisant plus de cours que les certifiés). (14).
Moins chers, faisant plus d’heures et pour certains habitués aux jeunes élèves du premier degré, ces nouveaux statuts ne tardent pas à couvrir la scolarité des 11-15 ans en pleine croissance (15).
Fin de l’histoire ? Eh bien non : Certaines organisations du second degré craignent que les collèges ne soient désertés par les agrégés… on qu’on en les expulse. Trois positions se détachent (16)
Le SGEN, alors dans une phase contestataire, est hostile à l’agrégation, vue comme le symbole de l’école bourgeoise et conservatrice. Donc l’affectation des agrégés n’est plus vraiment un problème… (17)
Le SNALC rejette sans ambages le risque de « primarisation » du collège (Bulletin du syndicat du 15 septembre 1973) auquel participerait tout départ organisé des agrégés (18).
Le SNES est dans l'entre-deux. Sa motion de catégorie pour le congrès de 1971 demande à ce que les agrégés puissent enseigner dans les CES (le type de collège le plus élitiste avant le collège unique) uniquement « s’ils le désirent » (19)
Les pouvoirs publics sont aussi gênés aux entournures : le décret du 4 juillet 1972 relatif aux agrégés précise explicitement (art.4) que ceux-ci sont « exceptionnellement » en collège et que ce n’est donc pas leur vocation naturelle. (20)
Ajoutons que le décret précise aussi que l’affectation dans le supérieur est une possibilité (et pas qu’exceptionnelle) d’affectation des agrégés (21).
Quand René Haby et son cabinet (aiguillonnés par l’Elysée, mais c’est un autre sujet), phosphorent sur qui doit enseigner en collège, toutes les catégories sont citées dans les archives ministérielles que j’ai vues… sauf les agrégés (22).
La fin du recrutement des PEGC, décidée en 1986, rouvre par incidence la question des agrégés en collège. (23)
Quelle situation aujourd’hui ? Les avis sont souvent tranchés. Autant le dire : la Société des agrégés est totalement hostile à la présence du corps en collège. (24)
En 2010, son livre blanc sur le malaise des professeurs souligne que l’affectation en collège est très mal vécue par les agrégé(e)s interrogé(e)s (moins de 1% du total du corps) (25).

societedesagreges.net/wp-content/upl…
Le SNALC ne s’y montre aujourd’hui pas plus favorable (26).

snalc.fr/national/artic…
Quels sont les chiffres ? Les agrégés (7% du corps enseignant) sont majoritairement en lycée général et technologique (données : Bilan social du MEN, 2019-2020). (27).
Autant dire que les lycées pros représentent peu de chose dans leur affectation (moins de 1%). Par contre, et c’est contre-intuitif, l’affectation au collège (20,8%) représente à peu près autant que le post-bac en lycée (20,79%) (28).
Et là, le genre intervient assez sensiblement : les femmes agrégées sont sensiblement plus souvent en collège… et moins souvent dans le post-bac. Les hommes agrégés évitent donc plus le collège (29)
Lors des mouvements, le ministère encourage les recteurs à des « bonifications significatives » pour les affectations d’agrégés en lycée… tout en rappelant le décret de 1972. (30)
education.gouv.fr/bo/19/Special1…
Bref, le sujet n’est pas simple et ce depuis des décennies. Et les représentants des agrégés comme les pouvoirs publics ont eux-mêmes beaucoup hésité sur l’affectation en collège depuis plus de 50 ans. (31)

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