🗺💷🏝 La côte des Moustiques n'est pas un endroit accueillant, mais ce n'est pas le problème de Gregor MacGregor.

Laissez-moi vous raconter l'histoire INCROYABLE du « Cacique du Poyais », qui s'inventa un pays avant de le vendre, à lire ici ou à écouter en podcast @LesEchos ⬇️
Déjà, replaçons le théâtre géographique et répondons à la question qui vous taraude tous (et à juste titre) : la côte des Moustiques, mais où est-ce que c'est ? Eh bien, je vous le donne en mille : c'est là.
Maintenant que vous êtes rassurés cartographiquement parlant, faisons plus ample connaissance avec ce cher Gregor, qui voit le jour en 1786 en Ecosse
Gregor est issu d'un très ancien clan écossais ; le clan Gregor, dont les origines sont attestées à partir des années 800 ! Ce n'est donc pas n'importe qui, et pourtant il va se permettre de faire n'importe quoi
Oui, Gregor a le prénom de son nom de famille, un peu comme si je m'appelais Grandin MacGrandin
On connaît peu de choses sur sa jeunesse, mais on sait qu'il s'engage dans l'armée britannique en 1803. A l'époque, on fortifie pas mal les côtes dans la crainte d'une invasion française, il passe donc quelques temps au sud de l'Angleterre pour faire ses armes.
Mais Gregor a des fourmis dans les mollets : il veut voir du pays. En 1805, il s'achète une charge de capitaine (à 900 livres quand même !) et il prend la mer, direction l'Amérique* !

* centrale
A l'époque, dans le coin, ça canarde pas mal, laissez-moi vous le dire. Les guerres d'indépendances d'Amérique centrale et du Sud font arrivent pleine balle, la géopolitique est mouvante et il y a pas mal d'opportunités pour un soldat comme Gregor.
De soldat, il va devenir mercenaire et s'engager aux côtés des armées révolutionnaires du Venezuela, sous les ordres du général Miranda. A la chute de ce dernier, il change de pays et continue le combat pour le compte des armées populaires de Nouvelle-Grenade (actuelle Colombie)
Gregor se retrouve donc au coeur des luttes d'indépendance bolivariennes pendant des années : il sert sous les ordres de Simon Bolivar HIMSELF, notamment pour la défense de Carthagène en 1815
Il va même être promu par Bolivar général divisionnaire, et décoré de l'Orden de los Libertadores (l'Ordre des Libérateurs - que je me permets de traduire car je ne sais pas si vous avez tous mon niveau d'espagnol Manu Chao LV7)
Jusque là, Gregor a plutôt l'air du mec cool. Mais c'est à partir de maintenant (on est en 1817) qu'il va révéler son vrai visage et que TOUT VA SE BARRER EN CACAHUETE
Bolivar lui confie la mission d'envahir la Floride espagnole, ce qu'il fait en 1817 avec une centaine de mercenaires avant de la déclarer indépendante.

MAIS, PETIT TWIST : il ne paie pas ses troupes, abandonne sa position pour fuir aux Bahamas et l'invasion se solde par un échec
Il n'explique pas TOUT à Bolivar, qui lui refile un peu de caillasse pour recruter de nouveaux mercenaires et acheter un bateau, mais Gregor décide que finalement non, il préfère garder tout l'argent et ne recruter personne (1818)
Avant de comprendre que Gregor se fout clairement de lui, Bolivar va lui REDONNER DE NOUVEAUX FONDS.

Cette fois-ci, Gregor recrute bien une armée mais la paie si mal (il faut dire qu'il a gardé la moitié de la somme pour lui) qu'elle se mutine et se disperse en Haïti.
Gregor n'a encore perdu la confiance de personne : il est nommé responsable de raids visant à prendre les positions espagnoles.

Il met en place sa tactique principale : attaquer la position, la prendre et la tenir un jour ou deux, puis fuir en abandonnant ses soldats sur place.
La technique MacGregor, c'est des mercenaires sous-payés qu'il laisse aller au combat ivre morts et sans lui, avant de s'approprier la victoire et d'abandonner ses troupes qui se font massacrer par les Espagnols.
A ce stade, Bolivar a compris qu'on ne pouvait pas faire confiance à ce type, qui est d'ailleurs maintenant recherché pour piraterie dans toute la Caraïbe (qu'il connaît désormais comme sa poche, cf. la carte). Objectif profil bas pendant un temps, mais Gregor a un plan.
En 1820, il se rend donc sur la côte des Moustiques, rencontre le roi local et lui achète un territoire de 32 000 km2 en échange de rhum et de pierreries.

Il le baptiste « Poyais » et cherche quel titre maxi-classe il pourrait se donner. Il sera le « Cacique du Poyais »
Un territoire grand comme la Belgique, exotique et boisé, très beau, mais sur lequel il est impossible de cultiver quoi que ce soit ou de faire de l'élevage. Inhabitable donc. Mais ce n'est pas un problème pour Gregor
Il revient à Londres - où ses « exploits » en Amérique ne sont pas encore connus, et commence à parler à tout le monde de « son » pays, « sa » colonie, le Poyais
Vu le contexte géopolitique en Amérique centrale, personne ne s'étonne de l'arrivée d'un nouveau pays dans le game, tout le monde trouve ça normal et ça n'éveille pas les soupçons
Par ailleurs, Gregor est bel et bien propriétaire d'un grand territoire. En revanche, ce qui n'est qu'une grande forêt va devenir sous sa plume un territoire luxuriant et prêt à accueillir les colons européens
Il s'atèle à la rédaction d'un livre décrivant le territoire, qu'il signe sous pseudo : la « Description de la côte des Moustiques incluant le territoire du Poyais », que vous pouvez lire en entier ici ⬇️
archive.org/details/sketch…
Il lance une aussi grande campagne de publicité pour son territoire et le dote de tout ce qu'il faut : monnaie, capitale, armée, ports, ressources naturelles...

Bien sûr, rien de tout cela n'existe, mais ne soyez pas si terre-à-terre, essayez de rêver un peu, soyez comme Gregor.
De la Constitution à l'héraldique en passant par les billets de banque ou même les uniformes militaire, tout y passe pour donner l'illusion d'un territoire structuré qui n'attend que des colons européens.
Dans son livre, Gregor ne s'interdit rien. Selon ses dires, il y a tout ce qu'il faut au Poyais : épices, mines d'or et d'argent, poissons, terres fertiles, indigènes accueillants et pacifiques, de la place pour tout le monde et un emplacement stratégique.
J'ai fait une carte de ce pays qui n'existe pas en me basant uniquement sur le livre de MacGregor, ça donne ça 🗺 ⬇️
En faisant ainsi monter la sauce, il parvient à vendre la dette de son territoire fictif en émettant tout un tas d'obligations qu'il va vendre à toi + moi + globalement à tout ceux qui le veulent.
Il parvient aussi à attirer des colons vers « son pays », principalement des Ecossais à qui il promet que cette colonie sera la revanche de l'Ecosse sur l'Amérique centrale, après l'échec retentissant de la colonie du Darien (une histoire incroyable)
250 colons se laissent convaincre, et deux navires quittent l'Angleterre pour le Poyais en 1822. En arrivant sur place, ils s'attendent à trouver au moins un port, mais QUE NENNI, il y a que dalle. QUE DALLE.
A tel point qu'ils pensent s'être trompés et renvoient un de deux navires à Londres pour demander des explications. Le temps qu'il revienne, la moitié des colons a déjà succombé au palu, mais Gregor va bien - merci pour lui.
Récupérés par un navire marchand qui passait là par hasard, les colons seront au final débarqués à Belize, mais plus des 2/3 sont déjà morts de maladie à ce stade.
Là, ça devient chaud pour Gregor : traqué par ses investisseurs dupés, il se réfugie à Paris où il tente d'attirer de nouveaux colons, avec succès d'ailleurs. Mais il va être arrêté et incarcéré à la prise de La Force pendant quelques mois.
Le Poyais, lui, vit sa meilleure vie, et on peut le retrouver - lui et sa Constitution - dans ce journal français en 1825
Lorsqu'il sort, il se fait tout discret et reprend la mer en se disant qu'il sera mieux accueilli en Amérique. Il n'a pas tort ; les jeunes nations sud-américaines se souviennent bien de ce mercenaires de leurs guerres d'indépendance.
Il est accueilli au Venezuela, dont il devient citoyen en 1840, avec un grade de général divisionnaire dans l'armée, et la pension qui va avec. Traité comme un héros de l'indépendance, il s'éteint à Caracas en décembre 1845.
Il est enterré en grande pompe dans la cathédrale de Caracas, avec les honneurs militaires et en présence du président Carlos Soublette et des officiels militaires du Venezuela.
Et voilà l'histoire de Gregor MacGregor, escroc cartographique et mercenaire écossais dans l'Amérique centrale, inventeur d'un pays qui n'existe pas tout en existant quand même. Quelle affaire.
Et vous pouvez écouter la version en podcast sur @LesEchos ici ! 🎙⬇️

lesechos.fr/idees-debats/e…

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31 Aug
🏰🗼🌍 LE SAVIONS-TU ?

Avant qu'il ne soit détruit au XVIII, il existait un « Château de Bagnolet », dont le parc couvrait une grande partie du XXe arrondissement actuel, et s'étendait au delà du périph'

On en retrouve encore les vestiges dans la toponymie ou les bâtiments ⬇️
Le seul bâtiment encore debout est le pavillon de l'Ermitage, une des folies construites dans le parc en 1735 à la demande de la duchesse d'Orléans (la proprio). Il est situé le long de l'actuelle rue de Bagnolet
Voici à quoi ressemblait le château selon le « Plan général du chasteau de Bagnolet et de ses jardins », gravé début XVIIIe par Claude Desgots et visible sur @Gallica ici ⬇️

gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv…
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11 Jun
🗺🗼 Le savions-tu ?

La Seine n'a pas toujours eu son cours actuel à Paris. Il y a même pas 10-20 000 ans, il y avait un bras supplémentaire, sur la rive droite actuelle.

ET SI ON REGARDE BIEN, on repère la trace de ce bras à plein d'endroits et il faut que je vous en parle ⬇️
Au rayon des rivières disparues de Paris, la Bièvre est en tête de gondole, mais ce bras mort, je n'en avais jamais entendu parler avant de trouver une mention et une note de bas de page sur le MERVEILLEUX atlas du Paris historique

paris-atlas-historique.fr/44.html
Pour le coup, la Seine n'a pas disparu de Paris, mais le fleuve d'origine, capricieux et puissant, a lui été totalement corseté par la croissance de la ville, parisian-style (une nouvelle pensée émue pour la Bièvre svp)
Read 23 tweets
9 Dec 20
🗺️🇮🇹🎡 En 1502, Léonard de Vinci réalise cette carte d'Imola, en Italie

Non seulement elle est superbe et *très* exacte, mais elle témoigne de l'émergence de la cartographie moderne, et je vous explique pourquoi en 11 (onze) tweets

⬇️⬇
Au tout début du XVIe siècle, Léonard de Vinci entre au service de César Borgia. Une de ses premières commandes est la réalisation d'une carte de la ville d'Imola
A l'époque, quand on fait un plan de ville, c'est surtout en perspective cavalière (du point de vue d'un oiseau, ou d'une montgolfière) et ça donne quelque chose comme ça

Là c'est une vue de Venise par Jacopo de Barbari qui date de 1500.
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18 Nov 20
🌍👑🗺️ Aujourd'hui, on va parler de l'homme le plus riche de l'Histoire, dont la seule venue dans une ville pouvait dévaluer le cours de l'or.

Mais aussi de sirènes, de caravanes et de fleuves d'or.

Comme d'habitude, tout commence par une carte : l'Atlas Catalan ⬇️ Image
L'Atlas catalan est, comme son nom ne l'indique pas, un portulan portugais réalisé à la fin du XIIe siècle par Abraham Cresques, un cartographe majorquin, maître des cartes du roi d'Aragon
L’atlas a été réalisé entre 1375, date apparaissant à plusieurs reprises sur l’œuvre, et 1380, date de son entrée dans les collections royales françaises.

Il a probablement été offert au roi de France Charles V par le roi d'Aragon Pierre IV (dit le Cérémonieux) Image
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14 Sep 20
🏙️📚🤔

« Quand on arrive en ville, on arrive de nulle part » nous dit Daniel Balavoine

MAIS DU COUP, ce qui n'est pas la ville, c'est le « nulle part » ?

Vous me voyez venir avec mes gros sabots :

QU'EST-CE
QU'UNE
VILLE ?

(c'est à la fois très simple et très compliqué)

⬇️⬇️
Quand quelqu'un dit qu'il « va en ville », quel est le projet ? Aller acheter des trucs, aller boire des coups (en gros). Du coup, la ville, c'est l'endroit où il y a des cafés et des magasins. Allez, fin du fil.

(aha, non)
Déjà, je ne crois pas qu'il existe de définition internationale de la ville. Et pourtant il y en a partout, et tout le monde croit savoir ce que c'est. La ville en Chine, est-ce la même chose que la ville en Islande ou en France ?
Read 37 tweets
9 Sep 20
🗺️📖✍️ La majorité des pays ont un nom en forme courte ET en forme longue (France / République française par exemple)

Y en a-t-il sans forme longue ou courte ? Quel est le plus long ? Le plus court ? Et pourquoi deux formes ?

UN FIL D'INFOS INUTILES, ET DONC CAPITALES ⬇️ Image
On commence simple : la forme longue des noms de pays indique la plupart du temps une organisation politique/administrative.

La république fédérale d'Allemagne 🇩🇪, le royaume de Belgique 🇧🇪, la principauté d'Andorre 🇦🇩, le sultanat d'Oman 🇴🇲 etc.
Là où ça commence à devenir rigolo, c'est quand l'organisation politique a changé, mais qu'on a gardé le nom dans sa forme longue

Ainsi, la Suisse 🇨🇭 devient la confédération helvétique en forme longue alors qu'elle n'est plus une confédération (mais un Etat fédéral) depuis 1848
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