50 ans avant les OGM, la génétique était déjà l’ennemi juré des anticapitalistes.
Retour sur l’incroyable histoire de Trofim Lyssenko, "botaniste de Staline", dont les théories farfelues menèrent à la plus grande famine que l’homme ait jamais connu… #thread ⬇️⬇️⬇️
Dans les années 20, l’Institut Botanique de St Pétersbourg est dirigé par un autre homme hors du commun, Nikolaï Vavilov, « l’Indiana Jones des semences ».
Formé en France et en Angleterre, il rentre en Russie dans l’espoir d’aider la jeune république socialiste.
Notre Indy a un projet fou, créer la plus grande banque de semences mondiale.
Pour cela, il organise 116 expéditions et visite 50 pays dans des conditions dantesques. Apprend 12 langues, manque de tomber d’un train en Afghanistan, voyage plusieurs jours sans eau ni nourriture…
Mais au début des années 30, en URSS, rien ne se passe comme prévu.
La collectivisation de l’agriculture fait des ravages.
C’est le temps de l’Holodomor, terrible famine qui emporta un quart de la population Ukrainienne…
Staline s’interroge.
Indécrottablement individualiste, l’homme semble bien incompatible avec la réalisation de l’idéal socialiste.
Qu’à cela ne tienne, pour que le socialisme advienne, l’homme doit changer.
Ce sera l’homme nouveau soviétique.
Sain, vigoureux, athlétique, il aura des valeurs, des croyances, une culture, et même une langue différentes. Rien que ça.
« L’ouvrier et la kolkhozienne » représente cet être fantasmé, façonné par le système, pour le système.
Mais une théorie scientifique contrecarre ses plans :
Les lois de l’hérédité de Gregor Mendel.
Elles se diffusent progressivement, en ce début de siècle. Combinées à la découverte des chromosomes, elles entérinent la transmission des caractères entre générations.
Et pour Staline, c’est insupportable : si on veut infléchir les qualités humaines, il faut que celles-ci soient modelées, plutôt qu’héritées.
C’est soit la génétique, soit le socialisme. Désormais, il faudra choisir son camp.
Or depuis quelques années, un jeune jardinier clame à qui veut l’entendre qu’il peut quadrupler les rendements agricoles. Grâce à une technique révolutionnaire, la vernalisation.
En soumettant les semences à une forte humidité et une faible température, on les renforcerait.
Mieux encore : ces qualités nouvelles seraient transmises à leur progéniture.
C’est exactement ce que recherche Staline : en jouant sur l’environnement, on modifierait la nature des plantes. Et si c’est possible avec les plantes, pourquoi pas avec les hommes.
Ce jardinier, c’est Trofim Lyssenko. Et c’est le héros soviétique parfait :
Fils de modestes paysans ukrainiens, il apprend à lire à 13 ans. Intègre une école d’horticulture à 15, suit une formation de simple jardinier, puis des cours par correspondance à l'institut de Kiev.
Nikolaï Vavilov, notre botaniste globe-trotteur, voit ses travaux d’un bon œil : en ces temps de famine, toutes les initiatives sont bonnes à prendre.
Mais très vite, les premiers doutes apparaissent : les résultats obtenus par Lyssenko s’avèrent impossible à reproduire.
Pourtant, l’ambitieux Lyssenko grimpe très vite les échelons scientifiques, comme ceux du parti.
Admis à l'Académie des sciences d'Ukraine, il prend la tête de l'institut de génétique d'Odessa en 1935. Cette même année, il est fait membre du Soviet suprême de l'Union soviétique.
Propagandiste volubile, il entend appliquer la dialectique marxiste aux sciences de la nature.
Non concurrence entre les plantes, effacement de l’individu devant la communauté… si le socialisme est la vérité, la science ne peut s’en approcher qu’en suivant ses préceptes.
En 36, la guerre idéologique est déclarée.
Lyssenko fustige publiquement la "science bourgeoise" qu’est la génétique mendélienne.
Qualifiés d’ennemis du peuple soviétique, ceux qui s’opposent à sa "génétique mitchourinienne" sont renvoyés, voire emprisonnés.
C’est le début de la Grande Terreur et des purges staliniennes, qui visent à éliminer tous les dissidents à la ligne idéologique officielle.
Près d'un million de personnes sont exécutées. Bien plus sont envoyées dans des prisons ou des camps. Beaucoup n'y survivent pas.
Dans cette ambiance délétère, Vavilov ne bronche pas : "Nous irons au bûcher, nous brûlerons, mais nous ne reculerons pas sur nos convictions."
Arrêté le 6 août 1940, il est transféré à la redoutable prison de Loubianka et interrogé 400 fois, 1700h durant, pendant près de 11 mois
Condamné à 20 ans de prison, considérablement affaibli, il mourra 2 ans plus tard, laissant un patrimoine inestimable :
250 000 échantillons de semences du monde entier, dont quelque 35 000 de blé, 10 000 de maïs, 26 000 de légumineuses et 1 200 de fruits.
Cet héritage, les fidèles de Vavilov le protégèrent au prix de leur vie.
Au cœur de l’effroyable hiver 41 et du siège nazi de Leningrad, combattant les rats rendus fous par la faim, ils moururent un par un à leur poste, résistant à l’envie de se nourrir de la précieuse collection
Lyssenko, lui, expérimente.
Pour régler le pb de la dégénérescence de la pomme de terre, il propose de les planter en été, plutôt qu’au printemps.
Entrainant une chute de la productivité des récoltes et propageant la maladie.
Méthode imposée 20 ans durant, quoi qu’il en coûte.
Mais surtout, il sait qu’en République Socialiste, science et idéologie sont indissociables.
Quand Staline lance un vaste plan d’afforestation, il impose la plantation en nids. Disposant de nombreuses graines dans un trou, elles doivent se sacrifier une à une pour la communauté.
Sur les millions d'hectares d'arbres plantés, seuls 40 % survécurent. En Oural, la totalité des plants périrent. La mort de Staline mettra fin à la création de ces forêts fantômes.
En 1947, quand Staline lui rapporte quelques graines d’un kolkhoze géorgien, il lui promet d’en tirer des rendements extraordinaires.
Un an plus tard, ce blé ramifié fait l’objet d’une intense campagne publicitaire. Mais n’apportera jamais les miracles attendus.
Le Lyssenkisme devient alors la doctrine officielle exclusive. Toute théorie alternative est formellement interdite.
Une vaste opération de propagande mondiale, soutenue par le film « Mitchurin », est dispensée de l’Argentine à la Chine, de l’Iran à l’Afghanistan.
En 1950, toujours + audacieux, il prétend pouvoir transformer une espèce en 1 autre :
Le blé se changerait en seigle, en avoine ou en orge.
Et pouvoir réaliser des croisements improbables, comme le coton rouge, mi-coton, mi-tomate (!).
Ces déboires n’entament pas son ascension, basée sur sa défense idéologique de la "science prolétarienne" plutôt que sur ses résultats.
Récompensé 8 fois de l'ordre de Lénine, conseiller auprès du Soviet suprême, directeur de l'institut génétique de l'Académie des sciences…
…il est distingué comme héros du travail socialiste. Et assoit sa domination sur l’académie des sciences agronomiques. Son emprise sur l’ensemble des sciences soviétiques est telle, que seul l’atome lui échappe.
A la mort de Staline, Khrouchtchev le prend sous son aile.
Son influence traverse les frontières.
En 58, Mao établi ses « huit points » sur l'agriculture, pour appliquer les théories lyssenkiennes à l’ensemble de la Chine.
Planter serré, labourer profond… mêmes les plus improbables, comme le fameux coton rouge, sont à l’ordre du jour.
Les conséquences sont terribles.
Quand il ne reste plus d’écorce, ce sont les cadavres qu’on déterre.
C’est la Grande famine chinoise, qui fera, en 5 ans, 55 millions de morts.
L’inanité de ses théories n’est dévoilée qu’après la chute de Khrouchtchev.
Enfin, les scientifiques condamnés sont réhabilités.
La biologie moléculaire, la génétique, la biophysique et la biochimie remplacent la biologie mitchourinienne.
Le bilan est accablant : apport scientifique nul, paralysie de la biologie et de l'agronomie soviétiques pendant 30 ans, mise à l'écart et assassinats de savants mondialement réputés…
Pourtant, Lyssenko ne sera jamais officiellement condamné. Trop de responsables sont compromis.
En France, de nombreux intellectuels se sont prononcé en faveur du Lyssenkisme.
Maurice Thorez ou Aragon, montrèrent ainsi leur attachement aux valeurs du parti. Les plus circonspects, comme Marcel Prenant, furent rétrogradés.
Michel Foucault affirma : « Quand j’ai fait mes études, l’un des grands problèmes qui se posaient était celui du statut politique de la science et des fonctions idéologiques qu’elle pouvait véhiculer. (…) Deux mots vont les résumer toutes : pouvoir et savoir. »
Ironie de l’histoire, l’Homo Sovieticus sera + tard utilisé péjorativement pour décrire l’homme soviétique :
Indifférence envers les résultats de son travail, refus de la responsabilité individuelle, absence d'esprit d'initiative, non-respect du bien commun, complaisance au vol.
L’héritage de Vavilov sera lui couronné par la création en 2006 de la Réserve mondiale de semences du Svalbard.
Un million d’échantillons de graines y sont stockées par -20°C à 120 mètres de profondeur, dans l’archipel arctique.
Mais surtout, n’oubliez pas. Quand il s’agit de science, fuyez les sorcières et l’idéologie.
Surtout quand cette science doit nourrir la planète.
Hier soir, à un repas regroupant 3 générations, personne n'avait jamais entendu parler d'Holodomor ou du Grand Bond en avant...
Avec le retour des fantasmes de collectivisation de l'agriculture, je me suis dit qu'un petit rappel s'imposait.⤵️ reussir.fr/eric-piolle-je…
En 1927, la Nouvelle politique économique Russe a un succès inattendu (et pas vraiment anticipé) : une économie de marché parallèle se développe dans les campagnes.
Les paysans échappent au contrôle des prix, et accèdent, sinon à la prospérité, au moins à l'autosuffisance.
Comme ça peut pas durer, le pouvoir soviétique met en oeuvre en 1929 la politique du « Grand tournant ».
L'idée est d'augmenter les rendements agricoles. Et surtout, de capter cette manne financière pour financer l'industrie.