D’abord du contexte, comme toujours :
Dans le nucléaire, en France comme dans le monde, il y a une tendance très nette à faire des réacteurs de plus en plus gros.
Ici en France, depuis les 1ers réacteurs de quelques dizaines de MW jusqu’à l’EPR à 1600 MW.
1600 MW électrique on ne s’en rend pas compte mais c’est énorme : un seul EPR qui tourne à fond pourrait alimenter à lui seul la métropole d’Aix-Marseille et ses presque 2 millions d’habitants.
La raison à cette augmentation de puissance est simple à comprendre : dans un réacteur nucléaire il y a beaucoup d’équipements qui ont des coûts fixes, ou du moins qui ne sont pas proportionnels à la puissance du réacteur, contrairement à l’électricité produite.
Donc lorsque la taille d’un réacteur augmente, les coûts augmentent moins vite que les recettes.
D’où la tendance générale à augmenter la puissance (et donc la taille) pour maximiser les gains.
Mais il y a un mais (plusieurs en fait).
Un réacteur plus gros, c’est un réacteur plus complexe, plus cher, plus long à construire, et avec plus de risques de se foirer.
Cf la saga de l’EPR de Flamanville.
Un réacteur de forte puissance c’est aussi plus complexe à gérer du point de vue de la sureté, tous les équipements deviennent plus compliqués à dimensionner pour évacuer l’énorme quantité de chaleur produite dans le cœur.
Un réacteur de forte puissance ne peut pas non plus s’installer n’importe où, il faut un réseau électrique suffisamment robuste pour ne pas s’écrouler en cas d’arrêt du réacteur.
Ça nécessite donc une consommation d’électricité suffisamment importante, donc des pays développés.
Au vu de ces inconvénients et de ces limitations, certains se sont dit : et si on faisait des petits réacteurs nucléaires, en mode "small is beautiful" ?
En fait cette idée de faire des petits réacteurs ne date pas d’hier et a connu des hauts et des bas (surtout des bas en fait 😅). @Mangeon4 en a fait une excellente revue historique dans son thread ici :
Les astuces d’ingénierie pour diminuer les coûts et rattraper l’effet d’échelle des gros réacteurs sont les suivantes : 1. Conception simplifiée 2. Modularité 3. Effet de série
D’où le nom de "petits réacteurs modulaires", soit en anglais "Small Modular Reactor" : SMR.
(oui je sais ils sont pas allés chercher loin 😆)
Pour la France 🇫🇷, le projet de SMR a un nom : nuward.
Et c’est de lui dont on va parler maintenant.
La conception du réacteur nuward est dite intégrée, c’est à dire que tout le bazar du cœur, circuit primaire, générateurs de vapeur, pompes, grappes de commande, pressuriseur, etc… est contenu dans une seule enceinte compacte et fermée.
Ce concept de réacteur intégré et compact vient de la propulsion nucléaire navale, c’est quelque chose que la France sait faire depuis des décennies.
(📷 chaudière nucléaire qui équipe les sous-marins nucléaires français et le porte avion Charles de Gaulle).
Il y a plein de choses innovantes dans ce réacteur nuward, mais ça reste un réacteur de 3ème génération, donc beaucoup de principes sont similaires ou identiques aux réacteurs actuels (enrichissement uranium, eau sous pression, circuit secondaire, …).
Ce réacteur compact de 170 MW électrique sera ensuite mis dans une espèce de cocotte minute métallique avec tous ses équipements auxiliaires, et deux de ces cocottes seront mises côte à côte pour constituer l’îlot nucléaire nuward, d’une puissance de 340 MW.
Ce bâtiment est pour l’instant prévu d’être semi enterré pour mieux le protéger des agressions extérieures type chutes d’avions et autres, mais ce sont des choses qui pourront changer au cours de la conception.
Pour l’aspect modulaire, l’idée est que la centrale soit au maximum constituée d’éléments pouvant être fabriqués en usine et transportables facilement par des moyens classiques, avec un assemblage sur site limité au minimum pour simplifier et réduire les travaux.
Cette modularité se fait évidemment déjà avec les centrales actuelles, mais avec les SMR c’est un objectif prioritaire et absolument indispensable pour la réussite de ces projets, donc le concept est poussé à fond.
Vous vous demandez peut-être pourquoi mettre 2 réacteurs ensemble dans un bâtiment et pas juste un seul, ou bien 4, ou 6, ou plus ?
Un des buts de nuward est de se substituer aux centrales à charbon (pour des raisons de CO2, climat, toussa toussa), et il se trouve qu’une tranche à charbon typique a une puissance d’environ 300 MW, très proche de nuward et ses 340 MW.
Donc tout un tas d’équipements (turbine, alternateur, transformateur, …) pourront être identiques entre nuward et une centrale à charbon, ce qui est très avantageux car plus d’industriels maîtrisent ces technologies.
L’idée de grouper et d’avoir des centrales à 4 ou 6 réacteurs permettrait de répondre à plus de besoins, mais ça dégraderait la modularité et l’effet de série (et donc ça augmenterait le coût), ce seront donc des choix à étudier et évaluer pendant la conception.
Quand on parle de taille et de compacité, le réacteur nuward dans sa cocotte minute métallique fait environ 16m de haut, quand le bâtiment réacteur des centrales françaises (REP sur le schéma) qui contient les mêmes types d’équipements mesurent dans les 60m.
Côté puissance, c’est nettement plus réduit aussi : un réacteur nuward (170 MW électrique) est environ 10 fois moins puissant qu’un réacteur EPR (1600 MW).
Cette relative petite puissance a plein d’avantages…
Avantages économiques d’abord : site plus petit, projet moins coûteux, délais plus courts, moins d’immobilisations d’argent, …
Tout ça facilite grandement l’investissement à consentir pour une première production, et permet d’y aller petit à petit.
Avantages aussi pour la sureté : moins de chaleur à évacuer permet d’envisager des composants dits passifs qui fonctionnent tous seuls même en cas de perte totale d’alimentation électrique (ce qu’il s’est passé à Fukushima).
Les cocottes minutes nuward seront immergés dans un bassin d’eau qui permet d’assurer la sûreté de la centrale en autarcie pendant au moins 3 jours en cas d’accident.
C’est pour ça que Macron a parlé de réacteurs plus sûrs, et que l’ASN aime bien le projet nuward 🤗
C’est aussi pour ça que les anti-nucléaires disent de la merde en affirmant qu’il y aura plus de risques avec des SMR alors que c’est l’exact inverse.
Ce projet nuward est 100% made in France et est porté par 4 industriels avec le soutien du plan de relance : EDF, Technicatome, le CEA, et Naval Group.
Le projet est actuellement au milieu de la phase "avant projet sommaire" (APS), donc au début de la véritable conception (les phases précédentes étaient des explorations de concepts).
A la fin du développement vers 2030 est prévu la construction d’un démonstrateur, qui sera en France, pour plusieurs raisons :
1. Avoir un environnement industriel et institutionnel maitrisé pour éviter de refaire la même erreur que l’EPR avec un 1er de série en Finlande.
2. L’autorité de sûreté nucléaire française est une des plus strictes au monde, donc si une centrale nuward se fait en France et est validée par l’ASN, c’est un immense faire valoir pour l’exportation : "qui peut le plus peut le moins".
Et oui, la cible de marché de nuward est clairement à l’international, ça n’a pas de sens d’en construire en France (hormis un démonstrateur).
Car nuward a les inconvénients de ses avantages : il est petit !
Comme je l’ai dit plus haut, le réacteur nuward est 10 fois moins puissant qu’un EPR, donc même avec une très haute disponibilité il n’y a pas de miracle, il en faut plus pour produire la même quantité d’électricité.
Exemple pour les scénarios de RTE avec 14 EPR, ça signifierait 140 réacteurs nuward, soit 70 centrales de 2 réacteurs, et donc autant de sites, de zones nucléaires à créer et surveiller, une multiplication des transports de combustibles, des personnels éparpillés, …
Bref, c’est pas du tout une bonne idée, n’en déplaise aux adeptes de la décentralisation et de l’énergie locale.
nuward est en fait destiné aux pays avec un réseau électrique de petite taille, pour des sites isolées, pour remplacer des centrales fossiles, … et ce n’est pas vraiment le cas de la France.
L’objectif de nuward est de conclure une 1ère offre à l’international et de lancer une construction en 2035.
2035… ça fait pas un peu tard ça ? 🧐
La France ne serait pas en retard sur les autres pays qui développent des SMR ?
Oui et non.
Les concepts de SMR fleurissent de partout dans le monde, l’IAEA en recense plus de 70 dans son SMR Booklet.
En gros si en 2020 t’as pas de concept SMR t’as raté ta vie.
Tous ces concepts ont beaucoup de différences sur la taille, la technologie, la conception, …
Dans ce bazar il faut faire le tri : exit déjà tous les concepts de 4ème génération, au thorium, sels fondus & autres, ils arriveront sur le marché bien après (s’ils y arrivent, car multiplier les innovations de rupture dans un réacteur nucléaire n’est pas un gage de succès).
Exit aussi les réacteurs développés sans soutien de l’état, sans supply chain industrielle, sans site potentiel, … quasiment zéro chance pour eux d’aller jusqu’au bout.
Au final on arrive à une short list de moins d’une dizaine de modèles de SMR, et même là dedans il y a des usages différents, et donc des marchés différents.
Exemple avec la barge russe Akademik Lomonosov qui transporte 2 réacteurs nucléaires de 35 MW chacun, envoyés pour alimenter le réseau électrique local d’une région paumée en Sibérie orientale.
Alors certes ces réacteurs sur barge sont des SMR, mais ce sont de simples dérivés de ceux qui alimentent déjà les brise-glaces nucléaires (propulsion navale donc), et leur puissance et leur utilisation n’ont pas grand chose à voir avec celles prévues pour nuward.
Donc si l’on regarde réellement les concurrents directs du projet français, avec une maturité technologique similaire, de bonnes chances de réussite et positionnés sur le même marché, bah il n’en reste que 3-4 en lice, pas plus.
Il faut aussi ajouter que les SMR ne sont pas des iPhones, le marché n’est pas inondé et encore moins saturé par le 1er qui sort un réacteur, il y a plein d’autres paramètres qui jouent : contexte géopolitique, relations diplomatiques, …
Donc même en arrivant avec 5 voire 10 ans de retard, nuward sera de toute façon dans les premiers, et aura une bonne place dans ce marché naissant et par conséquent difficilement prévisible.
Il reste une chose dont on n’a pas parlé : le coût de l’électricité produite : est-ce que les SMR, et nuward en particulier, vont tenir leur promesses ?
Ben en théorie oui, l’objectif est clairement que nuward soit compétitif avec les autres sources d’électricité pilotables.
Par contre en réalité, on ne peut pas en être certain tant que le développement n’est pas terminé, et tenir ces objectifs de coût/délai/sûreté/… est justement le but de la conception en cours, qui prendra plusieurs années.
Donc affirmer prématurément comme certains anti-nucléaires que le projet nuward sera trop cher alors qu’il est en tout début de conception et que tout reste à faire… bah autant demander l’avis de madame irma et sa boule de cristal… 🔮
1. Les SMR sont des projets en développement et le resteront pendant encore plusieurs années, donc pas la peine de s’exciter dans tous les sens avec les annonces de Macron, concentront nous plutôt sur d’autres choses plus actuelles.
2. Les SMR ne se déploieront réellement que d’ici une vingtaine d’années, et s’ils ne régleront évidemment pas le problème climatique, ils seront quand même utiles pour remplacer des centrales à charbon (et oui il y aura toujours du charbon en 2040…).
3. Il ne sert à rien de comparer les SMR avec les réacteurs de forte puissance, les usages et les marchés ne sont pas les mêmes. Pour cette raison c’est assez improbable qu’il y ait des SMR en France, ils ne sont pas conçus pour ça et ce n’est pas là où ils sont intéressants.
Ce thread était long mais je pense nécessaire pour casser quelques fantasmes ou idées reçues et apporter des infos sur le projet français nuward.
Je vous laisse avec cette vidéo de @Technicatome et sa musique composée par Jean-Michel Jarre (mettez le son à fond !! 😅)
Pour celles et ceux que ça intéresse et qui veulent en savoir plus ou simplement avoir les infos présentées différemment, je ne peux que vous conseiller de lire ce thread très complet de @buchebuche561 :
La France c’est quand même le seul pays au monde où tu peux faire plus de 1300 km en émettant juste 3 kg de CO2.
La clé de cette performance écologique ?
Notre électricité bas carbone ⚡️✅
Ça ne se voit pas avec la carte zoomée, mais ce trajet comporte les étapes suivantes :
- 50 km 🚗⚡️ pour aller à la gare TGV
- TGV 🚅 jusqu’à Paris Gare de Lyon
- Métro 🚈 jusqu’à Montparnasse
- TGV 🚅 jusqu’à Lorient
Et faire tout ça en émettant 3kg de CO2, c’est chouette 😊
Si j’avais pris l’avion, j’aurais gagné au maximum 1h de temps, et pas sur du tout que le prix total aurait été très différent.
Ce qui est sur par contre c’est que j’aurais émis plus de 100kg de CO2.
Et ça, ça m’aurait bien fait chier.
🟢 Complément avant d’extrapoler n’importe comment :
- le système électrique peut absorber ce développement, même avec un pilotage limité de la recharge.
- le développement du véhicule électrique présente des atouts écologiques et économiques majeurs.
Regardez ces bandeaux marron et noir parfaitement constant cette semaine :
Depuis lundi matin jusqu'à aujourd'hui, l'Allemagne a cramé plus de 600.000 tonnes de charbon.
Et la semaine n'est pas finie.
On voit très bien ici l'apport positif du photovoltaïque pendant la journée, tout comme on voit aussi très bien que l'éolien est aux abonnés absent cette semaine.
La bandeau rouge c'est le nucléaire, qui produit au maximum (et évite donc autant de charbon).
Il y a tellement d’erreurs et de mensonges que je ne peux pas tout traiter, donc je vais faire comme avec Raoult le climatosceptique :
- Un tweet 🗣 avec un extrait de la tribune
- Un ou deux tweets maxi ❌ pour expliquer en quoi c’est foireux
Tout est clair ?
Let’s go.
🗣 « Alors que le mouvement écologiste s’est construit dans les années 1970 en France contre l’essor de l’industrie nucléaire, nous voyons cette dernière tenter aujourd’hui d’investir nos terrains de lutte. »
Il s’est passé un truc cette semaine :
Un incendie en Californie a fait son entrée dans le top 20 des plus grands incendies enregistrés dans cet état.
C’est le 3ème cette année.
Et comme une image vaut mille mots :
Sur les 20 plus grands incendies enregistrés en Californie depuis près d’un siècle :
- 3 ont lieu cette année
- 8 ont eu lieu sur les deux dernières années
- 17 ont eu lieu depuis 2000
La 1ère dataviz est inspirée de celle officielle de @CAL_FIRE de l’année dernière (qui est nettement plus soignée que la mienne j’avoue ☺️).
Il y a en France 2 fois plus de mégots de cigarettes jetés à la sauvage chaque année qu’il n’y a de déchets nucléaires de haute activité produits en 60 ans.