Marcel Mauss, Essai sur le don.
Chapitre II. Extension de ce système. Libéralité, honneur, monnaie.
III. – Nord-ouest américain. L’honneur et le crédit. Résumé :
Les sociétés indiennes du nord-ouest américain [Tlingit, Haïda, Tsimshian et Kwakiutl] présentent les mêmes institutions [que les peuples mélanésiens et polynésiens], seulement elles sont encore chez elles plus radicales et plus accentuées.
D’abord, on dirait que le troc y est inconnu. Même après un long contact avec les Européens, il ne semble pas qu’aucun des considérables transferts de richesses qui s’y opèrent constamment se fasse autrement que dans les formes solennelles du potlatch.
Le potlatch lui-même n’est pas autre chose que le système des dons échangés. Il n’en diffère que par la violence, les antagonismes qu’il suscite d’une part, et d’autre part, par une certaine pauvreté des concepts juridiques, par une structure plus simple qu’en Mélanésie.
Le caractère collectif du contrat y apparaît mieux qu’en Mélanésie et en Polynésie. Ces sociétés sont au fond plus près de ce que nous appelons les prestations totales simples.
Deux notions y sont pourtant bien mieux en évidence : c’est la notion de crédit, de terme, et c’est aussi la notion d’honneur.
Par définition même, un repas en commun, une distribution de kava, un talisman qu’on emporte ne peuvent être rendus immédiatement. Le « temps » est nécessaire pour exécuter toute contre-prestation. La notion de terme est donc impliquée logiquement.
Le point de départ [sur ce sujet] a été donné dans une catégorie de droit que laissent de côté les juristes et les économistes ; c’est le don, phénomène complexe, surtout dans sa forme la plus ancienne, celle de la prestation totale.
Or, le don entraîne nécessairement la notion de crédit. L’évolution n’a pas fait passer le droit de l’économie du troc à la vente et celle-ci du comptant au terme.
C’est sur un système de cadeaux donnés et rendus à terme que se sont édifiés d’une part le troc, par simplification, par rapprochements de temps autrefois disjoints, et d’autre part, l’achat et la vente, celle-ci à terme et au comptant, et aussi le prêt.
Non moins grand est le rôle que dans ces transactions des Indiens joue la notion d’honneur. Nulle part le prestige individuel d’un chef et le prestige de son clan ne sont plus liés à la dépense, et à l’exactitude à rendre usurairement les dons acceptés.
La consommation et la destruction y sont sans bornes. Dans certains potlatch on doit dépenser tout ce que l’on a et ne rien garder. Le principe de l’antagonisme et de la rivalité fonde tout.
Le statut des individus dans les confréries et les clans, les rangs de toutes sortes s’obtiennent par la « guerre de propriété » comme par la guerre, ou par la chance, ou par l’héritage, par l’alliance et le mariage. Mais tout est conçu comme si c’était une « lutte de richesse ».
Dans un certain nombre de cas il ne s’agit même pas de donner et de rendre, mais de détruire. On brûle des boites entières d’huile d’olachen ou de baleine, on brûle les maisons et des couvertures ; on brise les cuivres les plus chers, on les jette à l’eau, pour écraser son rival.
Non seulement on se fait ainsi progresser soi-même, mais encore on fait progresser sa famille sur l’échelle sociale. Le potlatch tlingit, haïda, consiste à considérer comme des honneurs les services mutuels.
Le potlatch est bien plus qu’un phénomène juridique : il est un de ceux que nous proposons d’appeler « totaux ». Il est religieux, mythologique et shamanistique, puisque les chefs qui s’y engagent y représentent, y incarnent les ancêtres et les dieux, dont ils portent le nom.
Il est économique et il faut mesurer la valeur, l’importance, les raisons et les effets de ces transactions énormes.
Le potlatch est aussi un phénomène de morphologie sociale : la réunion des tribus, des clans et des familles, même celles des nations y produit une nervosité, une excitation remarquables : on fraternise et on reste étranger ; on communique et on s’oppose dans un constant tournoi.
Enfin, même au point de vue juridique, en plus du statut juridique des contractans (clans, familles, rangs et épousailles), il faut ajouter ceci : les choses qui y sont échangées, ont, elles aussi, une vertu spéciale, qui fait qu’on les donne et surtout qu’on les rend.

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